Le gouvernement a donné le coup d’envoi de trois mois de concertations, réunions, débats, au cours desquels les acteurs de la mobilité sont invités à refonder la politique du secteur. Le processus permettra de dégager des recommandations qui serviront de base à la future Loi d’orientation de la mobilité, qui doit être présentée au premier semestre 2018.
Lancées officiellement le 19 septembre, les Assises de la mobilité doivent faire émerger une nouvelle politique pour les transports terrestres de voyageurs et la logistique de proximité. Pour le Premier ministre, Édouard Philippe, les besoins à satisfaire sont de trois types: le temps, l’équité, et l’agilité. Citant Fernand Braudel, il a rappelé que la « distance est une mesure qui varie ». Le développement des nouvelles formes de mobilité renforce la portée de cette citation, extraite d’un ouvrage paru en 1985. Aujourd’hui, la mobilité peut être vécue comme une contrainte, voire un obstacle, alors qu’elle devient pour certaines catégories de population un atout et une opportunité. La distance et le temps passé dans les trajets recouvrent des réalités très différentes, dépendant de multiples facteurs (mode de transport, motif du déplacement, conditions de confort, régularité, budget, contrainte horaire…).
Longtemps, la réponse donnée à la demande de mobilité est passée par la réalisation d’infrastructures de transports. Parallèlement au développement du réseau autoroutier, les lignes ferroviaires à grande vitesse ont redessiné la France à partir des années 1980. En Ile-de-France, la première ligne de RER est inaugurée en 1977. Dans les grandes villes, 1985 marque le retour du tramway, avec l’inauguration d’une première ligne nouvelle génération à Nantes. Depuis, l’évolution des modes de vie, les innovations en cours dans l’offre de transport et le développement de l’internet mobile ne cessent de bouleverser l’appréciation des délais et des distances.
Le Premier ministre l’a souligné: l’époque des grands projets techniques est révolue. Plus précisément, elle a changé de nature. Le ton avait été donné le 1er juillet dernier par le Président de la République, Emmanuel Macron, lors du baptême de la ligne à grande vitesse Bretagne – Pays-de-la-Loire. Fustigeant le « plaisir coupable des inaugurations », le Président avait alors annoncé la fin des grands projets et le recentrage sur les transports du quotidien et l’entretien du réseau existant. Il ne s’agit plus aujourd’hui de massifier, mais de parvenir à proposer partout une ou plusieurs solutions de mobilité, si possible à différents niveaux de prix, tout en continuant à structurer l’espace.
En même temps, cette nouvelle approche de la mobilité se doit d’être « sobre, attractive, et sincère ». La sobriété d’abord, comme réponse aux enjeux climatiques. « Nos modèles de production, de consommation, de déplacements doivent être profondément repensés afin d’accomplir l’indispensable transition énergétique », a déclaré le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot.
L’attractivité, à la fois pour les voyageurs et pour les industriels, entrepreneurs, dirigeants de start-up désireux de valoriser leur savoir-faire. La sincérité sera surtout financière. Édouard Philippe comme Élisabeth Borne, ministre des Transports, ont insisté sur les 10 milliards manquants pour répondre aux promesses lancées lors du précédent quinquennat: 7 milliards au titre des nouveaux projets, et 3 milliards pour assurer la modernisation du réseau ferroviaire. La ministre des Transport veut d’ailleurs relancer la réflexion sur la contribution des poids lourds en transit au financement du réseau routier.
Quant au transport urbain, l’UTP comme le Gart insistent sur le fait que le voyageur paie en moyenne 30 % du prix du service. Le transport public est d’ailleurs le seul service public local dont les tarifs n’ont pas augmenté ces dernières années, alors que l’offre ne cesse de se renforcer, entraînant une hausse des coûts d’exploitation.
Les participants aux Assises de la mobilité sont invités à se prononcer sur six thématiques: l’environnement, le numérique, les fractures sociales et territoriales, l’intermodalité, la sécurité et la sûreté, la gouvernance et le financement. Tous les citoyens sont potentiellement concernés, à titre individuel ou en tant que groupes organisés (représentants des élus, des professionnels, des usagers, syndicats, ONG…). Pendant trois mois, rencontres et débats vont être organisés dans toute la France. Une plate-forme en ligne est également ouverte, où chacun peut apporter sa contribution. La synthèse des travaux doit intervenir à la mi-décembre, ce qui laisse relativement peu de temps pour nourrir le débat. Toutefois, beaucoup de travaux de réflexion menés ces dernières années y seront intégrés, à commencer par les États généraux de la mobilité. Ces consultations ont été menées en 2016 par l’ensemble des acteurs du transport public: l’association Régions de France, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports collectifs (Fnaut), la Fédération nationale du transport de voyageurs (FNTV), le Groupement des autorités responsables de transport (Gart), l’association Transport développement intermodalité environnement (TDIE), et l’Union des transports publics (UTP). Basés sur un processus très proche de celui des Assises actuelles, les États généraux de la mobilité ont permis de reformuler et de légitimer les demandes du secteur, à la veille de la campagne présidentielle.
Concrètement, les Assises de la mobilité doivent aboutir à la rédaction d’une Loi d’orientation de la mobilité (Lom), destinée à mettre à jour la Loi d’orientation des transports intérieurs (Loti), votée en 1982. Pour mémoire, cette loi avait notamment acté l’évolution du statut de la SNCF, jusqu’alors société d’économie mixte, devenue Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). La Loti avait également instauré les Plans de déplacements urbains (PDU). La future Lom, qui doit être présentée au premier semestre 2018, comprendra un volet de programmation sur 5 ans des financements destinés aux infrastructures, et détaillera les mesures de soutien à l’innovation et aux nouvelles formes de mobilité. Dans cette perspective, la ministre compte sur la dynamique des Assises pour accélérer la concrétisation de projets emblématiques: le ticket intermodal, qui permettra d’accéder à l’ensemble des transports du territoire, et la mise en service de navettes autonomes dans les territoires ruraux.
Si l’ensemble des acteurs joue le jeu, beaucoup gardent en mémoire les espoirs et les déconvenues suscités par les précédentes grandes consultations, comme le Grenelle de l’Environnement. Cette fois-ci, on sait dès le départ que le processus n’aboutira pas à la rédaction d’un catalogue de promesses. Faute de moyens financiers, l’heure est à l’innovation frugale. Et c’est justement là que le bât blesse. Le Gart, l’UTP et la Fnaut demandent par exemple le lancement d’un quatrième appel à projets de Transport en commun en site propre (TCSP), de manière à consolider l’offre, particulièrement dans les banlieues. Les trois précédents, lancés en 2009, 2011 et 2013 avaient été dotés respectivement de 800 millions, 590 millions et 450 millions d’euros. Tous les acteurs sont d’accord sur la nécessité d’un accompagnement financier pour la transition énergétique. D’ores et déjà, une enveloppe de 4 milliards d’euros sur 5 ans, annoncée dans le cadre du Grand Plan d’investissement présenté par Jean Pisany-Ferry, doit permettre d’améliorer la mobilité au quotidien. Cette somme sera utilisée pour financer la prime à la conversion des véhicules particuliers les plus polluants, ainsi que l’entretien des réseaux routier et ferroviaire.
La Fédération nationale du transport de voyageurs (FNTV) entend valoriser les atouts du transport routier de voyageurs dans l’amélioration des transports du quotidien. Comme l’a rappelé la ministre des Transports, Élisabeth Borne, il ne s’agit pas de tout réinventer: les propositions élaborées dans le cadre des États généraux de la mobilité, en 2016, ainsi que le livre blanc de la Confédération nationale de la mobilité, rédigé pour la présidentielle de 2017, constituent les bases de la réflexion. La FNTV remettra tout de même début décembre un cahier d’acteur au gouvernement. Pour le préparer, l’organisation a engagé une concertation en interne, tant au niveau national qu’au sein de ses représentations régionales. La FNTV et ses commissions sont également associées aux six ateliers de réflexion thématiques.
Accompagner la transition énergétique
Les débats des Assises constituent une opportunité majeure pour faire évoluer le secteur. Un certain nombre de propositions concrètes ont d’ailleurs déjà été adressées aux différents ministères concernés au cours des derniers mois. Le cahier d’acteur devrait en reprendre un certain nombre. En matière de transition énergétique, la FNTV demande à l’État d’accompagner les entreprises confrontées à des besoins d’investissements importants, qui pourraient compromettre leur pérennité. Cela passe par des incitations fiscales, des aides à l’achat d’autocars neufs, sans oublier l’accélération du développement des infrastructures d’avitaillement au gaz ou de recharge électrique. D’autre part, les restrictions d’accès aux agglomérations liées au niveau d’émission des véhicules doivent être édictées sur la base d’un calendrier concerté et réaliste. Les gares routières doivent être développées, modernisées, connectées aux réseaux de transport existants, et offrir un niveau de service correspondant aux attentes des clients. Il convient avant tout de clarifier la gouvernance et la répartition des financements entre les différentes autorités organisatrices, afin de faire émerger des solutions adaptées aux territoires desservis.
La FNTV souhaite également réguler l’existence ou la création de plateformes de mise en relation entre voyageurs et transporteurs dans le transport par autocar, qui tirent les prix vers le bas et peuvent inciter certains transporteurs à transgresser les règles relatives au temps de conduite. Concernant les services privés, organisés par une personne morale ou publique autre qu’une autorité organisatrice de transport, la FNTV demande la création d’une nouvelle catégorie de transport public collectif dénommée « services réguliers spécialisés », de façon à corriger le vide juridique actuel, qui réserve ces transports aux taxis, VTC et transport public collectif occasionnel. Toujours dans l’objectif de responsabiliser et professionnaliser l’activité de transport de voyageurs, la FNTV s’oppose à la création d’une nouvelle catégorie de licence dérogatoire en cas d’expérimentation de véhicules automatisés.
Dans un contexte de remise à plat des grands projets d’infrastructures, Philippe Duron prend la tête du Conseil d’orientation des infrastructures. Sa mission consistera à établir une programmation pour la construction des infrastructures nouvelles, et à évaluer les besoins nécessaires à la rénovation et au maintien de l’existant. Le conseil sera composé de 6 parlementaires, 4 autres élus, 5 personnalités qualifiées, et 4 représentants de l’État. Ce conseil s’appuiera sur les conclusions de la commission Mobilité 21, également présidée par Philippe Duron, qui avait été chargée lors du précédent quinquennat de hiérarchiser les projets inscrits au Schéma national des infrastructures de transports (Snit) de 2010. Le rapport de la commission Mobilité 21 avait été remis en 2013 à Frédéric Cuvillier, alors ministre délégué aux Transports. Philippe Duron est par ailleurs président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) depuis 2012.
Parallèlement aux Assises de la mobilité, le gouvernement souhaite préciser une stratégie pour le véhicule automatisé. Enjeu majeur pour la sécurité routière, et plus largement pour la filière automobile française, le développement du véhicule automatisé concerne aussi les transports collectifs. Les nombreuses expérimentations menées ces derniers temps en ont démontré le potentiel. Transdev vient de lancer une expérimentation sur un parc d’activité à Rungis, avec EasyMile, Keolis poursuit un test à La Défense avec Navya. Après un an d’essai, Lyon vient même d’intégrer NavLy à son réseau de transport public. Mais jusqu’à maintenant, ces véhicules sont réservés à un usage en site piéton ou relativement protégé.
Évolutions réglementaires
CarPostal, qui a mené des tests à Sète et Dole, poursuit un essai de longue durée dans la ville de Sion, en Suisse. Philippe Cina, directeur du développement de la société, explique: « Nos tests ont permis de valider l’acceptabilité sociale des navettes, et de faire évoluer certains points avec le constructeur, Navya, ainsi qu’avec le développeur du logiciel de gestion des itinéraires, BestMile. Mais il est encore trop tôt pour faire circuler ces véhicules dans un environnement routier standard. » Le seul traitement des données nécessiterait de disposer d’un réseau de type 5G! En raison de ces obstacles, CarPostal a dû reporter la mise en place d’un service expérimental de transport à la demande effectué avec des navettes autonomes, mais poursuit ses tests.
À côté des aspects purement techniques, il est crucial de faire évoluer la législation. Les premières expérimentations ont ainsi été menées avec des agents à bord des navettes, de façon à assurer la sécurité des voyageurs. Dans l’hypothèse d’une circulation autonome, sans personnel à bord, il faut par exemple décider si les voyageurs doivent être autorisés à rester debout ou non. S’ils doivent voyager assis, devront-ils boucler leur ceinture de sécurité? Faudra-t-il équiper les véhicules de capteurs pour vérifier le bouclage des ceintures et le niveau d’occupation de l’habitacle?
Thomas Counioux, directeur du développement international de la société Navya, estime d’ores et déjà le marché à 10 000 véhicules par continent dans cinq ans. Pour lui, l’évolution des réglementations routières est inéluctable. « Déjà, la Lituanie a voté une loi autorisant les véhicules autonomes à circuler sur l’espace public. Elle a d’ailleurs été complétée par un amendement destiné aux navettes. Au Danemark, il est prévu de supprimer les personnels accompagnants à partir d’un niveau avancé d’autonomie, et de localiser le suivi dans un centre de contrôle. »
Ces évolutions réglementaires sont suivies de près par les transporteurs classiques. En effet, le développement des navettes autonomes fait intervenir une grande diversité d’acteurs: fournisseurs de véhicules, de solutions logicielles, d’informatique embarquée, transporteurs traditionnels… chacun avec sa logique économique. Dans ce paysage encore mouvant, l’élaboration des normes est donc hautement stratégique.
Des réflexions complémentaires sont également engagées sur des activités de transport qui se trouvent en dehors du périmètre des Assises de la Mobilité. Sur le transport ferroviaire d’abord, dont le modèle économique est à revoir, le Premier ministre, Édouard Philippe, a chargé l’ancien président d’Air France, Jean-Cyril Spinetta, d’une mission de réflexion sur l’évolution de la stratégie à adopter. Conséquence des choix passés, la dette de SNCF Réseau devrait atteindre 63 milliards d’euros en 2026, et 70 % des lignes à grande vitesse sont déficitaires. Le Premier ministre souhaite que, du fait de la montée en puissance des métropoles dans la mobilité quotidienne, les TER transportent davantage de passagers. En ligne de mire également, l’ouverture à la concurrence et la nécessité de rendre le transport ferroviaire plus compétitif. Des groupes de travail sont également mis en place pour le transport de marchandises et la logistique, le transport maritime. Des Assises spécifiques au secteur aérien se tiendront au 1er trimestre 2018.
