Le rendez-vous berlinois reste incontournable. Tous les deux ans depuis 1998, le succès du plus grand forum ferroviaire mondial ne se dément pas. D’autant que pour la onzième édition, la conjoncture de l’industrie ferroviaire mondiale reste au beau fixe, et sur presque tous les continents. Enfin, une tendance technologique au tout électrique est portée par les innovations d’Alstom et de Bombardier.
Depuis 2006, la tradition veut que le spectacle qu’est désormais InnoTrans commence avec L’Unife (Union des industries ferroviaires européennes). Cette année, elle a présenté son étude World Rail Market Study, panorama de la conjoncture de l’industrie ferroviaire mondiale, préparée en collaboration avec le cabinet Roland Berger. L’étude couvre la période 2016-2021 et analyse les marchés ferroviaires de 60 pays considérés comme accessibles, ce qui ne veut pas dire – et loin de là
Durant la période 2013-2015, le chiffre d’affaires annuel moyen de l’industrie ferroviaire mondiale a atteint 159,3 Md€, un résultat en hausse de 3 % par rapport à la période 2011-2013. Les activités se distribuent sur cinq postes principaux: les matériels roulants (33,7 %), l’infrastructure (18,6 %), la signalisation et les systèmes (8,8 %), la gestion clés en main (0,4 %) et les services (38,5 %). Ces derniers peuvent inclure jusqu’à une offre globalisée associant études, réalisation des infrastructures et des équipements, fourniture des matériels roulants et leur maintenance, voire d’autres prestations. Un ensemble qui dépasse désormais le cœur de métier initial, la construction des matériels. Même si les chiffres peuvent parfois être quelque peu brouillés par la superposition de certaines tâches
En tout état de cause, le marché ferroviaire mondial s’est caractérisé depuis 2013 par un dynamisme essentiellement porté par le développement urbain (plus de 8 000 rames de métro et de tramway vendues en trois ans dans le monde) et par la signalisation. L’impact de la grande vitesse reste à la marge, tandis que le fret, activité cyclique s’il en est, commence à souffrir de difficultés. Elles sont liées au ralentissement des pays émergents et au marché russe, baisse du coût des matières premières à la clé, notait Henri Poupart-Lafarge, président d’Alstom Transport, lors de sa conférence de presse du 20 septembre.
Les prévisions de l’étude de l’Unife tablent sur la continuité de l’expansion de ce marché avec une moyenne annuelle de 2,6 % jusqu’en 2019-2021, ce qui permet d’envisager un niveau à hauteur de 185 Md€ en 2019. Un fort ralentissement de la progression observé en Russie-CIS (+ 0,9 % par an) serait moindre en Amérique du Nord (+ 2,2 %), en Amérique latine (+ 2,3 %) et en Asie-Pacifique (+ 2,6 %). L’Europe occidentale (+ 3,1 %), l’Europe centrale (+ 2,8 %), l’Afrique et le Proche-Orient (+ 3 %) afficheraient des taux d’expansion supérieurs à la moyenne mondiale.
Les tendances structurelles sont confirmées par les objectifs officiellement affichés des leaders de l’industrie ferroviaire. Chez Alstom, la part de la vente de systèmes dans l’ensemble d’un chiffre d’affaires de 6,9 Md€ (plus 10,6 Md€ de commandes en cours) est passée de 25 % en 2012 à 35 % en 2016. Mais « cette évolution se fait presque totalement hors du marché européen qui reste de structure assez classique », précise Benoît Perrin, responsable marketing.
De son côté, durant sa conférence de presse du 21 septembre, après avoir mis en avant les résultats du groupe en 2013-2015 et des perspectives qui seraient toutes aussi prometteuses pour 2016-2018
Le tout électrique crée l’événement technologique d’InnoTrans 2016 au côté de la digitalisation ferroviaire, notamment au profit de la maintenance prédictive et de l’automatisation de la conduite. Cette dernière a été marquée par un accord entre Deutsche Bahn Aktiengesellschaft (DB ou DB AG, Société anonyme des chemins de fer allemands) et la SNCF, le jour même de l’ouverture d’InnoTrans. L’objectif est d’aider l’harmonisation européenne dans ce domaine alors que de nombreux groupes ont mis en avant leurs solutions à Berlin: Alstom avec le Trainscanner, Bombardier avec sa gamme OptiFlow, et Siemens avec les différents niveaux de son système GoA associant automatisation intégrale de la conduite et annonce des données de maintenance. L’industriel expose à Berlin pas moins de sept véhicules, dont le métro pour Ryad, la rame à grande vitesse Velaro pour la Turquie et la nouvelle rame Desiro pour l’Autriche. Il met également en avant son tramway Avenio. Le suisse Stadler quant à lui, outre son tram-train Citylink, proposait sa rame à grande vitesse EC 250 pour les CFF et la nouvelle ligne du Gothard.
Alstom et Bombardier se lancent dans la même voie du tout électrique afin de s’affranchir au maximum de la traction diesel, essentiellement au profit du trafic voyageur régional
Le Coradia iLint se fonde sur une technologie très innovatrice avec des piles à combustible associant un stockage d’énergie en batterie, technologie à laquelle participe en R& D le site français de Tarbes, rappelle Alstom. Les premières sont installées en toiture et chargées avec de l’hydrogène dans des stations ad hoc, elles alimentent les secondes installées en bas de caisse. Dans ce circuit, jugé vertueux en raison de l’interaction entre les deux éléments qui joue des besoins en énergie, le stock d’hydrogène mélangé avec l’air alimente la chaîne de traction électrique qui actionne le train via les batteries, « les seules émissions étant la vapeur et l’eau condensée », assurent les concepteurs.
La gamme des rames Talent 3 vise la même ambition: associer l’innovation sous plusieurs formes. Outre l’ERTMS équipé d’origine et l’offre d’une version à 200 km/h, c’est la technique d’alimentation issue de la plateforme Primove du groupe qui constitue le saut technologique majeur avec la présence de batteries en toiture. Chargées par la caténaire sur les lignes électrifiées, et hors lignes électrifiées par le système à induction Primove installé dans certaines gares, les têtes de ligne ou les centres de maintenance (il faut vingt minutes pour effectuer une charge complète, assure le constructeur), elles devraient offrir une autonomie de plusieurs centaines de kilomètres.
Ces technologies qui explorent des voies différentes ont, sans doute pour cette raison, toutes deux eu un coup de pouce financier de l’État allemand qui veut stimuler des solutions ferroviaires tout électrique. L’iLint a bénéficié, outre l’appui fédéral d’un montant de 8 M€, d’un partenariat multirégional qui avait été initié à l’occasion d’InnoTrans 2014 avec la Basse-Saxe, la Rhénanie-du-Nord–Westphalie, la Hesse et le Bade-Wurtemberg. Talent 3 a obtenu 4 M€ qui seront investis en partenariat avec l’université technique de Berlin et le Bade-Wurtemberg.
Si la diversification nationale grandissante des exposants est réelle (voir encadré), c’est la part de constructeurs de l’Europe centrale proche qui, au fil des années, marque de plus en plus la répartition des entreprises présentes à InnoTrans. On a pu voir notamment la loco transfrontalière Skoda classe 102 acquise par la Deutsche Bahn, la rame DART, le tramway Krakowiak et la rame Impuls des polonais Pesa et Newag et la rame diesel à plancher bas du Croate Koncar.
Cette offensive, dans laquelle l’histoire et la géographie rattrapent l’économie, pose la question de la politique industrielle européenne. Car cette irruption de nouveaux constructeurs est fortement stimulée par les retombées des fonds de cohésion européens qui, côté ferroviaire, financent aussi bien les grands corridors transeuropéens que nombre de projets nationaux de transport urbains, suburbains, régionaux et intervilles.
Si on se limite au seul cas polonais, on constate que ces retombées sont considérables pour l’industrie locale. De 2008 à 2015 les deux principaux constructeurs ferroviaires du pays
(1) Il faut rappeler les restrictions liées à l’American Buy Act aux USA ou au marché japonais qui se trouve quasiment verrouillé.
(2) Europe occidentale, Europe centrale, CIS (ex-URSS), Afrique et Proche-Orient, Asie-Pacifique, Nafta (Amérique du Nord), Amérique Latine.
(3) Les contrats globaux peuvent se trouver inclus ou non dans la part des services au sens large, ce qui soustrait des montants importants au chapitre des matériels roulants.
(4) Soit 65,1 Md€ pour les années 2016-2018, dont 50,7 % pour les matériels roulants, 30,1 % pour les services et 19,2 % pour la signalisation.
(5) Alstom et Bombardier proposent des solutions fret type dernier kilomètre, avec des locomotives mixtes ou hybrides pour les courts trajets et les manœuvres sur infrastructures non électrifiées.
(6) Dans le monde du bus, Solaris offre une évolution tout à fait comparable, et l’entreprise prend d’ores et déjà son envol côté tramway. Un Tramino pour Olsztyn était exposé à Berlin.
(7) La première des rames Link, destinée au réseau du NEB (Brandebourg), était exposée à InnoTrans. Un contrat qui entrerait dans l’accord-cadre signé avec la DB en 2014, soit 1 Md€ pour 470 rames d’ici 2020.
Elles sont deux cents de plus qu’il y a deux ans. Le nombre des entreprises de l’industrie ferroviaire mondiale présentes à Berlin, 2 940 exposants venus de 61 pays*, frôle la barre des 3 000! Côté visiteurs (on attend encore les chiffres), l’objectif vise à dépasser les résultats de l’édition 2014 avec 135 600 visiteurs venus de 146 pays.
Si les entreprises allemandes regroupent 40 % des exposants, on constate que parmi les 1 764 autres entreprises, la répartition géographique est en profonde évolution.
Alors que l’Autriche (5 %), les pays du Benelux (3,9 %), le Royaume-Uni (6,8 %), l’Espagne (4,5 %), l’Italie (10,9 %), la France (12,4 %), la Suisse (6,1 %) et les pays scandinaves (6,21 %) continuent d’apporter les plus gros bataillons des entreprises exposantes, les pays d’Europe centrale (13,4 %), République tchèque et Pologne en tête, comptent de plus en plus, et les entreprises turques (2,4 %) prennent leurs marques. Les exposants chinois (8,5 %), aux stands spectaculaires, dépassent largement en nombre les Japonais (2,3 %), les Coréens (2,4 %), les Américains du Nord (4,3 %), les Australiens (1,25 %) et les pays de l’ex-URSS (2,7 %).
Tous ces exposants remplissent aisément les 20 000 m2 de stands répartis sous six halles, auxquelles s’ajoutent les voies d’exposition extérieures des matériels roulants. Elles regroupaient cette année 114 véhicules (un nombre toutefois en baisse de 12 % par rapport à 2014), depuis les locomotives et les rames automotrices de tout type jusqu’aux wagons spécialisés, sans oublier une large gamme d’équipements et d’engins de chantier de construction et de maintenance ferroviaire, parmi lesquels on trouvait de très nombreux véhicules rail-route.
*Pour la première fois, étaient présents des industriels du monde ferroviaire venus d’Azerbaïdjan, d’Égypte, de Thaïlande et du Vietnam.
En Europe, et même en Allemagne où le potentiel du réseau non électrifié ne totalise pas moins de 13 570 kilomètres de lignes, le marché des lignes susceptibles d’être desservies par des matériels sur batteries n’est pas si simple à appréhender(*). Aussi, le coup par coup qui permet des expérimentations variées devrait être de mise dans un premier temps, avant que la notion de réseau régional entier à équiper puisse être clarifiée.
Au-delà de l’intérêt environnemental de l’« émission zéro », c’est l’équation économique globale de ces nouvelles technologies qui apparaît intéressante. Elle résiderait dans une substitution ou un transfert d’investissement sur fond général de moindre coût pour l’ensemble du système ferroviaire. Cela satisferait tous les partenaires, gestionnaires d’infrastructures, industriels, exploitants et AOT, dans la mesure où certains coûts sont finalement mutualisés, les régions et autres collectivités territoriales pouvant participer aux investissements d’infrastructures, voire les assumer totalement quand il s’agit de lignes ou de réseaux indépendants des réseaux ferrés nationaux(**). Aussi, « la non-électrification de certaines sections de lignes régionales éviterait un investissement dont l’amortissement reste lourd et incertain », explique Wolfram Schrab d’Alstom. Il situe cette démarche dans une sorte de voie médiane entre électrification et renouvellement vertueux des matériels thermiques, ce qui implique que les coûts se reportent sur l’acquisition des matériels et les installations de rechargement des batteries. Toutefois, les constructeurs restent encore très discrets dans ce domaine.
(*) Alstom évalue le marché européen du diesel régional à 650 M€ par an. Le Royaume-Uni et l’Irlande (28 %), puis l’Allemagne (22 %) et la France (18 %) totalisent l’essentiel du potentiel. Globalement en Europe, sur les 17 000 à 18 000 automotrices et autorails thermiques existants, il y aurait 12 616 rames à renouveler rapidement et près de 2 000 se trouvant à mi-vie.
(**) Ces réseaux régionaux sont souvent de statut privé mais à propriété publique. Ils totalisent de 3 000 à 4 000 kilomètres de lignes en Allemagne comme en Italie, et près de 2 000 kilomètres en Espagne.
