Les clients de Ouibus plébiscitent les prix bas et l’achat à la dernière minute. La filiale autocariste de la SNCF compte multiplier les liaisons courtes et transversales pour se poser comme une alternative crédible au covoiturage.
Roland de Barbentane, le « capitaine général » de Ouibus, est un accro aux données. Chaque matin, son premier réflexe consiste à regarder la popularité de son entreprise par rapport à ses concurrents sur Google Trends avant même de consulter ses propres indicateurs de chiffre d’affaires. Quoi de plus normal pour une société dont 93 % des ventes s’effectuent en ligne (et un tiers par mobile). C’est ce qu’a notamment divulgué le patron de la filiale Autocar de la SNCF lors d’un point presse organisé le 23 mars dernier en collaboration avec Google. La filiale autocariste de la SNCF exploite en effet les données fournies par le moteur de recherche pour affiner son offre stratégique. Voici les six grandes tendances dévoilées sur les modes de déplacement.
« On est en train de devenir une vraie alternative à la voiture et au covoiturage. Maintenant, et pas seulement dans les grandes villes, les gens regardent l’offre de mobilité offerte par le bus. On va pouvoir prendre le bus comme on prend le métro », s’enthousiasme Roland de Barbentane. Il rappelle que les transports par lignes SLO (Services librement organisés) ont atteint 6,2 millions de passagers, contre 5 millions attendus. « En 2017, le marché devrait atteindre 10 voire 15 millions de passagers, on assiste à un vrai phénomène de société », constate-t-il. Une montée en puissance confirmée par Google, qui révèle qu’entre 2015 et 2016 les recherches d’information portant sur les voyages par autocar ont progressé de 126 % (contre 6 % pour le train ou le covoiturage). « Dans leur recherche de déplacement, 45 % des usagers digitaux n’expriment pas a priori de préférence pour un mode de transport pour aller d’un point A à un point B », précise Clément Eulry, directeur Tourisme et Transport de Google France.
Pour se poser comme de véritables concurrents au covoiturage, les cars Macron devront densifier leur offre. « Nous développons notre réseau de plus en plus finement, de manière à proposer 1 500 trajets possibles par jour. Nous voyons une grosse appétence pour les correspondances. Ouibus a démarré avec des lignes radiales, avec une logique de géographe en privilégiant les principaux flux. C’était aussi une manière d’amorcer la pompe. Nous nous positionnons maintenant sur les lignes transversales », détaille le directeur général de Ouibus. Ainsi, Ouigo offrira plus de lignes transversales, mais également plus d’arrêts au programme, avec un équilibre à trouver: « Par exemple, pour un Paris-Lyon, nous avons démarré avec 7 ou 8 navettes par jour, tous les jours. Puis nous avons affiné en diminuant les navettes à 5 ou 6 en cœur de semaine. Aujourd’hui, nous en sommes à une dizaine par jour, à la différence que quelques lignes sont en direct, d’autres font un arrêt à Chalon, d’autres à Dijon, et certaines vont vers Saint-Étienne ou Saint-Exupéry après Lyon. Ce n’est pas possible de faire dix fois Chalon, on doit opérer un tri entre proposer de nouvelles offres et la fluidité. »
C’est un revirement pour Ouigo. Après avoir ignoré les dessertes courtes, la filiale de la SNCF les considère désormais comme un « sujet clé ». « Nous n’étions pas positionnés dessus, non pas en raison de notre appartenance au groupe SNCF, mais parce qu’il y avait déjà un besoin sur les grands flux à couvrir. Désormais, il y a de plus en plus de demandes pour ces liaisons », reconnaît le patron de Ouibus. L’opérateur cherche à développer un réseau de proximité à forte densité, comme la desserte de l’aéroport de Lyon–Saint-Exupéry depuis plusieurs villes comme Givors, Valence ou Grenoble. « La bascule est en train de s’opérer. Un habitant de Givors ne prendra peut-être pas le risque du covoiturage pour aller prendre l’avion, surtout s’il peut maintenant emprunter une ligne régulière fiable. » Régularité et fiabilité, les arguments phares sont lâchés. Ceux-là mêmes qui permettront peut-être d’atténuer le seul argument tarifaire et de restaurer les marges.
Le dernier rapport de l’Arafer, publié mi-mars, fait état d’une recette moyenne par passager aux 100 km qui s’est accrue de 18 % du troisième au quatrième trimestre 2016, passant de 4 à 4,7 euros hors taxe. Ce qui est toutefois insuffisant pour assurer une rentabilité. « Les prix de vente sont inférieurs à ce que nous avions imaginé, il faut qu’on travaille sur toutes les solutions pour viser la rentabilité en 2019 », assure Roland de Barbentane. Selon une étude interne Ouibus, les utilisateurs choisissent cette compagnie pour le prix (89 %), les horaires (44 %), les destinations desservies (42 %), les points d’arrêts (31 %), le Wi-Fi gratuit (26 %) et les prises électriques (25 %). « En 2015, nos clients citaient l’argument prix à 96 %, et je suis prêt à parier que ce pourcentage va diminuer au profit de celui de la destination, des horaires et de points d’arrêts », commente le patron de la compagnie.
L’argument prix séduit essentiellement les plus jeunes, 68 % ont moins de 35 ans, ce qui n’exclut pas les séniors pour autant (11 %). « Le spectre est en train de s’étendre, on note 13 % de cadres et de professions libérales qui peuvent être sensibles à l’argument prix, mais aussi au fait de pouvoir travailler entre deux rendez-vous », souligne Roland de Barbentane. Autre tendance, déjà repérée ailleurs, la prédominance d’une clientèle féminine (60 %), soucieuse de voyager en toute sécurité. Les clients voyagent à 77 % « en solo » et 62 % rendent visite à des proches.
Au même titre que le prix, le voyage par autobus semble privilégié pour sa grande disponibilité au dernier moment. « La recherche de bus à la dernière minute est plus forte que la moyenne des autres modes de transport », observe Clément Eulry, directeur Tourisme et Transport de Google France, sur la base de son moteur de recherche. Ce que confirme Roland de Barbentane: « Cinquante pour cent de nos ventes ont lieu les trois derniers jours et 40 % sont réalisées dans les vingt-quatre dernières heures. Nous avons dû adapter notre boarding de manière à prendre en compte des réservations qui peuvent intervenir parfois cinq minutes avant le départ ».
Ouibus observe les comportements de sa clientèle à travers plusieurs outils: ses données internes (grâce notamment à des questionnaires de satisfaction envoyés après chaque voyage, le taux de retour serait de 30 %), des analyses de panels publics (type YouGov) et des analyses fournies par son partenaire Google. À travers sa division Tourisme et Transport, Google France fait en effet profiter Ouibus de certaines données concernant les recherches effectuées par les utilisateurs du moteur de recherche en matière de déplacements. On notera que Ouibus est présent sur Googlemaps, au même titre que FlixBus. Ces deux opérateurs apparaissent également dans les liens sponsorisés lorsque l’on tape une destination dans le moteur de recherche (par exemple Paris-Lille). Mais la prédominance de Google sur les outils de recherche n’inquiète pas Ouibus, « car nous gardons nos données et maîtrisons la vente de billets », indique Roland de Barbentane, directeur général de Ouibus. L’opérateur pourrait être plus inquiété par la publication de ses données publiques, en tant que filiale de la SNCF favorable à l’open data. Toutefois, Roland de Barbentane botte en touche: « Nous le ferons quand le leader du covoiturage le fera. »
