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Eurovignette: une révision sous tension

La députée européenne Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, rapporteure sur la révision de la directive Eurovignette, prône la pleine application des principes pollueur-payeur et utilisateur-payeur à tous les véhicules pour la tarification des infrastructures routières.

« Nous sommes des grands brûlés de l’écotaxe. » En une formule, Nicolas Méary, vice-président du conseil départemental de l’Essonne, délégué aux mobilités, résume le malaise hexagonal face à la révision de la directive Eurovignette proposée par la Commission européenne. Traumatisés par le désastre de l’écotaxe, le gouvernement et les parlementaires se méfient d’un texte qui ferait contribuer tous les poids lourds, mais aussi les autobus et les autocars au financement des infrastructures et de la compensation environnementale. Voilà qui fait bondir Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy: la députée française (PS) au Parlement européen, nommée rapporteure sur la révision de la directive, a élaboré un texte encore plus ambitieux que celui de la Commission. Le statu quo ne peut être la solution à ses yeux, il est « crucial pour l’environnement et la santé publique que les engagements climatiques de l’Union européenne et des États membres pris en 2015 dans le cadre de l’accord de Paris soient tenus ». « Le transport routier est responsable de 30 % de la pollution de l’air qui a provoqué en 2014 près de 500 000 décès prématurés en Europe », alerte-t-elle. En France, les émissions de gaz à effet de serre sont en baisse de plus de 11 % entre 1990 et 2015, mais le secteur des transports, parmi les principaux émetteurs, est encore plus polluant qu’il y a 27 ans!*

Une redevance pollueur-payeur

La directive relative à la taxation des poids lourds, qui date de 1999, a été révisée en 2011 pour introduire le principe pollueur-payeur et la possibilité de mettre en place des redevances pour coûts externes, en compensation des pollutions atmosphérique et sonore générées par le trafic. « Mais nous n’avons pas atteint l’objectif », souligne-t-elle. « 26 % seulement des 136 000 km du réseau routier transeuropéen sont aujourd’hui couverts par des redevances pour les poids lourds calculées sur la distance », et seules l’Allemagne et l’Autriche ont mis en place des redevances pour les coûts externes.

La révision proposée par la Commission européenne, le 31 mai dernier, dans le cadre du Paquet routier, consiste notamment à inclure tous les véhicules lourds dans le champ d’application à partir de 2020: les systèmes de péages devront s’appliquer à tous les poids lourds, y compris les moins de 12 tonnes, mais aussi aux bus et autocars. La Commission préconise la fin des vignettes, un système de tarification des autoroutes basé sur la durée, au profit d’une tarification sur la distance (péage).

« La proposition de révision de la Commission va dans le sens des objectifs du Livre blanc des transports européens, observe Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy. Mais elle doit être renforcée pour une pleine application des principes utilisateur-payeur et pollueur-payeur. » Elle reproche à la proposition de la Commission de ne pas garantir la mise en place d’un système de remplacement unifié de la vignette, et d’en laisser le choix aux États membres.

La rapporteure propose au contraire de rendre « obligatoire » la mise en place d’une redevance fondée sur la distance parcourue, en remplacement de la vignette, et d’étendre ces péages à tous les véhicules: poids lourds, bus, autocars, véhicules utilitaires légers, voitures, deux roues motorisées, avec une date commune d’application, le 1er janvier 2026. Une extension nécessaire selon elle pour que tous les usagers de la route, sans discrimination, contribuent à l’entretien des infrastructures. « En France, c’est déjà le cas avec les péages autoroutiers, rappelle-t-elle, mais dans d’autres pays européens, seuls les poids lourds contribuent. »

Fléchage des recettes

La députée prône aussi la mise en place obligatoire d’une redevance pour coûts externes appliquée en fonction des normes de pollution des véhicules: normes Euro pour les véhicules légers, et émissions de CO2 pour les poids lourds.

À titre d’exemple, pour un trajet de 450 km, un camion répondant aux normes européennes les plus strictes paierait 14 € de plus au péage, contre 39,60 € pour un camion polluant. Pour une voiture diesel, le péage augmenterait de 4 à 8 € et de 1 à 2, 25 € pour une voiture essence, selon leur classe.

Pour les autobus et autocars, « il n’y aura pas d’exemption de ces redevances au motif que ce sont des moyens de transport collectif de voyageurs », prévient la rapporteure qui rappelle que, dans le cas du train, autre transport collectif, le prix du billet de train inclut le « droit de sillon ». « Si ces autobus ou autocars ont adopté les normes Euro les plus récentes ou opté pour un carburant comme le gaz, ils verront leur redevance pour coûts externes fortement diminuée. Mais le péage ne sera jamais gratuit, même pour un véhicule électrique, car ils contribuent aussi à l’usure de la voirie. »

La rapporteure a néanmoins amendé la proposition d’une redevance supplémentaire pour certains tronçons sujets à congestion, afin que « les transports collectifs de voyageurs ne soient pas pénalisés ».

Dans son rapport, elle propose aussi de donner la possibilité aux régions d’étendre le système de redevances à un certain nombre de « 4 voies », actuellement non soumises à péages, mais qui servent de voies de contournement, et participent de fait au réseau transeuropéen. Elle cite en exemple « le tronçon Lyon-Orange de la Nationale 7 massivement utilisé par les poids lourds pour contourner l’Autoroute A7, très endommagé et peu sûr ». Pour faciliter l’acceptation de ces mesures, la rapporteure « propose d’augmenter les abattements pour les usagers fréquents, en particulier en périphérie des grandes villes ». Elle envisage aussi une modulation pour tenir compte des spécificités de régions « périphériques », « comme la Bretagne », avec la possibilité d’une « exonération forfaitaire kilométrique sur un tronçon routier spécifique ». Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy est convaincue que la vraie clé de l’acceptabilité est « le fléchage obligatoire et transparent des recettes de la redevance. J’aimerais que cette information soit même affichée sur les portiques de péage afin que chacun au volant de son camion, de son bus ou de sa voiture sache ce qu’il paie et pour quoi il paie ».

Les arbitrages des États membres

La députée européenne sait qu’une rude bataille l’attend désormais. Ses amendements ont reçu un avis favorable de la Commission et du Parlement européen, mais certains États membres contestent l’obligation du passage au système de péage. « L’Allemagne et l’Autriche, dont les autoroutes sont gratuites pour les véhicules légers, sont particulièrement réticentes. » La France, échaudée par l’écotaxe, baigne dans l’ambiguïté, alors même que dans notre pays, les péages s’appliquent déjà aux voitures. « Les ministres de la Transition énergétique et des Transports, Nicolas Hulot et Elisabeth Borne, soutiennent le principe du passage de la vignette à la redevance, affirme Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, mais les députés ont affiché leur opposition. » Le député de la Sarthe, Damien Pichereau, auteur d’un rapport sur le Paquet mobilité et ses conséquences pour le transport routier, a plaidé à l’Assemblée pour une approche plus « souple et proportionnée ». Il réclame une flexibilité dans le système pour laisser le choix aux États d’un mode de contribution. Adjoint à la direction des infrastructures au ministère des Transports, Jean Le Dall préférerait lui aussi « rester dans un cadre incitatif et souple » et souligne que le rapport du Comité d’orientation sur les infrastructures (COI) remis fin janvier évoque « la mise en place d’une vignette temporelle, à titre temporaire, pour contribuer au financement des infrastructures de transport ». Le vote sur la proposition de révision et ses amendements au sein de la commission transports se déroulera les 23 et 24 mai, puis viendra le vote en plénière au Parlement européen en juillet. Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy espère que les discussions en trilogue entre le Conseil des États membres et les deux co-législateurs – la Commission et le Parlement européens – débuteront en septembre pour une adoption définitive du texte à la fin de l’année ou au tout début 2019.

Écotaxe: les coûts d’un échec

Elle est venue s’inviter dans les débats le 13 février dernier, lors du petit-déjeuner organisé par l’association TDIE (Transports, développement, intermodalité, environnement). L’ombre de l’écotaxe a plané sur les échanges avec Christine Revault-d’Allonnes, venue expliquer le projet de directive. C’était la mesure phare du Grenelle de l’environnement: une taxe pollueur-payeur sur les poids lourds sur certains tronçons du réseau routier français. Elle n’est jamais entrée en vigueur. La fronde des « bonnets rouges » en Bretagne aboutit à la suspension de l’écotaxe en 2013. L’année suivante, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, tente de relancer le projet mais s’attire les foudres des transporteurs routiers. En 2014, l’Écotaxe est suspendue sine die et le contrat passé avec Écomouv’, le consortium chargé de collecter la taxe, résilié. « Un échec stratégique, un abandon coûteux », déplore la Cour des comptes dans son rapport de février 2017. L’écotaxe aurait dû rapporter environ 1,15 milliard d’euros par an. Sur dix ans (2014-2024), la perte potentielle de recettes fiscales est évaluée à 10 milliards d’euros. Cette manne devait alimenter l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et financer la réalisation de plus de 120 projets d’infrastructures de transport alternatives à la route. Au lieu de quoi, l’État doit indemniser Écomouv’ et les administrations à hauteur de plus d’un milliard d’euros. Avec ce renoncement, écrit la Cour, « la France prend du retard dans la mise en œuvre de la politique européenne de la tarification routière ».

*Chiffres du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique.

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Auteur

  • Eliane Patriarca
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