Élu à la tête de la FNTV le 6 décembre dernier, Jean-Sébastien Barrault répond aux questions de Bus&Car Connexion sur les grandes orientations de son mandat: mutations liées au numérique, transition énergétique, réforme institutionnelle, concurrence, défense des petites entreprises, attractivité de l’autocar, sécurité…
Jean-Sébastien Barrault. Le paysage de la mobilité est en train de changer très profondément, avec l’arrivée de start-up qui créent leur activité à partir des développements du numérique. Face à ces acteurs, adopter une position purement conservatrice serait une erreur pour les entreprises du transport routier de voyageurs. Je crois que notre Fédération doit s’ouvrir à tous les acteurs de la mobilité, et j’entamerai ce débat avec nos adhérents dans les prochains mois. Nous devons échanger avec l’ensemble des acteurs de la mobilité, sans crainte ni naïveté. Vis-à-vis des pouvoirs publics, nous devons insister sur la nécessité de maintenir et d’adapter un cadre légal qui soit respecté par ces nouveaux acteurs, de façon à ce que tout le monde soit soumis aux mêmes contraintes réglementaires, sociales et fiscales. Nous devons défendre nos intérêts afin que la concurrence s’exerce dans un cadre équitable, qui protège aussi le voyageur.
J.-S. B. La FNTV est la principale organisation professionnelle du secteur du transport routier de voyageurs. Elle regroupe plus de 1 000 adhérents, de la petite entreprise au grand groupe international. Notre organisation doit donc s’appliquer à rechercher le consensus, condition indispensable pour que la FNTV soit reconnue par les pouvoirs publics et joue pleinement son rôle. Je ne pense pas que le fossé entre les petits transporteurs et les groupes s’accroisse. Je pense au contraire que le besoin de travailler ensemble ne cesse de grandir. Parce que les défis auxquels notre profession doit faire face sont énormes, parce que les réponses à apporter sont complexes, quelle que soit la taille de la société concernée. Mais il est vrai que le chef d’une petite entreprise se pose davantage de questions que le président d’un grand groupe, et c’est justement pour cela que la FNTV doit se trouver à ses côtés pour l’accompagner.
La transition énergétique, la révolution numérique, l’évolution de la gouvernance avec la loi NOTRe… nous traversons une période d’incertitudes fortes, l’avenir peut faire peur. Pourtant, je crois que la force et la pertinence des petites entreprises sont bien réelles dans ce contexte. Chacun a intérêt à ce que PME et groupes continuent à coexister.
J.-S. B. La FNTV a beaucoup travaillé sur ces questions, pour établir un constat objectif sur le degré de maturité de chacune des filières, en partenariat avec l’Ademe et l’association Régions de France. Cet état des lieux a d’ailleurs vocation à être réactualisé dans l’avenir. Ces travaux ont contribué à faire évoluer la perception du sujet et, surtout, à faire prendre conscience que l’on ne verra pas émerger une solution unique, mais un mix énergétique et technologique.
Toute la profession est d’accord sur le fait qu’il faut sortir du diesel, ce n’est plus un débat. La conscience environnementale des transporteurs est bien réelle. Tout l’enjeu consiste aujourd’hui à faire en sorte que cette évolution s’inscrive dans un calendrier raisonnable, en fonction de l’importance des investissements à la charge des transporteurs, mais aussi des degrés de maturité des différentes technologies disponibles auprès des constructeurs. Le danger, pour nous, serait qu’une autorité organisatrice passe des appels d’offres en imposant un choix technologique. Le risque pourrait se répercuter aussi bien sur l’autorité organisatrice, qui devrait en assumer les conséquences, que sur les transporteurs, qui pourraient dans certains cas se retrouver exclus du marché.
S’engager dans la transition énergétique ne se limite pas à l’achat de nouveaux matériels roulants, mais il faut aussi financer les infrastructures d’avitaillement, la modernisation et l’adaptation des dépôts, des centres de maintenance. Le pire scénario serait de faire de mauvais choix technologiques, dans la précipitation. Or, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Il faut prendre le temps d’étudier toutes les solutions, de les tester et de partager les retours d’expérience. Les pouvoirs publics devront accompagner les transporteurs dans ces choix, et les soutenir pour les aider à investir.
L’implication de la FNTV a été particulièrement forte, avec une présence au sein de chacun des six ateliers, une audition par le Comité d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron, et la production d’un cahier d’acteurs qui liste 46 propositions. Nos délégations régionales ont participé autant que possible aux ateliers organisés dans les territoires. L’objectif est de montrer que le transport routier de voyageurs a son rôle à jouer, aux côtés des nouveaux acteurs de la mobilité. Nous espérons que la future loi d’orientation de la mobilité remplisse les objectifs qu’elle s’est fixé, à savoir définir un cadre pour la mobilité des 30 prochaines années, et que le texte ne se contentera pas de définir les grands principes et les grandes orientations. Pour ma part, j’en attends des pistes de solutions raisonnables et concrètes en matière de transition énergétique, numérique, de coordination entre les différentes autorités organisatrices.
La proposition d’une coordination au niveau régional ne peut que nous convenir. Valérie Lacroute, députée de Seine-et-Marne et présidente de l’atelier thématique consacré aux mobilités intermodales, est d’ailleurs intervenue lors de notre assemblée générale, le 6 décembre. Toute la question est de savoir si cette coordination pourra apporter des réponses concrètes et efficaces sur la question des gares routières, par exemple.
J.-S. B. Je me réjouis du fait que les régions puissent être chefs de file et assurer une meilleure coordination des modes. Dans le sillage des cars Macron, les autorités organisatrices ont redécouvert l’autocar. Nous devons faire en sorte que les régions prennent conscience du rôle central que peut jouer l’autocar dans la desserte fine des territoires, du fait de ses atouts économiques et environnementaux. L’autocar est un mode d’avenir; la FNTV est là pour le promouvoir.
On perçoit déjà, du côté des régions, la double tentation de développer le transport routier de voyageurs, et de ne pas recourir systématiquement au transport routier conventionné. Il va falloir s’habituer à faire du transport public avec des acteurs privés.
Nous devons également travailler sur les conditions de contractualisation avec les autorités organisatrices, veiller à ce que les marchés futurs nous permettent de conserver nos capacités de souplesse et d’ajustement. C’est une négociation gagnant-gagnant à mener avec les autorités organisatrices. Les transporteurs sont des professionnels et connaissent les moyens d’optimiser les dessertes.
J.-S. B. En 2009, la France a voté la loi ORTF
Il a bien fallu gérer cette situation. Le préfet de Région a accepté que soient signés des nouveaux contrats sans mise en concurrence, pour la période courant entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2020. La question qui se pose aujourd’hui est: « Que va-t-il se passer au terme de ces contrats de quatre ans? »
De nouveaux contrats sans mise en concurrence pourraient être établis jusqu’au 31 décembre 2024, conformément au calendrier fixé par la loi ORTF. Toutefois, un certain nombre de choses doivent encore être réglées avant l’ouverture à la concurrence. Pour commencer, il faut travailler sur le transfert des personnels. Si cela se passait mal, on irait à la catastrophe du point de vue social et économique, avec un risque de remise en cause de la continuité du service public. Nous considérons qu’il faut du temps pour préparer ces dispositions. L’autre dossier concerne la mise à disposition des dépôts, dans un environnement francilien où le foncier est rare.
Il est également probable qu’Ile-de-France Mobilités n’aura pas la capacité de réaliser l’ouverture à la concurrence le 31 décembre 2024 sur l’ensemble des lignes RATP et Optile. Ce ne serait pas raisonnable non plus de programmer les attributions des marchés six mois avant le 31 décembre 2024, soit à la veille des jeux Olympiques. Pour toutes ces raisons, nous considérons que la mise en concurrence doit se faire de manière échelonnée sur plusieurs années. Nous militons pour que soit voté un nouveau calendrier dans le cadre de la future loi d’orientation des mobilités, de façon à préparer correctement les choses. Le règlement européen OSP nous permet d’ailleurs d’aller au-delà de 2024. Nous demandons à l’État de travailler sur une hypothèse qui soit satisfaisante pour tout le monde.
J.-S. B. Ce drame m’a bouleversé personnellement en tant que chef d’entreprise, et en tant que père. Nous pensons tous aux familles, à la conductrice, au transporteur qui traversent cette épreuve. Il faut rappeler que la sécurité est une priorité absolue pour les professionnels du TRV. Matin et soir, plus de 2 millions d’élèves nous sont confiés; c’est une responsabilité extrêmement importante. Beaucoup de progrès ont été faits en matière de sécurité ces dernières années: l’éthylotest obligatoire, la généralisation des ceintures de sécurité, la suppression du trois pour deux… Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus rien à faire, et nous poursuivrons nos efforts. Nous suivrons très attentivement les conclusions des enquêtes en cours, de façon à reprendre les préconisations qui pourraient en résulter. Certains évoquent déjà le fait de rendre obligatoire l’arrêt du véhicule avant de franchir un passage à niveau, comme c’est déjà le cas au Canada, par exemple.
Au-delà du cas spécifique des passages à niveau, en zone peu dense, on pourrait aussi indiquer systématiquement les points d’arrêt 150 à 200 m avant, de façon à mieux les signaler aux autres usagers de la route. Il y a aussi encore beaucoup à faire en matière de sensibilisation des jeunes et des accompagnants. La FNTV se mobilisera en ce sens, comme elle l’a toujours fait.
1 Loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports.
2 Règlement européen sur les obligations de service public (OSP) qui organise la concurrence.
