Depuis une vingtaine d’années, les ferries fluviaux et maritimes sont de plus en plus intégrés aux réseaux de transports urbains au nom de la mobilité durable. Ils viennent désengorger les centres-villes, améliorer la qualité de vie des habitants et renforcer l’attractivité touristique.
En avril prochain, les Parisiens et les touristes pourront embarquer dans de drôles de voitures volantes qui feront leurs allées et venues sur la Seine. Initialement prévue pour démarrer en septembre 2017, l’expérimentation des SeaBubbles, véritables taxis volants sur l’eau, a en fait été reportée par la société exploitante en raison des nécessaires améliorations techniques à apporter (lire encadré). Qu’à cela ne tienne. Parisiens et touristes peuvent toujours naviguer sur les Batobus que la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, a décidé de relancer. En janvier dernier, à son instigation, Île-de-France Mobilités (ex-Stif) a donné, en partenariat avec Batobus, la possibilité d’emprunter les navettes fluviales de la compagnie pour 40 euros par an, soit 3,30 euros par mois. Une offre proposée aux abonnés Navigo annuel et aux titulaires de la carte Imagine R. « La Seine est aujourd’hui un axe délaissé par les transports en commun, soulignait en début d’année Valérie Pécresse, également présidente d’Île-de-France Mobilités. En 2013 déjà, j’avais pris position pour l’exploitation de nouvelles offres de services de navettes fluviales de transports réguliers sur la Seine. »
La présidente de la région Île-de-France s’inscrit ainsi dans une tendance de fond apparue voici une vingtaine d’années. « On observe un regain d’intérêt de la part des collectivités locales pour le transport maritime et fluvial de personnes. Et ce, au niveau global. Que cela soit à Bordeaux, Paris, Amsterdam ou Mumbai », écrivait en juin dernier la spécialiste Virginie Lagarde dans TransportShaker, le blog de la société de conseil Wavestone. Selon cette experte, le bateau séduit à nouveau les collectivités car il répond à la fois « à des problématiques de désengorgement des réseaux de transport et à des problématiques touristiques ». Il n’en a pas toujours été ainsi. « Si la plupart des grandes villes littorales et fluviales sont historiquement liées à la relation ville-port-industrie, explique Jean Debrie, professeur en aménagement et urbanisme à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le XXe siècle témoigne d’une déconnexion progressive de la ville et du fleuve. » Un phénomène observé au niveau mondial.
Puis, dans les années 1990 et surtout 2000, nombreuses sont les collectivités à avoir redécouvert leurs fleuves ou rades et à réhabiliter les berges, les quais et les pontons: outre Paris, Nantes, La Rochelle, Bordeaux avec ses magnifiques quais, Calais, Toulon, Marseille, Ajaccio, Lorient, Angers, Lyon, bientôt Boulogne-sur-Mer, etc., pour ne citer que des villes françaises. À Calais, par exemple, « nous avons voulu mettre en place un moyen de transport doux et innovant, s’inscrivant dans la mobilité durable, avec un fort attrait touristique, sur un site propre, un canal qui n’était plus utilisé par les bateliers », précise Philippe Mignonet, président du Syndicat intercommunal pour les transports urbains du Calaisis (Sitac) et adjoint au maire de Calais en charge de la sécurité et de l’environnement. C’est ainsi qu’a été mise en service la navette fluviale Majest’In (lire encadré).
Pour que le succès de ces ferries urbains soit au rendez-vous, encore faut-il réunir quelques conditions. Tout d’abord, il faut que le fleuve, la rivière, la rade ou la portion de mer soit « extrêmement navigable », affirme Frédéric Baverez, directeur exécutif France de Keolis, l’un des grands opérateurs de navettes tant dans l’Hexagone qu’à l’étranger. Sécurité et confort sont indispensables. Il faut aussi que l’accès aux bateaux soit simple et… qu’il n’y ait pas trop de ponts dans la ville. Autrement dit, les navettes doivent répondre à un besoin soit en termes de temps de déplacement soit d’engorgement des centres-villes. Surtout, il est nécessaire qu’« elles soient parfaitement intégrées dans le maillage d’un réseau urbain, aux côtés des autres modes de transport, dans une mobilité plus générale. En soi, les navettes ne se suffisent pas à elles-mêmes pour assurer un service de transport en commun », souligne Thierry Durand, directeur de la Régie mixte des transports toulonnais (réseau Mistral), gérée par Transdev.
À Bordeaux, Keolis, qui prend en charge tout le réseau de transports urbains, a pu ainsi faire une intégration parfaite de la multimodalité: bus, tram, vélos, déplacement des personnes à mobilité réduite (PMR), et les trois navettes fluviales, les fameuses Batcub qui naviguent sur la Garonne. Les tarifs et la maintenance des bateaux ont été intégrés et une véritable synergie de l’info des voyageurs mise en place sur l’ensemble des lignes. « À Lorient aussi, nous avons une belle réussite », pointe Frédéric Baverez. Dans la rade, Keolis exploite cinq lignes maritimes (plus une pendant l’été pour desservir les plages) avec six bateaux – dont un électrique – qui transportent 800 000 passagers par an. À Lorient, comme à Bordeaux, Toulon ou Paris avec les Batobus, les lignes sont cadencées. Autrement dit avec des horaires de passage réguliers et fixes comme dans l’exploitation d’une ligne de bus. Avec une ponctualité plus importante, car le risque d’embouteillage n’existe pas!
Tant à Calais qu’à Toulon ou Bordeaux, les responsables reçoivent très régulièrement des visiteurs français et étrangers. « Nous sommes un réseau très observé, assure le directeur du réseau toulonnais Mistral. On vient voir nos installations, nos types de bateau, le mode d’exploitation, les conventions signées, l’intégration aux réseaux de transport, etc. Il y a manifestement un intérêt pour les navettes. » On vient parfois de près, mais aussi de très loin: « Nous avons des Belges mais aussi des Australiens, des Chinois… », détaille Philippe Mignonet. Seul véritable reproche que doivent parfois affronter les navettes: l’apparente lenteur de leurs déplacements, ces navires n’étant pas précisément des hors-bord car ils doivent respecter des vitesses limitées. Mais si on peut s’arranger ou qu’il n’y a pas de contrainte de temps, « alors on retrouve la notion de plaisir en prenant le bateau pour aller au travail, confie Thierry Durand. Et là, c’est du bonheur à l’état pur! »
Lancé sur le canal de Calais en 2011, le Majest’in, relie la citadelle à la commune limitrophe de Coulogne, en 35 minutes environ (quelque 3 km). « Dès le début la navette a eu une double vocation: le transport en commun avec une tarification classique de réseau et l’accueil de touristes », confie Alexandra Rivelon, directrice du Syndicat intercommunal pour les transports urbains du Calaisis (Sitac) qui en a confié l’exploitation à Transdev. À chacune de ses cinq escales, il y a un arrêt de bus ou une station de vélos (Vel’In). Le matin et le soir, la navette (70 passagers) fait le plein avec des habitués et des collégiens: deux cars scolaires ont ainsi pu être retirés du trafic. Afin de mieux fidéliser les lycéens, des connexions WiFi et la presse (via des flashs codes) sont disponibles. Pour les heures creuses, le président du Sitac, Philippe Mignonet, multiplie les initiatives: un partenariat avec le monde enseignant programme des sorties scolaires à vocation pédagogique. Lors des vacances scolaires, le Majest’In assure des mini croisières fluviales, avec des audio-guides gratuits fournis aux touristes. Régulièrement, des dîners spectacles et des soirées thématiques font aussi le plein de la navette qui peut ainsi être « privatisée » pour des événements particuliers. Autre idée à l’étude: l’organisation de dimanches après-midi dansants pour les seniors, à l’instar des guinguettes des bords de Marne…
Les Parisiens devront attendre avril prochain pour embarquer dans un SeaBubble. L’expérimentation d’une dizaine de ces petits bateaux, transportant quatre personnes plus le conducteur, avait été annoncée pour septembre 2017. Mais la société Sea Bubbles, créée par le célèbre navigateur Alain Thébault (l’Hydroptère) et son associé Anders Bringdal, un champion de la planche à voile, a préféré reporter pour régler des problèmes techniques sur le prototype et être en mesure de présenter au printemps prochain un engin plus proche de l’exploitation. Sea Bubbles entend faire de cette expérimentation une sorte de show room grandeur nature afin de commencer à concrétiser des ventes. De la taille d’une petite voiture, ces bateaux, qui volent sur l’eau grâce à leur foil, ont suscité une réelle expectative à travers le monde. Soutenu dès 2015 par Anne Hidalgo, la maire de Paris, le projet cherche à proposer aux grandes villes (Paris, Londres, New York, San Francisco, Genève, Amsterdam, etc.) une alternative écologique aux transports classiques. Ces bateaux 100 % électriques seront alimentés par une électricité 100 % renouvelable produite par des hydroliennes installées sur le fleuve et des panneaux solaires. Certes, les SeaBubbles s’apparentent davantage à des taxis fluviaux ou à des VTC mais ces « bulles de la mer » vont, à n’en pas douter, contribuer à redynamiser les navettes fluviales.
Alors que le réaménagement des berges du Rhône et du quartier de la Confluence a permis aux Lyonnais de retrouver leurs fleuves, la question d’un service régulier de navettes fluviales reste ancrée dans les têtes. Roland Bernard, le conseiller délégué de la Métropole en charge des fleuves, s’y emploie. « Oui, dans le cadre de la mobilité durable et innovante, Lyon a des ambitions », assure-t-il. Déjà, une navette fluviale, baptisée le Vaporetto, navigue sur la Saône depuis 2012. Cette année, elle relie les quartiers de Vaise, dans le centre, et celui – branché – de la Confluence avec son pôle de commerces et de loisirs, entre la mi-mars et la fin de l’année, pour le prix d’un ticket de métro. « Elle a trouvé ses habitués et prit place dans la mobilité urbaine lyonnaise, souligne l’élu. Nous attendons avec impatience une deuxième navette en 2018! » En 2017, le Vaporetto aura transporté quelque 185 000 personnes. Attendus aussi à Lyon, les SeaBubbles, expérimentés en août dernier dans la capitale des Gaules. « C’est un moyen de déplacement rapide pour aller d’un point A à un point B, constate Roland Bernard. C’est une perspective intéressante qui peut séduire rapidement, surtout quand on sait qu’il est difficile aujourd’hui d’aller du centre-ville à la Cité internationale. »
Thibaut Tincelin est optimiste. Le Pdg de SDI International, un cabinet d’architecture navale (huit salariés, 800 000 euros de CA dont un tiers à l’export), basé près de Nantes, prévoit un « avenir brillant » pour le transport de passagers sur les fleuves. « Tout le monde a fait le constat que les fleuves ont été abandonnés, explique-t-il. Aujourd’hui, on les redécouvre car ils offrent une bonne alternative aux transports routiers. A condition de bien dimensionner les projets, le transport fluvial permet de décongestionner les villes, d’accroître l’attractivité touristique, d’y apporter des activités de loisirs. » SDI International, avec le bureau d’études Ship studio et le chantier Alu Marine, ont conçu et créé le Majest’in, la navette fluviale opérée à Calais. « C’était passionnant, nous nous sommes beaucoup amusés à créer un look futuriste et de nouvelles formes tout en respectant des contraintes pour l’embarquement et le débarquement des passagers, y compris pour les personnes à mobilité réduite. »
« Depuis la réintroduction du tramway, Nantes a toujours innové pour développer des déplacements plus propres pour l’environnement. Cette navette à hydrogène est une nouvelle solution pour relever le défi de la transition énergétique. » Bertrand Affilé, vice-président de Nantes Métropole chargé – entre autres – des Transports, n’était pas peu fier en présentant en juin dernier le Jules Vernes II. Il s’agit d’un catamaran très innovant en aluminium de 10 m de long et 3,80 m de large, équipé d’une pile à combustible qui convertit l’hydrogène en électricité: 100 % silencieux, il ne rejette que de l’eau et zéro CO2. Testée pendant l’été, cette navette fluviale high-tech prend peu à peu son rythme de croisière afin de remplacer l’actuel passeur de l’Erdre qui relie Port-Boyer aux facultés depuis 20 ans. À terme, elle transportera 25 passagers ainsi que 10 vélos pour des traversées de 3 minutes. En 2016, le service Navibus de Nantes a transporté 636 000 passagers environ dont 66 000 sur l’Erdre. Il est totalement intégré à l’offre transport public de la Métropole.
