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Fabienne Couapel-Sauret, vice-présidente de la Réunion en charge des Transports et des déplacements

« À La Réunion, tout a été conçu pour les voitures »

Héritière de plusieurs décennies de développements routiers, La Réunion tente aujourd’hui de relancer ses transports en commun, dont la part modale demeure marginale. Entre le monorail, les téléphériques urbains, la nouvelle route du littoral, les vélos libre-service et les bus au biogaz, l’île fourmille de projets. Fabienne Couapel-Sauret, conseillère régionale en charge des transports, fait le point sur tous les dossiers.

Bus&Car Connexion. Seuls 5 % des Réunionnais utilisent les transports en commun, et cette part modale n’a guère évolué ces 25 dernières années. Comment l’expliquer?

Fabienne Couapel-Sauret. L’ensemble des territoires d’outre-mer ont privilégié le tout-voiture pendant des décennies. À l’époque, on pensait davantage au développement des réseaux routiers qu’à celui du transport collectif. On se rend compte aujourd’hui que nous avons pris un certain retard par rapport à d’autres régions de métropole. Une commission outre-mer a été créée au sein du Gart. Il est grand temps de développer les modes alternatifs. C’est ce que nous faisons depuis 2010 à la région Réunion. Nous n’avons pas attendu la loi NOTRe pour poser les bases de notre vision globale, ni pour bâtir la démarche partenariale qui en découle. Sur notre première mandature [2010-2015, ndlr], avant de récupérer la compétence sur le transport interurbain, nous nous sommes attachés à soutenir les autorités organisatrices de mobilité. Notre programme Trans Eco Express a permis de financer, sur un délai très court, plus de 200 bus, 51 nouvelles lignes et 700 abribus. Nous avons également accompagné le déploiement des Transports en commun en site propre (TCSP) dans l’est ou dans le sud.

BCC. Comment impulser une nouvelle dynamique sur le transport collectif?

F. C.-S. Nous sommes tous conscients que le développement du trafic automobile et l’autosolisme sont responsables de l’asphyxie, voire du coma circulatoire que nous pouvons connaître sur l’île, à certaines heures de la journée. Dans 80 % des voitures, il n’y a qu’une seule personne présente. Nous devons impulser un changement de comportement, pour que les automobilistes utilisent davantage le transport en commun, le covoiturage, les modes doux. Or, ils ne les utiliseront que s’ils bénéficient d’une offre performante. C’est ce que nous nous employons à bâtir sur le transport interurbain, dont nous avons récupéré la compétence depuis le 1er janvier 2017. La Région a été désignée comme chef de file des transports, et se doit de coordonner, à ce titre, les différentes politiques publiques dans le respect de ses partenaires et des contraintes budgétaires qui sont les nôtres.

BCC. Justement, quel premier bilan tirez-vous de ce transfert de compétence?

F. C.-S. Très positif. Nous avons transporté en 2017 un peu moins de 6 millions de passagers sur le réseau des Cars jaunes. C’est une progression de 6 % par rapport à 2016. Nous avons fait évoluer notre offre, en mettant le passager au cœur même de notre réflexion. Nous avons constitué des comités d’usagers, pour tenir compte de leurs attentes. Nous nous employons également à faire évoluer, quand nous le pouvons, la délégation de service public, conclue avant notre arrivée. Le contrat a été signé en 2014 avec le GIE Cap Run pour une durée de 10 ans. Ce n’est pas simple car il faut prendre garde à ne pas modifier l’économie générale du contrat. Mais tout le monde travaille en bonne intelligence. Nous sommes parvenus à obtenir certaines avancées. Les transporteurs du GIE ont globalement compris l’intérêt que nous avons à aller vers plus de qualité. Nous avons par ailleurs lancé un audit, qui souligne un certain nombre de points d’amélioration.

BCC. Lesquels?

F. C.-S. Par exemple, nos quatre gares routières ont besoin d’être améliorées. Le gros du programme de rénovation est en train de commencer. Nous allons également moderniser les bus, qui seront équipés de wifi à bord et de billetterie sans contact. Nous pourrons les géolocaliser en temps réel, ce qui permettra un gain d’exploitation énorme dans la gestion des correspondances. La Région a également commandé trois bus à étages pour les lignes les plus denses.

BCC. Quelle part modale visez-vous pour le transport collectif?

F. C.-S. Le SRIT [Schéma régional des infrastructures et des transports, ndlr] fixe un objectif de 10 % à horizon 2020 et 15 % d’ici à 2030. Selon notre dernière enquête déplacements, la part modale s’établit actuellement à 5,2 % pour le transport en commun. Elle atteint 7,4 % si on inclut le transport scolaire. Et nous pensons atteindre 8 % d’ici la fin de l’année. Tous les réseaux de transports urbains notent une augmentation du nombre d’usagers. Les recettes progressent. Les choses évoluent dans le bon sens.

BCC. La Réunion a renoncé au transport ferroviaire, il y a plusieurs décennies. Le sujet revient sur la table avec le projet de monorail porté par votre majorité lors de la dernière campagne régionale. Où en êtes-vous dans ces réflexions?

F. C.-S. Ce projet date de bien avant la campagne. La première étude pour un réseau régional de transport guidé a été lancée fin 2012. Nous avons pris le temps de construire une large concertation autour de ce projet, qui a été acté en 2016 et qui porte sur un tracé de 150 km. D’après le calendrier défini par les bureaux d’études, nous avons bon espoir de poser la première pierre avant la fin du mandat.

BCC. Quel en sera le tracé?

F. C.-S. Le réseau partira de Saint-Benoît, à l’est en passant par le nord, l’ouest pour ensuite redescendre vers le sud, jusqu’à Saint-Joseph. Entre Saint-Benoît et Sainte-Marie, les études sont lancées pour doubler les routes nationales actuelles avec des voies réservées aux vélos et aux transports collectifs. Le futur pôle d’échange de Duparc, à Sainte-Marie, sera ensuite le point de départ du futur réseau de transport guidé, qu’on appelle aujourd’hui monorail, mais dont la forme reste à déterminer. Il desservira l’aéroport, traversera Saint-Denis jusqu’à la station Bertin, qui fera la jonction avec le futur transport par câble de Bellepierre. Nous aurons alors un linéaire d’une dizaine de kilomètres et de 9 ou 10 stations, qui pourra se prolonger, dans le futur, sur la nouvelle route du littoral, puisque celle-ci a été calibrée pour accueillir du transport ferré léger. Il nous faudra, avant cela, régler la question de la traversée du pont Vinh-San, qui est un point dur.

BCC. Le projet est-il financé?

F. C.-S. Nous avons toute l’attention de l’État sur ce projet et j’ai eu confirmation qu’il était bien inscrit dans le cadre des assises de l’outre-mer. C’est un projet qui fait consensus et qui trouvera le financement adéquat, malgré les contraintes budgétaires qui sont les nôtres. Tout simplement parce que c’est un système adapté à notre territoire, qui répond aux attentes des Réunionnais.

BCC. Au vu du relief, faut-il s’engager dans les projets de vélo en libre-service? Et si oui, à quelles conditions?

F. C.-S. En matière d’aménagement, tout a été conçu pour les voitures. Beaucoup d’endroits à La Réunion n’ont même pas de trottoir pour les piétons, alors que 25 % des déplacements se font à pied. Partant de là, les projets de vélos en libre-service ont du sens. Mais il s’agit d’une compétence des communes, qui sont frileuses par rapport aux coûts des équipements. Nous avons pris l’initiative de lancer une étude au sein de la SPL Maraina. L’idée consiste à définir un territoire pilote pour expérimenter des vélos à assistance électrique, rechargeables sur des bornes solaires. Nous sommes en train de déterminer le site, d’évaluer les besoins, d’élaborer le montage financier. Ensuite, il faudra lancer l’appel d’offres.

BCC. Et le covoiturage?

F. C.-S. Nous avons déjà créé une dizaine d’aires. Des projets sont en cours, notamment à Bras-Panon et à Salazie. Nous avons également lancé, avec l’Ademe, un appel à projets pour créer une plate-forme réunissant l’ensemble des sites proposant du covoiturage à La Réunion. Ils sont pour l’instant très éclatés. Nous allons les agréger entre eux pour multiplier le champ des possibles. Le poste déplacement est le plus gros émetteur de gaz à effet de serre à La Réunion. Si nous voulons être efficaces sur le terrain de la transition énergétique, nous devons faire en sorte que nos déplacements soient plus propres. En agissant sur le covoiturage, mais aussi sur le type de véhicule. Il y a par exemple le projet de déployer des bornes de recharge pour les véhicules électriques. Des bornes alimentées par le solaire, pour ne pas utiliser l’électricité des centrales, issue de l’énergie fossile. Nous étudions également des projets de bus fonctionnant au biogaz. Si c’est faisable en métropole, ça doit aussi l’être à La Réunion.

BCC. Des expérimentations de véhicule autonome sont dans les tuyaux en France. Est-ce que La Réunion y réfléchit?

F. C.-S. Toutes les innovations peuvent être intéressantes, si elles vont dans le sens d’une réduction de la pollution et de la congestion routière. Ce sont des solutions qui peuvent être adaptées sur de petites distances, à l’échelle d’un territoire comme l’Ecocité [un vaste projet d’aménagement dans l’ouest, ndlr] par exemple. Mais à La Réunion, nous avons nos priorités et nos urgences. Nous sommes pour l’instant concentrés sur le développement de notre réseau de transport guidé et sur la sécurisation de l’axe nord-ouest avec la construction de la nouvelle route du littoral.

BCC. Quelle place pour le transport en commun dans cette nouvelle route du littoral?

F. C.-S. Le projet prévoit des voies réservées aux bus; c’était d’ailleurs la condition pour pouvoir bénéficier de financements européens. Nous verrons par la suite pour y insérer d’autres modes. Nous avons été obligés de phaser les développements. Mais le tablier du viaduc est dimensionné pour accueillir du transport ferré léger.

BCC. Le transport par câble est-il la solution à l’isolement des territoires des Hauts? Est-ce suffisant pour désengorger les routes qui les desservent?

F. C.-S. C’est le mode qui paraît le plus pertinent sur certains territoires. Je pense par exemple à la route de La Montagne. Cette route est déjà très saturée. On ne peut pas y ajouter de bus supplémentaires, car il y a trop de virages en lacets. Le transport par câble est une alternative intéressante, qui permet de surmonter les contraintes liées au relief, au climat, aux embouteillages. C’est aussi un des modes de déplacements les moins polluants et les moins chers. Il faudra cependant tenir compte des contraintes environnementales très strictes, notamment lorsqu’on traverse le parc national. La Région a lancé des études pour étudier certains tracés, par exemple entre Sainte-Marie et Salazie, ou entre Saint-Louis et Cilaos. Nous n’en sommes qu’au stade des études d’opportunités. La priorité aujourd’hui reste la consolidation de la route de Cilaos, qui a subi d’énormes dégâts en début d’année.

BCC. Le Syndicat mixte des transports de La Réunion (SMTR) est aujourd’hui paralysé dans sa gouvernance; le projet de billettique unique n’a toujours pas abouti. Quel regard portez-vous sur ce dossier?

F. C.-S. La Région a toujours défendu un système d’exploitation et d’information voyageurs uniques, pour rendre l’ensemble du réseau plus performant. Le SMTR, qui porte le projet, a mis plus de trois ans à faire des propositions. Il met à présent sur la table un système obsolète, qui coûte cher et dont personne ne souhaite. Aujourd’hui, la plupart des réseaux urbains se sont dotés d’une billettique légère, avec des cartes sans contact et de la géolocalisation. Il doit être possible de mieux les coordonner, avec des systèmes beaucoup moins onéreux, que celui proposé par le président du SMTR.

BCC. Comptez-vous vous engager dans une perspective d’autorité organisatrice unique, comme en Martinique? Et, si oui, à quelle échéance?

F. C.-S. Aujourd’hui, nous avons un outil. C’est le SMTR, même si sa gouvernance est compliquée actuellement. C’est un projet que nous avons porté depuis 2010, et que nous sommes parvenus à faire aboutir en 2013, à force de discussions, de concessions, de négociations parfois très compliquées. C’est une espace de concertation qui permet de réunir toutes les autorités organisatrices pour définir une stratégie consensuelle à l’échelle du territoire. Il faut continuer à réfléchir, à rassurer, à travailler ensemble, dans l’intérêt des Réunionnais.

À terme, nous arriverons peut-être à doter la structure de certains outils de gestion. Mais une autorité unique, clairement, nous n’y sommes pas. Mes collègues ne sont pas prêts à cette éventualité. Ils le disent et je le respecte. Si on devait s’engager dans cette voie, il faudrait ensuite mettre en place un calendrier, à moyen-long terme, tenant en compte des dates d’échéances des DSP des uns et les autres. Et ce calendrier serait nécessairement tributaire des échéances électorales.

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Auteur

  • Guillaume Kempf
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