Réunir fonctionne comme une société de services dont les clients sont à la fois solidaires et concurrents. Alors comment se mobiliser pour tous en respectant la liberté de chacun? Interview d’Éric Ritter, directeur général de Réunir, premier réseau de PME indépendantes du TRV en France.
Éric Ritter: Réunir est tout d’abord une association créée en 1998 – notamment par Alain Jean Berthelet, actuel président de Réunir et dirigeant des Cars Berthelet. Elle regroupe aujourd’hui une centaine d’entreprises pour 200 implantations (multisites, filiales par rapport à holding, etc.). Nous totalisons près de 9 000 salariés pour un parc de 7 500 autocars (auxquel il faut ajouter près de 400 autobus). Mais Réunir, c’est aussi une société de services: elle offre à ses adhérents un bouquet de produits et de services en constante augmentation. Et puis, quand on parle des difficultés qu’ont les entreprises du TRV à s’assurer, je ne peux qu’insister sur les bons résultats que nous obtenons en négociant constamment avec les compagnies, car chez nous le risque industriel est placé et géré sous l’impulsion de professionnels impliqués. Résultat: les primes sont maîtrisées et les adhérents y gagnent. Mais rien ne serait possible sans la prévention, cœur de notre système: nous assurons nos adhérents en complément d’une politique de prévention. Ainsi, nous disposons d’un simulateur de conduite embarqué unique – Cassiopée –, qui permet la formation, partout en France, de 400 conducteurs en moyenne par an.
E. R.: L’assistance technique à appel d’offres, le référencement du matériel roulant, le conseil en formation ou en social, les nouvelles technologies font partie de l’offre de services que nous proposons à nos adhérents. On part d’un club ou d’une commission interne, où chacun apporte sa pierre à l’édifice, puis on travaille le sujet jusqu’à obtenir le résultat souhaité: un bon prix, une offre équilibrée… Rester indépendants (ou le devenir) et maîtriser les coûts, tels sont les objectifs que nous poursuivons pour nos adhérents.
E. R.: J’ai pour mission de répondre aux attentes de nos adhérents, d’y veiller en animant une équipe pluridisciplinaire, des salariés de Réunir pour l’essentiel, mais aussi d’avoir recours à des consultants externes (les appels d’offres, le lobbying…); c’est ma priorité. Je dois également améliorer le maillage du territoire de Réunir: cela peut passer par de nouveaux adhérents, par un accompagnement à la croissance de nos adhérents et, bien sûr, l’augmentation de leurs parts de marché, même si, ne l’oublions pas, nos adhérents sont tous concurrents et que nos interventions sont limitées par la réglementation.
E. R.: Pour nous, être présent sur une gamme élargie de produits et de services est devenu nécessaire compte tenu de l’évolution des marchés de nos entreprises. Il peut s’agir, par exemple, des services interurbains, régionaux ou urbains de la ligne express qualitative Meaux-Melun ou des grandes agglomérations comme Toulouse, Bordeaux et Lyon. Nous devons également être présents sur toutes les offres de mobilité avec le développement d’une offre multi-services: vélo, navettes autonomes, etc. Sans oublier de consolider l’activité scolaire, hors ou, de plus en plus, dans les intercommunalités.
E. R.: Préparer l’avenir en mutualisant les expériences est un point clé. On le voit aujourd’hui dans les réseaux urbains remportés récemment par nos adhérents, comme à Alençon. Les technologies de l’information et de la communication connaissent des évolutions incrémentielles qui peuvent surprendre les acteurs et les pénaliser s’ils ne s’y préparent pas. De notre côté, on essaye de les aider, par exemple avec le « Bus connecté », qui est à la fois un outil et un processus permettant de suivre l’évolution dans le domaine des SAEIV, lourds ou soft. L’acquisition de compétences dans les entreprises et à Réunir va ainsi de pair. Nous en ferons l’illustration en organisant, cette année à Lille, notre Conférence transports et mobilité, le 15 juin prochain. Tout le monde peut venir et voir comment nous dialoguons avec les élus et sur quelles bases nous le faisons. Cette année, cette manifestation est organisée sous le haut patronage de la région des Hauts-de-France, en présence du président Xavier Bertrand, et nous serons reçus par notre adhérent, Olivier Inglard, qui nous aide dans cette démarche. Il y sera question d’ouverture des données, de transition énergétique, de coordination des transports, d’intermodalité de l’offre privée par rapport à l’offre publique…
E. R.: Subtilité de l’exercice: nous mutualisons, mais chacun reste libre. Les solutions sont toujours proposées, jamais imposées. Leurs mérites doivent les imposer, pas les statuts. Nous sommes persuadés qu’il y a un saut technologique à effectuer, indispensable pour nos entreprises, qui sont des PME. Notre système est à la fois un suivi d’exploitation et un SAEIV, non exclusif de solutions complémentaires, notamment pour les urbains, ou plus soft, selon les cahiers des charges. Notre atout principal, je le répète, c’est toujours la recherche de l’indépendance sur la majorité des éléments de nos offres. Il est possible de faire mieux parfois, par exemple à travers une offre commerciale particulièrement agressive d’un fournisseur, mais sur toute la gamme, de manière pérenne, c’est plus compliqué.
E. R.: Le référencement constitue aussi un travail acharné. Les professionnels s’impliquent, de même que nos équipes. Nous avons négocié un prix plafond très compétitif avec les constructeurs. Au-delà du « classique » véhicule diesel, il faut aussi être présent sur le gaz et l’électrique. Je rappelle qu’un de nos adhérents exploite une traversée de Paris en électrique (Be Green); d’autres opérateurs sont en lien directeur avec Bolloré ou d’autres marques. Et nous annoncerons en juin prochain un déploiement des solutions au gaz. Nous prenons notre temps et nous étudions tous les paramètres de ces véhicules alternatifs, aussi bien la consommation que la maintenance. Ce sera déterminant à l’avenir. Nous aurons notamment un stand commun avec GRDF au Salon de la Mobilité à Marseille, en octobre prochain.
E. R.: Il n’y a pas de cooptation même si, en général, les postulants sont présentés par l’un de nos adhérents, c’est « l’effet réseau ». Actuellement, notre approche c’est l’intensification des prestations au service de nos adhérents. Nous verrons par la suite pour la démarche « extensive », le recrutement de nouveaux adhérents. Mais comment procède-t-on? D’abord, le candidat fait part de son projet. Chez Réunir, on adhère à un état d’esprit. Je tiens particulièrement à cette dimension, qu’il faut maintenir et renforcer. C’est ma feuille de route. Les entreprises sont adhérentes dès la première année, mais ont l’obligation d’être certifiées sous quatre ans (Certification Afnor Réunir-LeRéso). Tout débute par un audit social, c’est une des premières caractéristiques.
E. R.: Il s’agit d’entreprises qui veulent garder leur destin en main et ont un projet pour les cinq ou dix prochaines années leur permettant de garder cette indépendance. Parmi les indépendants, certains sont peu ou marginalement sur les activités conventionnées, d’autres sont pour l’instant uniquement « sur le scolaire », mais les choses changent. Ce qui va se passer dans les trois ou quatre prochaines années sera déterminant. Je précise qu’il n’y a pas de taille minimale ou maximale, les flottes vont de 15 à 200 ou 300 véhicules. De même, certaines entreprises sont sous-traitantes ou cotraitantes avec d’autres acteurs, c’est le cas des groupes. Mais ce n’est pas un problème, c’est même parfois nécessaire pour répondre à la demande des autorités organisatrices – nous ne sommes pas « anti-groupes », l’approche peut être complémentaire (mode lourd, mode léger, périmètre étendu, performances techniques dans le respect de la réglementation). Parfois, en revanche, ce n’est pas possible.
E. R.: D’ici quelques années, les régions prendront pleinement la compétence Transport et réaliseront l’intermodalité, un vaste chantier. Toutefois, à chaque fois qu’une compétence leur a été transférée, elles l’ont exercée plutôt vite. Il faudra donc nous tenir prêts et 2019 marquera un tournant. On y verra plus clair. Pour l’heure, on s’y prépare.
Avocat de formation, Éric Ritter a découvert l’univers du transport en 1994, à l’occasion de l’application de la loi Sapin et de son entrée au GART (Groupement des autorités responsables de transport), en tant que responsable des affaires juridiques. En 2000, il rejoint l’univers des collectivités territoriales en tant que chef de mission au conseil général d’Alsace. En 2004, il intègre l’école des Ponts-Inrets en qualité de chef de projet pour le transport et rejoint ensuite le laboratoire Ville Mobilité Transports en tant qu’enseignant-chercheur. L’année 2009 marque son entrée au secrétariat général de la Fédération nationale du transport de voyageurs (FNTV), poste qu’il occupera durant six ans, avant de prendre la direction générale de Réunir début 2015, en remplacement de Stéphane Duprey, à l’origine de la création de ce groupement.
Comment coordonner les différents modes de transports entre eux, que ce soient les trains, les autocars, les transports urbains, le vélo ou encore l’autopartage? C’est l’un des thèmes qui sera abordé lors de la conférence annuelle Transports et Mobilité du réseau Réunir, qui se tiendra à Lille, le 15 juin prochain. Cette édition sera consacrée à la région et à la mobilité durable (alternative à la voiture solo, transition énergétique…), et se penchera sur les sept nouvelles régions issues de la fusion provoquée par la loi du 16 janvier 2015. La conférence de 2017 posera également les enjeux sur un plan plus général: au-delà du transfert de compétences des départements vers la région, la loi NOTRe a donné à cette dernière une nouvelle compétence en matière d’intermodalité. Pour l’usager, cela se traduit par la mise en place de « passes » de transports multimodaux et de pôles d’échanges, dans un contexte où l’offre de mobilité n’est plus l’apanage des collectivités locales ni même d’aucun acteur public, comme l’illustrent les succès du covoiturage ou les services par autocars librement organisés. Les organisateurs de cette matinée d’échanges ont mis en avant trois moments clés: la région mobilisée pour booster la mobilité, le développement du mix énergétique dans les transports et la réponse des opérateurs longue distance.
