Les principaux constructeurs s’apprêtent à répondre à la deuxième vague du vélo en libre-service qui devrait intégrer une dimension électrique. Ce réel saut qualitatif pour l’usager incite toutefois les collectivités à la prudence.
« Nous visons ceux qui ne veulent pas transpirer, et veulent utiliser le vélo pour aller plus vite ou faire de longues distances. » Yann Rudermann, président-directeur général d’Effia Transport, filiale de Keolis spécialisée dans la mobilité active, veut convertir un nouveau public au vélo libre-service (VLS). Née en France en 2005 avec le Vélov’ lyonnais, l’offre est aujourd’hui riche de 40 000 bicyclettes dans 39 collectivités. JCDecaux, Smoove et Effia Transport, qui se partagent 90 % du marché, sont prêts à proposer un nouveau service: l’assistance électrique. Encore faudrait-il que la demande suive.
Lancé à Madrid en 2014 et à Monaco en 2013, le vélo à assistance électrique (VAE) repose toujours sur la contribution du cycliste. La batterie rechargeable envoie l’énergie à un moteur auxiliaire, pour amplifier le mouvement du pédalier et non se substituer à lui. L’intérêt pour les collectivités? Viser un public plus large, rebuté jusque-là par la distance ou l’effort. La part modale du vélo dans les villes françaises, de 3 % en moyenne aujourd’hui (contre 70 % pour la voiture et 15-20 % pour les transports en commun), pourrait décoller. Les VAE font par ailleurs l’objet d’un réel engouement, il s’en est vendu 77 500 en France en 2014, en progression de 37 % par rapport à 2013. Le modèle le plus courant autorise une vitesse de 25 km/h, avec une autonomie de 30 à 100 kilomètres.
Smoove, qui gère les réseaux de VLS de Montpellier, Clermont-Ferrand et Avignon, ne veut pas rater le tournant. La firme a voulu anticiper la demande des collectivités en créant le e-bike Smoove: « Ce vélo a été pensé pour devenir électrique à la demande. Le moteur est dans la roue avant et la batterie est contenue dans le cadre, mais la bicyclette peut fonctionner sans eux. Une ville pourra acquérir cette nouvelle gamme et la faire évoluer vers l’électrique quand elle le voudra », argumente Hélène Papa, responsable de la communication. L’idée est de convaincre les élus, rendus hésitants par le coût du VAE (2 fois supérieur à celui d’un VLS classique), en expliquant que « ce qui coûte le plus cher, c’est la batterie. Les collectivités ne savent pas encore si le VAE va marcher et sont donc prudentes. On les laisse faire l’essai ». C’est là que le bât blesse: aucune commune ou agglomération n’a pour l’instant signifié formellement à Smoove son intention d’introduire du VAE dans son offre de VLS.
À Orléans et Laval, on a déjà sauté le pas. Effia Transport fournira à ces deux villes un parc de VAE dès 2017. À Laval, le service de VLS Vélitul proposera 50 VAE en 2017, puis 100 en 2019. La location de la batterie sera facturée à l’abonné 50 € par an, pour une autonomie de 8 km. « Le trajet moyen d’un VLS, c’est 1,4 km. À quoi servirait une autonomie de 70 km? Et pendant le temps de la recharge, on diminue la disponibilité », justifie Yann Rudermann. À la différence de la location longue durée, où l’utilisateur acquiert un VAE plus lourd et doté d’une grande autonomie, le VAE libre-service d’Effia s’accommode d’un système souple, « sans construction d’infrastructures, avec des coûts maitrisés et une petite batterie rechargeable en deux heures ». Grâce à leur compatibilité avec les stations existantes, les VAE en libre-service « profiteront du renouvellement annuel des flottes pour s’intégrer naturellement ». À l’instar de Smoove, le vélo est utilisable sans la batterie, ce qui ne devrait pas frustrer les puristes et rendra le parc accessible à tous. Effia Transport chiffre l’innovation entre 1 000 et 1 200 € l’unité, environ une fois et demie le coût d’un VLS classique.
Alors que les VLS sont déjà onéreux, les collectivités peuvent-elles se permettre d’investir dans le VAE? Service quasiment gratuit pour l’utilisateur, il dépasse largement le seul prix d’achat pour les agglomérations: régulation pour remplir les stations vides, entretien quotidien et vandalisme font monter la facture. À l’arrivée, le coût annuel par vélo monte à 2 400 à Rennes, 3 000 € à Marseille et 4 000 € à Paris, selon Mobiped, cabinet de conseil en mobilité durable. En 2014, Valence et Pau avaient d’ailleurs failli imiter Aix-en-Provence qui avait décidé d’arrêter son système de VLS en 2011. « Paris et Lyon ont toutes deux indiqué qu’elles souhaitaient développer la part de l’électrique », assure toutefois Albert Asséraf, directeur de la stratégie chez JCDecaux. Les deux villes ont publié les appels d’offres pour renouveler les contrats de VLS qui arrivent à échéance en 2017.
Le leader du mobilier urbain va sans doute proposer son e-VLS, présenté au mois d’avril 2015. Similaire au Vélib’ actuel, sa batterie dure 10 km et sera confiée à l’utilisateur.
À Paris, l’abolition de la limite de 1,5 km au-delà du périphérique pourrait décupler les distances parcourues par ce nouveau Vélib’. Le contrat porté par le syndicat mixte Vélib’ Métropole, formé par Paris et les villes de la petite couronne, supprime en effet cette limite, posée par le Conseil d’État en 2008. Pour JCDecaux, qui détient 70 % du marché du VLS en France, le moment est charnière. À la différence d’Effia et de Smoove, le publicitaire est bloqué par un cadre contractuel rigide. Basé sur un financement publicitaire, avec des coûts et des recettes fixes, il est difficile de le modifier par voie d’avenant en cours de période. Le renouvellement de 2017 constitue donc une fenêtre où des innovations telles que le VAE peuvent être introduites. Avant de pouvoir compter sur l’électrique, il va falloir encore un peu transpirer.
Le bureau d’études 6T a publié en mars 2015 une étude sur les comportements de 400 utilisateurs du vélo à assistance électrique dans quatre pays (France, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni). L’enquête fait ressortir que le VAE n’est pas réservé aux personnes âgées: la moyenne d’âge des répondants est de 40 ans et deux tiers d’entre eux sont des actifs employés. La portée moyenne d’un trajet en VAE est de 9 km, au même niveau que les transports en commun, mais supérieur au véhicule individuel (6,2 km). 49 % des usagers interrogés déclarent d’ailleurs moins utiliser la voiture depuis qu’ils ont adopté le VAE, notamment pour ses coûts d’utilisation bien inférieurs à ceux d’une voiture personnelle. Concernant l’offre portée par la collectivité, l’étude met en lumière une plus forte tendance à posséder un VAE qu’à le partager: 66 % des répondants sont intéressés par une location longue durée, contre 33 % par une location en libre-service.
