Dans le domaine des systèmes de transport intelligents (STI), 2016 sera incontestablement l’année de la multiplication des initiatives locales. Destinés à simplifier et fluidifier les déplacements quotidiens des voyageurs, ils sont également au service de la conversion écologique. Décryptage de la mobilité 3.0, le 28 avril à Marseille, lors du colloque transport et numérique organisé par l’observatoire régional des transports de la région Paca.
La recomposition des régions et des agglomérations, ainsi que l’avènement des nouvelles métropoles génèrent un bouillonnement d’initiatives locales dans le domaine du numérique et des déplacements. Fort de cette refonte de la carte administrative, Louis Fernique, chef de la mission des transports intelligents à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), réalise un tour de France des régions pour sonder les acteurs publics. « Certains vont de l’avant, d’autres paraissent désabusés. S’agissant de l’information aux voyageurs, doit-on se lancer dans l’élaboration de grandes plateformes publiques ou susciter l’initiative privée? », s’interroge-t-il. C’est à un panel d’experts de la mobilité des voyageurs, réunis le 28 avril à Marseille dans le cadre de la conférence « Transport et numérique, quelles évolutions? », qu’il a livré ses conclusions.
En l’absence de stratégie nationale en matière de système de transport intelligent, se pose la question de l’interopérabilité des systèmes ou, mieux encore, de leur réplicabilité, afin de réduire les coûts liés à la recherche et au développement.
« Nous travaillons sur la nécessité de partager, entre collectivités, les enseignements des meilleures expérimentations. Le potentiel est colossal en termes d’efficience liée au numérique. C’est un laboratoire à ciel ouvert de recherche de solutions à la saturation des réseaux et à la réduction des nuisances. Depuis cinq ans, les systèmes de transport intelligents envahissent tous les champs de la mobilité. La révolution numérique s’attaque de plein fouet aux transports avec des opportunités évidentes », explique Louis Fernique. Optimod’Lyon, Gerfaut II en Seine-Saint-Denis, Autolib’ à Paris, Bordeaux et Lyon, la billettique sans contact à Grenoble, etc. Chaque agglomération déploie un système destiné à simplifier les déplacements.
La métropole Aix Marseille Provence (AMP), aux côtés du Grand Toulouse, développe actuellement un projet de dématérialisation des titres de transport sur le téléphone mobile, grâce aux puces NFC (near field communication, en français, communication en champ proche, CCP). L’application, baptisée ABC, permettra d’acheter et de recharger des titres de transport à distance, de consulter son solde et de valider son titre avec le smartphone. Ont d’ores et déjà signé la convention ABC: Lille, Marseille, le conseil départemental du Var, Grenoble, Bordeaux, Toulouse, Rennes, l’Agence française pour l’information multimodale et la billettique (AFIMB) et le Gart (Groupement des autorités responsables de transport). « ABC résultera du marché passé par la centrale d’achat Ugap (union des groupements d’achat public) avec les opérateurs de téléphone mobile », explique Bruno Marie, responsable du projet et de l’offre de service billettique au sein d’AMP. Cette appli pourrait être lancée fin 2016-début 2017 sur les téléphones Androïd, la NFC n’étant pas disponible sur les iPhone.
En France, la mobilité intelligente représente déjà un marché de 4,5 Md€ de chiffre d’affaires, 45 000 emplois directs dans le secteur privé et plus de 1 000 entreprises. Outre le potentiel économique colossal pour les sociétés qui se lancent dans le secteur, les STI offrent de nombreux bénéfices aux voyageurs en termes de qualité de service, de fluidification des trafics, de gestion fine des réseaux et de réduction de l’impact environnemental, etc.
Au lendemain de la COP21, la France s’est engagée dans la dynamique mobilité avec la publication d’un livre vert sur la mobilité intelligente. Intitulé « Ensemble pour la mobilité 3.0 », le document a été remis par l’Atec (association qui rassemble une centaine de membres du secteur) à Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports, lors du congrès ITS à Bordeaux en octobre 2015.
Le livre vert suggère de bâtir un écosystème transversal (industriels ou opérateurs de services de transport/télécommunications et numérique/collectivités locales, clients et régulateurs/clients finaux), de coordonner les acteurs du secteur pour porter l’offre française et de favoriser l’émergence de projets innovants à l’échelle nationale et européenne.
« Nous allons installer le comité stratégique national Mobilité 3.0 en juin », annonce Louis Fernique. Il pointe les défis et les menaces qui planent sur le secteur (cyberisque, protection des données, ubérisation de l’emploi, etc.), voire même les effets pervers, citant l’exemple de la surmobilité. « Nous sommes dans un contexte extrêmement évolutif qui nécessite une adaptation continue. Les modèles à la mode sont démentis deux ou trois ans plus tard », avertit-il.
Depuis quelques années, le site internet Paca Mobilité se veut être une centrale de la mobilité régionale, recensant l’ensemble des informations relatives aux réseaux de transports des différentes AOT de la région, soit 1 535 lignes commerciales et 26 000 points d’arrêts. Ce site recense les transports en commun (bus urbains, car interurbains, LER), le mode ferré (TER, grandes lignes, Intercités), les modes doux (vélo, vélo en libre-service, covoiturage) et les véhicules particuliers sur les parcs relais. « L’enjeu des AOT consiste à promouvoir les services transversaux et à améliorer la coordination de l’offre disponible sur Internet, le site mobile, l’appli Androïd, sous iOS et code QR », explique Frédéric Deleuil, chef de service adjoint au service transport de la région Paca.
En un an, le nombre de visites sur le site a explosé, passant de 107 000 à 435 000 visiteurs en 2015. « Depuis quelques années, nous travaillons à la mise en place d’une tarification multimodale, afin de créer une interface entre les systèmes de billettique. Avec la loi Macron, les opérateurs vont mettre à disposition certaines données », poursuit Frédéric Deleuil. Et de préciser que pacamobilite.fr agrège également les données de lepilote.com, site du conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Pour Jean-Yves Petit, vice-président sortant de la région Paca en charge des Transports, ces sites pèchent par leur manque de réactivité vis-à-vis des usagers.
Aux côtés de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), l’agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (Agam) planche sur l’accessibilité des citoyens à leur territoire. Le logiciel Transport Analyst propose une modélisation des temps de parcours sur la métropole. « L’accessibilité varie selon les jours et l’heure. L’idée étant de trouver la meilleure solution dans le choix des infrastructures. Il s’agit d’une plateforme cloud, SaaS et open source qui s’appuie sur les données open data », détaille Vincent Tinet, rattaché au pôle Développement durable et Mobilités de l’Agam, chargé de piloter le projet. Porté par la mission interministérielle pour le projet métropolitain, Transport Analyst est financé par la Dreal.
Une première version a été testée au printemps 2013. « Notre ambition consiste à faire évoluer le logiciel et à le mettre à disposition des acteurs du territoire métropolitain », déclare le responsable. Un logiciel pour quel objectif? « Un demandeur d’emploi peut par exemple consulter ce logiciel pour connaître les offres d’emploi dans un périmètre où le temps de transport ne dépasse pas 30 minutes. L’outil a été déployé par l’agence des transports de New York et aux Pays-Bas », explique Vincent Tinet, qui n’exclut pas de collaborer avec la maison de l’emploi ou la chambre de commerce et d’industrie. Convaincu de la pertinence de ce logiciel dans l’amélioration des réseaux de transport, il explique que Transport Analyst n’est à ce stade qu’un prototype développé en interne. L’Agam nourrit l’ambition de développer une version grand public de ce logiciel, en intégrant notamment les parcs relais.
Face à ces nouvelles initiatives, suscitées par l’explosion des nouvelles technologies, le président de l’observatoire régional des transports Paca, Jean-Louis Amato, lance une mise en garde: « Nous devons évaluer les progrès techniques et faire en sorte d’éviter de tomber dans la gadgétisation ».
