Le groupe Vinci a présenté les premières applications concrètes d’Intelligence artificielle appliquée sur son réseau autoroutier, en corrélation avec son système de vidéosurveillance: gestion automatique des tarifications, analyse en temps réel du trafic, support aux véhicules autonomes… Vinci compte profiter de cette expertise pour se poser en véritable acteur de l’intelligence artificielle.
Comment tirer parti de l’intelligence artificielle (IA) en tant qu’opérateur d’infrastructures? Une soirée d’information organisée le 12 février dernier par Leonard, la cellule de veille du groupe Vinci, a donné un aperçu des différents domaines d’applications où l’IA pouvait se déployer, à commencer par son réseau autoroutier, couvert par de très nombreuses caméras de surveillance. Paul Maarek, le président d’Escota, une des filiales autoroutières de Vinci, en est ainsi persuadé. L’IA va permettre d’accélérer la transformation digitale de sa société dans ses quatre métiers – financement, maîtrise d’ouvrage, collecte de péage, gestion du trafic –, avec potentiellement « beaucoup d’impact » sur les deux derniers. « Cela peut transformer notre façon de travailler » juge-t-il. Mieux, il estime que Vinci Autoroutes peut également devenir un acteur de l’IA appliquée à la gestion des infrastructures. « On peut envisager une commercialisation au-delà de Vinci Autoroutes grâce à l’apprentissage du traitement des données. » L’entreprise collecte effectivement un grand nombre de données, liées aux transactions aux péages (730 millions par an), mais aussi aux images de caméras de surveillance qui couvrent le réseau.
Vinci a commencé par se pencher sur le sujet de la classification automatique de ses péages. « Il existe cinq classes de péages, c’est un peu technique et on s’y perd nous-mêmes, entre la hauteur des véhicules, le nombre de roues, les voitures avec caravane, les petits et grands vans, c’est un peu confus. On a toujours eu des problèmes de classification avec nos capteurs traditionnels: c’est l’équivalent de 30 % des appels par interphone et cela génère beaucoup de retraitement de facture. Sur nos 730 millions de transactions on doit en reprendre à la main 35 millions. Or, l’intelligence artificielle fonctionne bien pour classifier et détecter des objets », expose Paul Maarek. Vinci a commencé à utiliser l’IA pour classifier et détecter les objets, ce qui a donné des bons résultats. « Ensuite, on est passé au deep learning en renseignant des cas de plus en plus complexes, et la performance est au rendez-vous. L’IA peut détecter les caravanes, alors qu’on ne lui a pas appris à la base, elle repère aussi les gyrophares et les porte-bagages. On l’a challengée avec nos meilleurs opérateurs, et le taux de correspondance dépasse les 99 % et dans les cas divergeant, l’IA a raison une fois sur deux. » Les opérateurs peuvent d’ores et déjà envisager une reconversion.
Autre champ d’expérimentation: Vinci va prochainement utiliser l’IA pour simplifier la gestion de ses voies de péage. « Cela représentera une forte économie pour la construction des nouvelles voies, car jusqu’à présent, on doit s’équiper de capteurs optiques, de caméras Lapi ou de boucle de présence. Bientôt, on n’aura besoin que de deux ou trois caméras HD avec un traitement déporté. » Vinci va effectuer un test sur 120 voies de péages du réseau Escota en Côte d’Azur pour la détection de motos en temps réel. « Le temps de classification est estimé à 30 millisecondes. » Le sujet n’a pas été évoqué lors de cette conférence, mais il est probable qu’à terme, les barrières de péages deviennent utiles, puisqu’il deviendra aisé de facturer les usagers en croisant leur plaque minéralogique avec leur type de véhicule, identifié par l’IA.
On l’a vu, de simples caméras avec une bonne définition sont désormais suffisantes lorsqu’elles sont couplées à un système d’intelligence artificielle. Ainsi, sur les aires d’autoroutes, elles pourront à terme remplacer des capteurs jugés « très chers », pour compter le nombre de places disponibles. De même, elles pourront être utilisées pour la protection des interventions sur autoroutes ou la maintenance des ouvrages d’art. Mais leur véritable potentiel va surtout se déployer sur l’analyse du trafic routier. « La plupart des autoroutes sont bordées de caméras, le véritable défi consiste à détecter ce qu’elles voient et interpréter quasiment en temps réel les objets qui se déplacent en flux, y compris quand la résolution est faible », rappelle Philippe Dewost, le président de Leonard. Vinci s’est donc lancé dans l’analyse du flux produit par les caméras, y compris mobiles, pour détecter les véhicules arrêtés, notamment dans les tunnels. « Cela fonctionne plutôt bien », juge Paul Maarek, qui voudrait pousser l’expérimentation plus loin. Ainsi, le système sera utilisé pour repérer les congestions et pourrait aussi donner l’alerte en cas de véhicules à contresens, hantise des conducteurs et des exploitants de réseau. Le sujet est complexe, les données sont peu nombreuses, et les développeurs de Vinci travaillent sur le calcul des trajectoires. « À terme, nous souhaitons construire un modèle 3D dynamique en temps réel, qui pourrait aussi intéresser l’industrie des véhicules autonomes », avance Paul Maarek. Car si les gestionnaires d’infrastructures peuvent jouer un rôle certain pour le développement des véhicules à conduite automatisée, ils ne veulent pas se contenter de regarder la caravane passer.
La division Eurovia de Vinci travaille sur une expérience « extrêmement développée en matière de signalisation, avec l’arrivée de voies de communication bi directionnelle avec les véhicules autonomes », souligne Philippe Dewost, en martelant que Vinci possède tout le potentiel pour générer des données élevées. « Tout l’enjeu va consister à capter les données auxquelles personne n’a accès. Afin de pouvoir les exploiter et de ne pas se cantonner à un rôle stupide que certains voudraient nous attribuer, où on se contenterait de poser des lignes jaunes entre laquelle les véhicules autonomes vont pouvoir circuler. II y a énormément à gagner quand on reste propriétaire des données », lance-t-il. Un conseil qui devrait faire tilt auprès de tout opérateur d’infrastructure ou de transport.
