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Le téléphérique urbain prend son envol

À Brest, la Penfeld coupe la ville en deux. Dès cet automne, pour compléter les deux ponts existants, un téléphérique urbain permettra aux habitants d’accéder aux rives partiellement occupées par l’arsenal. Ce choix audacieux et adapté à la topographie de la communauté urbaine de Brest, qui a voté ce projet à l’unanimité fin 2011, a donné des idées à de nombreuses collectivités, prêtes à imiter ces pionniers du transport par câble dans l’Hexagone

Le premier téléphérique urbain français sera inauguré début novembre dans la communauté urbaine de Brest, Brest Métropole Océane (BMO). À la différence des œufs de Grenoble dont l’usage est principalement touristique, le métrocâble* brestois, qui poursuivra ses essais tout l’été, a été intégré au réseau des bus et des tramways. Pour franchir le Penfeld, la ville a donc opté pour ce mode de transport doux, léger et économe. Il serait, en effet, trois fois moins coûteux qu’un pont levant, dont l’investissement avait été évalué par la communauté urbaine de Brest à 60 M€.

Le câble, un mode dans l’air du temps?

L’exemple brestois a donné des idées à d’autres agglomérations françaises. Dans les vingt ans à venir, le transport par câble devrait faire florès dans l’Hexagone. Stéphane Gautier, directeur de l’activité Ville & Mobilité du cabinet d’ingénierie Ingérop, observe depuis quelques années un réel frémissement, citant des projets dans le Val-de-Marne, à Toulouse pour le franchissement de la Garonne, à Grenoble ou la Défense. « Après le tramway au début des années 2000, cela peut être le nouvel investissement à la mode du transport urbain. En ce moment, nous réalisons de plus en plus d’études préliminaires. »

Christian Bouvier, vice-président de POMA, entreprise française conceptrice de solutions de transport par câble, est plus nuancé. Il constate plus un « sursaut de réflexion qu’un sursaut d’activité. Disons que le téléphérique urbain est en train de rentrer dans l’imagination des décideurs français ». Avant tout selon lui, ce mode de transport « complémentaire » a vocation à se greffer au réseau de transport urbain, « pour un meilleur maillage » avec les lignes de bus, de tram, voire de métro. Son installation pourrait avoir le mérite de participer au désenclavement de certains quartiers pauvres ou au renouveau de territoires oubliés à cause de leur situation géographique. « Le transport par câble est imbattable quand il s’agit de grimper une côte, de franchir un cours d’eau ou d’enjamber un obstacle comme une voie ferrée, une autoroute. »

D’autres arguments plaident en faveur d’une propagation massive du transport par câble dans les villes françaises. Comme à Brest, le coût de cette infrastructure légère séduit d’ores et déjà les élus des agglomérations qui doivent digérer les investissements conséquents consentis ces vingt dernières années pour le retour du tramway dans les centres urbains. La rapidité des travaux – entre 12 et 24 mois, sans gêner la circulation – et l’exemple de métropoles mondiales, New York aux USA ou Medellín en Colombie, ont de quoi rassurer les décideurs qui peuvent aussi compter sur les récentes évolutions légales, propices à l’accélération des projets.

Un projet de loi ad hoc

Ainsi, le mardi 3 février 2015, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, a-t-elle présenté un projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2015-1495 du 18 novembre 2015, relative à l’instauration de servitudes d’utilité publique pour le transport par câble en milieu urbain. Ce texte fait suite à un amendement à la loi du Grenelle 1, porté par deux députés, Martial Saddier (LR, Haute-Savoie) et François Brottes (PS, Isère), lequel reconnait officiellement le transport par câble comme un mode de transport complémentaire et vertueux car écoresponsable et économe.

Jusqu’ici, la loi – qui datait de 1941 – rendait ce mode de transport inapplicable en dehors des zones de montagne. « En France, on considérait que le transport par câble ne répondait pas aux objectifs de sécurité. Avec cette ordonnance**, le législateur a instauré des servitudes d’utilité publique de libre survol, de passage et d’implantation des dispositifs indispensables à la sécurité », se félicite le vice-président de POMA. Cette ordonnance devrait donner un coup d’accélérateur sans précédent pour des projets qui attendent un heureux dénouement depuis parfois plus de dix ans. « Leur réalisation sera facilitée », avait alors promis Ségolène Royal lors de sa présentation du projet de loi de ratification de l’ordonnance en Conseil des ministres, ajoutant que « la construction de ces projets bénéficiera de l’expérience acquise avec le premier équipement urbain de ce type qui doit ouvrir à Brest en 2016 avec le soutien financier de l’État ».

Aller plus loin que la loi

Pour Christian Bouvier, ce cadre légal éclairci ne suffira pas à éteindre les oppositions à certains projets. « Il faut aller plus loin et démontrer les bénéfices sociaux et sociétaux », avance-t-il, très marqué par le projet avorté d’Issy-les-Moulineaux. « Le maire André Santini voulait relier la station de métro au Fort d’Issy. Ne voulant pas de ce téléphérique pour desservir le nouveau quartier, des dizaines d’habitants avaient constitué le groupe « Touche pas à mon ciel ». On comprend mieux aujourd’hui pourquoi il a abandonné ce projet qui avait été imaginé dix ans trop tôt ». C’est la raison pour laquelle le 16 juin, POMA a signé un partenariat de trois ans avec l’ONG WWF France, le Fonds mondial pour la nature, afin « d’accompagner le développement de projets pilotes du transport par câble responsable comme solution de mobilité urbaine » et réduire l’impact carbone de ses installations. Il faudra néanmoins beaucoup de pédagogie pour convaincre les derniers réfractaires, comme la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) qui se méfie de ce nouvel effet de mode: « le téléphérique peut être un outil utile dans certains cas, mais pas partout. Il faut donc l’utiliser avec intelligence ».

(*) L’expression « métrocâblé » a été utilisée pour la première fois au début des années 2000, au moment de la mise en circulation du téléphérique de Medellín.

(**) Ordonnance 2015-1495 du 18 novembre 2015, parue au Journal officiel le 20 novembre 2015.

Le téléphérique séduit les villes françaises

Si Brest est bien la première ville française à s’équiper, d’autres collectivités rêvent de suivre les pas de cette communauté urbaine qui table sur un trafic annuel d’au moins 675 000 passagers.

En Île-de-France, le Stif (syndicat des transports d’Île-de-France) veut mener à bien le projet de téléphérique urbain entre Créteil et Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) qui franchira une autoroute sur une distance de 4,4 km.

Estimé à 72 M€, le futur Téléval est annoncé pour 2018. Né au lendemain de la catastrophe d’AZF il y a presque quinze ans, le projet de Toulouse consiste à construire un téléphérique pour rallier l’université scientifique Paul-Sabatier à l’Oncopôle. Les deux sites, distants de 2,6 km, sont séparés par deux obstacles infranchissables à moindre coût: la colline de Pech-David et la Garonne. Le 20 juin, les groupes candidats à la construction du téléphérique urbain sud (Tus) vont déposer leurs projets. Les principaux constructeurs, leaders mondiaux, se battent pour remporter ce match toulousain.

À Grenoble, la communauté d’agglomération Grenoble-Alpes Métropole souhaite relier la commune de Fontaine (dans la cuvette grenobloise) à Lans-en-Vercors, une station de ski au-dessus de la préfecture de l’Isère, pour un investissement de 50 M€.

Un autre équipement d’envergure doit émerger à Orléans. Dès 2017, un téléphérique survolera le nouveau quartier d’affaires Dessaux relié à la gare de Fleury-les-Aubrais. Le trafic annoncé se situe entre 1 000 et 2 000 voyageurs par heure.

Enfin, des villes telles que Strasbourg, Gisors, Aix-en-Provence, Toulon ou Beauvais s’intéressent aussi de près à cette technologie. Certaines ont déposé des dossiers pour recevoir des financements de l’État.

POMA, l’équipementier français

Fondée il y a 80 ans par l’ingénieur franco-polonais Jean Pomagalski, l’entreprise, aujourd’hui présidée par Jean Souchal, a réalisé plus de 8 000 installations à travers le monde, principalement dans les stations de ski et, depuis quelques années, dans les transports urbains.

Son chiffre d’affaires 2015 – réalisé aux deux tiers à l’export – s’élève à 290 M€. POMA emploie 938 personnes dont 630 dans ses sites industriels français. Rachetée en 2000 par l’italien HTI BV, également propriétaire de son concurrent transalpin Leitner, l’entreprise iséroise est en train de construire une nouvelle unité industrielle à Gilly-sur-Isère (Savoie), dans la vallée de la Tarentaise, afin d’absorber des perspectives de croissance prometteuses.

Si les sports d’hiver représentent toujours 60 % du chiffre d’affaires de la société, il semble acquis que les segments d’activité tourisme et transport urbain vont prendre de l’ampleur. Les attractions touristiques, avec les capsules des grandes roues de Londres et de Las Vegas (record mondial avec 168 mètres de haut), ou la plus haute tour d’observation ascensionnelle (162 m) inaugurée cet été à Brighton (Angleterre) valorisent l’image de l’entreprise partout dans le monde.

Dans le transport urbain, les téléphériques de Medellín, Alger ou New York font figure d’exemples. « La culture du transport par câble est plus forte à l’étranger qu’en France, où pourtant les problématiques liées aux reliefs des villes ne sont pas moins fortes », assure Christian Bouvier, vice-président de l’entreprise.

L’Amérique du Sud et l’Algérie, le pays qui possède le plus d’unités de transport par câble dans le monde, ont été en quelque sorte les précurseurs d’une mode qui devrait conquérir sous peu l’Europe. En France, le téléphérique urbain de Brest lui ayant échappé, l’équipementier isérois fait le forcing pour remporter les nouveaux marchés. La RATP a d’ailleurs noué un accord d’échange d’informations avec POMA concernant le transport par câble en milieu urbain.

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Auteur

  • Xavier Renard
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