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Formation

Les nouveaux dirigeants du transport

La nouvelle génération des dirigeants, dans les PME comme dans les grands groupes, doit apprendre l’art de la croissance dans un environnement mouvant. Et maîtriser le management des hommes. Le niveau de formation va s’élever.

Le 2 juin, à cause des grèves, le comité annuel d’orientation de l’École nationale supérieure du transport de voyageurs (ENSTV) a été reporté en septembre. Dommage! La profession, promise à un bel essor mais aussi bousculée, ne voulait peut-être pas attendre pour ajuster les programmes de son école. Tous les ans, c’est en effet durant ce comité que sont décidés les changements de programme. Et il est vrai que ceux qui sortiront de l’ENSTV devront être formés différemment.

Profil des entrants

Une nouvelle génération de dirigeants arrive aux commandes: « La quatrième génération des patrons de PME de père en fils. Les tout frais diplômés attirés par un secteur en essor. Les purs investisseurs-entrepreneurs, créateurs de niches, comme dans le marché des véhicules de moins de 10 places », analyse Vincent Baldy, directeur adjoint au développement de l’Aftral (Apprendre et se former en transport et Logistique), premier organisme de formation professionnelle du secteur avec 10 000 conducteurs et dirigeants formés tous les ans.

Ils sont diplômés bac + 2 (technicien) et bac + 3 (responsable de production), obtenant par équivalence l’attestation de capacité, nécessaire à tout chef d’entreprise et à tout dirigeant de filiale depuis la dernière réforme de l’accès à la profession. Ces diplômes sont, avec les DUT, BTS et Masters spécialisés en transport à l’université (souvent aussi tournés vers les marchandises), les voies de formation des patrons de PME, celles que beaucoup de chefs d’entreprises familiales ont fait emprunter à leurs enfants.

Un renouvellement conséquent

La nouvelle génération s’installe aussi dans les grands groupes, pour remplacer les directeurs d’exploitation et les experts des fonctions support qui partent à la retraite, espérant devenir les futurs directeurs de filiales. Au lieu d’entrer par la petite porte, après des formations spécifiques au transport, voie toujours possible, et grimper les échelons des responsabilités par promotion interne, ils débarquent souvent des écoles d’ingénieurs ou de commerce, tombés par hasard dans le transport ou attirés par des carrières à l’international. Car les groupes français offrent ce type de perspective, en route vers des postes de direction.

Partout, le besoin de renouvellement est conséquent. Rien que l’an dernier, Transdev a remplacé 41 directeurs de service ou de société de son réseau. Dix-neuf ont été recrutés par mobilité interne à échelon comparable; 15 par promotion, essentiellement des responsables d’exploitation; 7 par recrutement externe. À ces niveaux de responsabilité, la moyenne d’âge est de 45 ans. « Ce ne sont pas des postes que l’on confie à des juniors, explique Olivier Gillet, directeur de gestion des carrières et de la mobilité pour Transdev France. Et nous privilégions toujours les recrutements en interne. Mais dans les métiers nouveaux, comme le digital et les plateformes numériques, nous n’avons pas le choix. Il faut recruter au dehors. Longtemps, nous avons eu du mal à le faire. Le transport public, monde de bus et de trams, n’apparaissait pas au radar des nouvelles générations. Mais les jeunes du numérique ont compris que nous pouvions devenir un secteur d’avenir pour eux. Nous recrutons parmi eux mieux qu’il y a deux ou trois ans. »

Des seniors et des femmes

Dans les groupes, et de plus en plus souvent dans les PME, les futurs dirigeants sortent d’écoles d’ingénieurs ou de commerce. « Celles-ci apportent une réponse bien plus performante pour nos entreprises qu’il y a quinze ans », signale Michel Seyt, président de la FNTV (Fédération nationale des transports de voyageurs). La dualité ingénieurs-commerciaux continue d’avoir du succès. « Nous aimons ces équipes de direction mixtes, voire plus diversifiées encore, explique Olivier Gillet, chez Transdev. Plus vous brassez les origines professionnelles, plus vous avez d’idées autour de la table. Les formes nouvelles de mobilité et la rapidité des évolutions qui s’imposent, en six mois au lieu de cinq ans, obligent à la créativité. C’est pourquoi nous cherchons des femmes et recrutons aussi des seniors, venus d’autres secteurs comme l’industrie. C’est toujours l’expérience dans la direction de business units, dans le management qui nous guide. Car notre métier consiste avant tout à manager des hommes. Nous diversifions les profils. Une tendance lourde se dessine. Dans un job, même très opérationnel, mieux vaut avoir un ingénieur très tourné vers le client, l’homme, l’humain. »

Pour intégrer les jeunes générations, Transdev a mis en place sa pépinière. Une formation en interne de diplômés d’écoles de commerce et d’ingénieur depuis deux ans au maximum. Ils sont placés en immersion dans une société du groupe, en surnombre dans une équipe, et soumis en parallèle à un programme de formations maison sur les outils et la culture du groupe. Au bout d’un an, ainsi passés au « vernis Transdev », ils sont remis à la disposition du groupe. À coup de promotion d’une trentaine de personnes par an, sont ainsi traités les postes les plus en tension: responsable d’exploitation, chef de bureau d’étude, responsable de service du parc et de la maintenance. La route s’ouvre naturellement vers des directions de filiales. Ce modèle existe aussi chez Keolis. Car Postal, qui n’a pas la taille suffisante, l’envie. « Cela peut-être considéré comme un plus », note Yveline Hurel, DRH du groupe.

Vernis transport sur formations généralistes

Le même vernis transport pour des diplômés bac + 5 est accessible, hors des groupes, à l’Aftral ou à l’Ifrac, autre grand centre de formation au transport et à la logistique. « Après leurs études généralistes, nous leur apportons les fondamentaux du secteur, l’ensemble des techniques de construction et de gestion d’un service de transport », explique Vincent Baldy de l’Aftral. La formation se fait en alternance. Les mises en situation en présence de professionnels sont la règle. Ces dernières années, l’accent a été porté sur la façon de remporter les appels d’offres et sur le management opérationnel. Par ailleurs, l’Aftral réécrit en ce moment son programme à l’intention des chefs d’entreprises. « Le numérique n’est pas encore un sujet. Mais notre prochain catalogue comportera une formation sur le SAEIV. Bien des entreprises s’en sont dotées. Nous étudions la réflexion que le chef d’entreprise a à mener », précise Vincent Baldy.

À l’Ifrac, qui propose une quinzaine de modules de formation pour managers, on insiste sur l’environnement mouvant (institutionnel, politique, social) du chef d’entreprise. Pour Claude Cibille, responsable du développement, le patron de PME, ou le cadre d’un groupe, est fondamentalement « manager d’alliances ». Il doit concilier les exigences du donneur d’ordre comme celles du client, de l’entreprise et de ses salariés. Il doit innover. Lui qui ne mettait en place qu’une offre doit désormais créer sa demande. Cette position de chef d’orchestre conditionne le programme des formations. « Notre veille sur les contenus passe par une association que nous avons montée avec des acteurs de la mobilité. Nous travaillons aussi avec des plateformes numériques », explique Claude Cibille. L’Ifrac met en avant sa forme d’enseignement, adaptée au chef d’entreprise en formation continue: le blended learning, mixage d’apprentissage à distance sur ordinateur et de présence d’un formateur, en cours ou sur le terrain, qui va jusqu’à l’accompagner dans la mise en pratique des enseignements.

Évolution de la relation au travail

Primordiale parmi les compétences indispensables à la jeune génération de dirigeants: la capacité de management. L’art d’entraîner les hommes n’a pas changé que dans le transport. « La relation des jeunes au travail, à la société, s’inscrit dans une révolution sociétale. C’est plus culturel que lié à un niveau de formation. Pour entraîner les jeunes comme les anciens, un jeune dirigeant à intérêt à ne pas lire que les revues spécialisées en transport public », fait remarquer avec humour Gildas Lagadec, jeune directeur de Transdev en Bretagne et en Pays de la Loire.

L’efficacité passe par un management moins hiérarchique qu’avant, qui suscite l’implication et l’engagement des salariés. Dans une activité de service, c’est plus fondamental qu’ailleurs. « Chez nos cadres, nous recherchons surtout des capacités managériales », confirme Yveline Hurel chez Car Postal. Le groupe a placé Dominique Cazalens à la tête de Grindler, l’autocariste qu’il a racheté en décembre à Grenoble. Aucune expérience dans le transport, mais un riche passé de meneur d’équipes dans l’humanitaire et à l’étranger. Car Postal fait même de l’art de diriger des équipes le principal objet de la formation des cadres. Elle retravaille sans cesse la question avec l’aide d’un consultant en management. Depuis trois ans, des modules ont été rajoutés sur la gestion du stress, la gestion du temps et l’optimisation de l’organisation personnelle. « Entraîner, motiver, recadrer, bien se positionner, il y a toujours besoin de rappels », explique-t-il. Pour Tristan Buscato, son consultant en management (le cabinet Neom à Lyon), Car Postal, qui en parallèle révise régulièrement avec tous ses cadres, jeunes ou vieux dans leur poste, les valeurs du groupe (respect, proximité, transparence), pratique avec ce management collaboratif un art susceptible de répondre aux besoins des nouvelles générations. « Ce management est très équilibré, entre l’humain et le collectif d’un côté, les exigences de résultat et de rentabilité de l’autre. »

La hauteur de vue est essentielle

Autre incontournable pour le jeune dirigeant, une vision large du métier. « La jeune génération a une certaine hauteur de vue. Elle est bien plus dans les attentes de mobilité de la société que dans la façon d’emmener des clients d’un point A à un point B. Elle a intégré le numérique. Elle comprend le fonctionnement démographique et économique des territoires qu’elle dessert », explique Gildas Lagadec. Tout cela ne passe pas seulement par des formations. Car Postal garde ses cadres « en contact » avec le « cœur des connaissances » sur le métier, en les envoyant régulièrement en Suisse « voir ce qui se passe » à la maison mère, « extrêmement innovante » via son laboratoire de la mobilité. Pas de cours, mais de l’observation, du benchmark. À eux d’imaginer les innovations de retour à leur poste. Car Postal tient des « groupes métiers ». Un comité mixte des directeurs de l’urbain et de l’interurbain a lieu tous les trois mois. Beaucoup de rencontres, de côtoiement, mais pas de cours. Les cadres sont acteurs de leur propre formation comme du reste de leur parcours professionnel.

Il reste à cette nouvelle génération, comme l’explique Michel Seyt, à « se confronter brutalement à la logique d’upérisation dans laquelle est entrée la profession, les yeux tournés au quotidien sur l’évolution des techniques. La formation, au regard de tout ça, est inexistante. Simplement, on est mieux armés à 25 ou 30 ans qu’à 50 pour y répondre », ajoute-t-il. Et d’insister sur l’exigence de croissance, plus forte qu’auparavant, pour les dirigeants de PME. Cela les oblige à davantage de souplesse et d’adaptation, et toujours de productivité, tout en réussissant sur tous les fronts de la qualité managériale, sociale et environnementale. Une compétence multiple qui est le propre d’un chef d’entreprise. Elle exclut, à son avis, le fait que tous les patrons de PME sortent à l’avenir, d’un même moule, comme les écoles de commerce. Il est néanmoins probable que d’un bac + 2, qui est la norme de la nouvelle génération des patrons de PME, ils passent à bac + 5 assez vite.

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Auteur

  • Hubert Heulot
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