Newsletter S'inscrire à notre newsletter

Magazine

État des lieux

Y aura-t-il un président pour sauver le rail français?

À sept mois des présidentielles, la Fnaut a organisé un colloque pour alerter les candidats sur les périls qui guettent le transport ferroviaire et l’urgence d’un plan d’action à long terme.

Interpeler les candidats à la présidentielle avant le grand rendez-vous électoral de 2017. Tel est l’objectif de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) et de son colloque Rail 2020 organisé le 28 septembre à l’Assemblée nationale. « La Fnaut est inquiète, très inquiète. Quand nous avons décidé de tenir ce colloque en début d’année, nous avions des craintes réelles et sérieuses pour le devenir du ferroviaire et de l’entreprise historique. Neuf mois plus tard, ces craintes sont confirmées et accrues, au point que nous pensons qu’un risque d’effondrement du système ferroviaire existe », a déploré Bruno Gazeau, en préambule de cette journée de conférences.

Contreperformances et trains de la galère

« Bérézina », « débâcle », « déconfiture ». Pierre-Henri Emangard, chercheur associé en géographie à l’université du Havre, n’a pas de mots assez forts pour décrire la situation du transport ferroviaire en France. « Quelle que soit l’activité (fret ou voyageurs), la France est cuillère de bois dans le tournoi des nations européennes! », résume-t-il. En comparant le trafic de voyageurs dans différents pays européens entre 1970 et 2010, le chercheur situe le début du déclin des chemins de fer hexagonaux sur la période 2000-2010. Durant cette décennie, la France s’est singularisée par ses contreperformances ferroviaires. Par rapport à ses voisins européens (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Suisse, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Suède), elle enregistre la plus forte baisse de trafic (fret et passagers confondus). Elle est aussi le seul pays où le trafic de voyageurs par le train est en baisse et où la part de marché du mode ferré diminue.

S’appuyant sur des données plus récentes, Yves Crozet, professeur et chercheur au Laet (Laboratoire d’aménagement et d’économie des transports), constate pour sa part un plafonnement des trafics ferroviaires depuis 2008 et une baisse de tous les trafics de trains (sauf le Transilien) au premier trimestre 2016. Sans parler de la dette galopante qui s’établit au 30 juin à 52,33 Md€, dont 8,2 Md pour SNCF Mobilités (+431 M€ en six mois) et 44,1 Md€ pour SNCF Réseau (+1,8 Md en six mois).

Ces statistiques pour le moins préoccupantes se traduisent sur le terrain par la dégradation des conditions de voyage des usagers. « Leur quotidien est devenu insupportable et usant », relaie Christiane Dupart, présidente de la Fnaut des Hauts-de-France. Retards, trains supprimés, wagons surchargés, pannes, grèves, insécurité, etc. La liste des dysfonctionnements ne cesse de s’allonger.

Pour les dénoncer et dans l’espoir d’obtenir des améliorations, la Fnaut a rédigé l’année dernière une pétition nationale intitulée « Sauvons nos trains ». Signée par près de 10 000 personnes, elle a été envoyée au président de la République et au Premier ministre au printemps dernier. Au plan local comme dans les instances nationales, les initiatives se multiplient. Ainsi, pour faire entendre leurs voix auprès des élus et de la direction régionale de la SNCF, les pendulaires de la ligne de TER Paris-Amiens, particulièrement malmenés par l’entreprise publique, ont créé l’association Les trains de la galère. D’autres se contentent d’exprimer leur ras-le-bol sur les réseaux sociaux, quand ils ne finissent pas par se résigner à reprendre le volant de leur voiture pour se rendre au travail.

Inadéquation de l’offre et services à la dérive

Le report modal vers l’automobile, en solo ou en covoiturage, et vers d’autres moyens de transport comme l’autocar et l’avion est également favorisé par l’inadéquation croissante de l’offre de la SNCF avec les attentes de ses clients potentiels. Certes, pour répondre à la concurrence du routier et de l’aérien low-cost, l’entreprise a lancé Ouigo, une offre de TGV à bas prix. Une démarche nécessaire et salutaire, à condition néanmoins qu’elle ne se développe pas au détriment des lignes actuelles. Or, selon Jean Lenoir, « l’offre Ouigo détruit partiellement l’offre classique ». C’est le cas sur la liaison Lille-Nantes où son introduction s’est accompagnée d’une réduction injustifiée de 50 % de l’offre classique (on est passé de 4 à 2 allers-retours par jour).

Ouigo ou pas, la régression des fréquences est une tendance générale sur l’ensemble du réseau ferré hexagonal. À cela s’ajoutent des temps de parcours (à nombre d’arrêts inchangé) qui augmentent (2 h 35 pour un Marseille–Nice contre 2 h 20 il y a 20 ans!), des durées d’attente en correspondance de plus en plus longues: 20 minutes à Bordeaux entre La Rochelle et Toulouse, 30 minutes à Gap entre Grenoble et Briançon, 40 minutes à Valence entre Grenoble et Marseille. « Ces délais exagérés de correspondance constituent un véritable gaspillage d’argent public, car pour gagner 30 minutes en TGV, il faut construire 100 km de LGV nécessitant 2 à 3 milliards d’investissements. Dans le même temps, un autocar parcourt 45 km: les pertes de trafic sont évidentes », calcule Jean Lenoir.

Quant aux services, ils sont également à la dérive. L’information sur les horaires et les services, s’est brutalement, et sans consultation, dégradée en décembre 2015 avec la suppression de la quasi-totalité de la documentation papier, et en particulier des fiches horaires grandes lignes. Les contrôles sont de moins en moins fréquents et, selon Jean Lenoir, « la vente de billets à bord est devenue récemment impossible sans que cela ne soit annoncé nulle part ».

Sortir de la spirale

Comment est-on arrivé à une telle régression? Pour Pierre-Henri Emangard, cette trajectoire « singulière » du rail en France s’explique par une conjonction de plusieurs facteurs: des erreurs stratégiques en interne (fret, tout TGV et yield management face à l’aviation modique, à Blablacar et aux cars Macron), des acteurs (État, dirigeants SNCF, hauts fonctionnaires, syndicats, élus) centrés sur leurs propres intérêts plutôt que sur l’intérêt général, et enfin absence d’une politique ferroviaire et d’une politique économique des transports.

Pour en finir avec cette spirale infernale, il est donc urgent d’agir. Pour Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale dont le discours est venu clore le colloque Rail 2020, « il faut établir une vraie gouvernance où chaque acteur reste à sa place: un État stratège, des exploitants qui visent la performance, un régulateur qu’on ne musèle pas, un gestionnaire d’infrastructure doté de moyens suffisants et une plus grande place aux usagers et au Parlement dans le processus décisionnel ». C’est exactement ce que réclame la commission des finances du Sénat dans un rapport d’information présenté le 28 septembre. Elle y formule 15 propositions qui, globalement, vont dans le même sens que celles de la Fnaut. Modernisation du réseau, augmentation des dotations de l’État, fin du tout TGV, création d’une nouvelle forme d’écotaxe. Les solutions sont là. Reste à convaincre l’État et la SNCF de les mettre en œuvre.

Retour au sommaire

Auteur

  • Marie-Noëlle Frison
Div qui contient le message d'alerte

Envoyer l'article par mail

Mauvais format Mauvais format

captcha
Recopiez ci-dessous le texte apparaissant dans l'image
Mauvais format

Div qui contient le message d'alerte

Contacter la rédaction

Mauvais format Texte obligatoire

Nombre de caractères restant à saisir :

captcha
Recopiez ci-dessous le texte apparaissant dans l'image
Mauvais format