Avec le nouveau tunnel de base sous le massif du Saint-Gothard, la Suisse va retrouver son leadership mondial. En décembre, le pays détiendra le plus grand tunnel ferroviaire au monde, comme c’était déjà le cas en 1882, lors de l’ouverture du tunnel historique d’altitude du Saint-Gothard. Sans discours écologique tapageur, la Confédération helvétique démontre une fois de plus sa capacité à mettre en œuvre une politique alternative au transport routier.
Juste retour des choses: la Suisse reprend son titre de leader dans l’exploitation de tunnels ferroviaires. En 1882, sous le massif du Saint-Gothard à 1 150 mètres d’altitude, le premier tunnel avait signé cette performance avec un double tube de 15 kilomètres.
Le dernier ouvrage inauguré en grande pompe au mois de juin, également constitué d’un double tube et qui sera livré à l’exploitation le 11 décembre, totalise quant à lui 57 kilomètres. À une altitude modeste (462 mètres au nord et 312 mètres au sud), il dépasse désormais le tunnel Seikan du Japon, 53,9 kilomètres, et l’Eurotunnel, qui pointe à la troisième place de la catégorie avec 50,5 kilomètres. C’est donc un juste retour des choses, puisque la Suisse est la championne du monde de la densité et de l’utilisation du train par nombre d’habitants devant le Japon.
Dorénavant, le massif du Saint-Gothard disposera d’un tunnel routier et de deux tunnels ferroviaires permettant la traversée des Alpes du nord au sud. Sur cet axe européen stratégique, des équipements exceptionnels fourniront aux passagers et aux marchandises un formidable accélérateur entre Zurich et Milan, Amsterdam et Gênes, le tout dans le respect de l’environnement.
Les encombrements liés à la saturation du tunnel routier (fret et passagers) n’ont pas été étrangers à l’adoption d’un tel projet. Par exemple, il est prévu que le tunnel de base sous le massif du Saint-Gothard épargnera aux vallées alpines suisses 210 000 camions par an – et leurs émissions de CO2 –, laissant ainsi à l’admiration des habitants et des touristes les formidables paysages de montagnes et de lacs. Il permettra aussi, et surtout, un gain de temps remarquable. Il est prévu que les trains y roulent jusqu’à 250 km/h. Ce sont les suisses, les Allemands et les Italiens qui bénéficieront en priorité de ces nouvelles facilités. Ils pourront profiter d’une offre unique, le Swiss Travel Pass (voir encadré ci-contre). Il appartiendra ultérieurement aux autres pays et à leurs compagnies de transport d’utiliser l’ouvrage pour en tirer profit. Quant à l’ancien tunnel d’altitude, il restera en exploitation, mais sera davantage orienté vers le trafic touristique, avec notamment les fameuses voitures panoramiques.
Le tunnel de base concerne trois cantons de la Confédération suisse: Uri, les Grisons et le Tessin. L’origine de ce dernier projet remonte au vote de 1998, lorsque l’électorat suisse a approuvé l’idée de la New Railway Link through the Alps. Dès lors, le pouvoir politique n’a pas hésité à s’engager seul sur une enveloppe de 12,2 MdCHF, c’est-à-dire supérieure à 10 Md€!
Depuis son inauguration officielle le 1er juin, les Chemins de fer fédéraux (CFF) ont mis en place un système de découverte avec un train classique, le Gottardino. Il s’agit d’un voyage sous la montagne qui permet d’apprécier le tunnel à une vitesse de 160 km/h, de visiter la station souterraine multifonctions de Sedrun et d’en repartir muni d’un certificat de pionnier. C’est l’occasion de créer un certain rodage des installations, tout en assurant sa promotion avant la mise en exploitation proprement dite, le 11 décembre.
Mais il faudra encore attendre 2020, et l’achèvement des travaux de percement du tunnel sous le mont Ceneri (15,4 km supplémentaires), pour que l’axe Zurich–Milan profite à plein des gains de temps et confirme tout l’intérêt du tunnel de base. L’ensemble du trafic local et régional va être impacté par une traversée de l’ouvrage long de 57 km qui ne durera que 17 minutes. Mais au-delà, c’est aussi le trafic international qui sera bénéficiaire et modifiera les donnes. À ce jour, l’opérateur suisse des Chemins de fer fédéraux annonce un train Eurocité (EC) Zurich–Milan toutes les deux heures, l’ouverture de deux liaisons par trains EC, l’une entre Zurich et Venise et l’autre entre Bâle, Lucerne et Milan. Par ailleurs, les CFF prévoient le cadencement toutes les deux heures par trains Intercités (IC) sur les deux liaisons Zurich–Lugano et Bâle–Lugano. Les perspectives de trafic ferroviaire quotidien dans le tunnel doivent évoluer de 9 000 passagers actuellement à 15 000 passagers (+ 67 %) en 2021 et 18 000 passagers (+100 %) en 2025. Il est prévu le passage quotidien de 160 trains cargos et de 50 trains de voyageurs.
Cette réalisation est aussi un beau sujet de réflexion pour Jacques Gounon. Il connait bien la question puisqu’il a été le Pdg du groupe Eurotunnel et vient de succéder à Franck Riboud, le patron de Danone, à la tête du comité pour la Transalpine. Il ne ménage pas ses efforts en faveur de la réalisation du tunnel sous les Alpes franco-italiennes dans le cadre d’une liaison Lyon–Turin. Ce polytechnicien avisé pourra prendre inspiration de la volonté de nos voisins.
Mais il est vrai que chez nous, les écologistes se sont montrés, depuis peu, opposés à ce projet, alors que les deux états ont manifesté leur intérêt depuis 2001, et qu’à ce jour c’est l’horizon 2030 qui est évoqué!
