Avec près de 200 000 habitants concernés sans compter les navetteurs, Dunkerque devient l’une des plus grandes agglomérations d’Europe à se lancer dans l’aventure du transport gratuit.
Depuis le 1er septembre, les usagers du réseau de bus de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) n’ont plus à payer pour monter dans un bus. Il aura fallu trois ans à l’exploitant Transdev et à la CUD pour mettre en place ce projet. « Il ne fallait surtout pas opposer gratuité et qualité », souligne le maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine, Patrice Vergriete.
Le contexte local était favorable à la mise en place de l’accès gratuit: des transports en commun sous-utilisés, des voyages effectués pour deux tiers en voiture (en légère augmentation), des recettes commerciales de 4,5 millions ne couvrant que 10 % du coût de fonctionnement, un réseau vieillissant qui nécessitait une refonte. « Rien n’avait été entrepris depuis 1989, et le but de l’opération était aussi de mieux irriguer la métropole », rappelle Xavier Dairaine, responsable du projet de bus à haut niveau de service DK Plus.
Si Patrice Vergriete explique de manière simplifiée avoir « financé le transport gratuit par l’annulation d’une Arena de 10 000 places que nous jugions totalement inutile », la réalité est un peu plus subtile. Jusqu’en 2013, le transport coûtait 35 millions par an: une fois les 4,5 millions d’euros de vente de billets enlevés, le reste était financé pour deux tiers par la taxe VT, pour un tiers par la communauté urbaine de Dunkerque.
Le précédent maire de Dunkerque, Michel Delebarre, a augmenté le VT de 0,5 % (représentant 8,9 millions d’euros). Ce surplus de recettes était destiné à un projet de BHNS (bus à haut niveau de service). Que voulait faire l’ancien maire? Terminer la modernisation d’une ligne de l’ancien réseau, pour ensuite diminuer la contribution de la CUD (en l’abaissant de 14 millions à 7 millions par an). Et ainsi récupérer l’argent nécessaire pour réaliser le projet d’Arena. « Le choix politique, explique Patrice Vergriete, c’est que je n’ai pas souhaité récupérer les 8,9 millions de VT dans le budget de la CUD, je l’ai maintenue au même niveau pour effacer les revenus des ventes de billets et apporter plus de services additionnels. »
Ces 8,9 millions d’euros financent aujourd’hui le surcoût d’exploitation: le budget transport est passé de 35 millions à 44 millions d’euros par an. Techniquement, dix millions d’euros sont pris sur le budget principal de la CUD, le reste étant financé par le versement transport. Les travaux pour l’aménagement du nouveau plan bus et les études, eux, ont coûté 65 millions d’euros HT hors matériel, cofinancé par l’État, l’Europe, la région Hauts-de-France et le département du Nord.
La nouvelle offre de transport propose 36 % de kilomètres supplémentaires (passant de 15 000 à 17 000 km par jour). Avec un objectif ambitieux de mettre l’essentiel de la population à moins de 20 minutes de la gare de Dunkerque. « L’effort déployé a impliqué de prendre des décisions difficiles, notamment de supprimer certains services », admet Xavier Dairaine.
Le réseau compte 17 lignes au total avec 5 lignes « chrono » à 10 minutes de fréquence, et un maillage qui met 80 % de la population à moins de 300 mètres d’un arrêt, 5 lignes directes reliant l’est de l’agglomération au centre, 7 lignes de connexion partant des pôles d’activités économiques. Les plages de service ont été étendues pour aller de 5 h 30 à 22 h 30 avec une intensification de l’offre en journée, un service supplémentaire est mis en place les vendredis et samedis pour assurer les trajets de fin de soirée. Au total, 35 postes de conducteurs ont été créés (sur un effectif de 275 conducteurs, DK’bus employant 370 personnes).
« Passer à la gratuité a nécessité une vraie transformation de notre rôle d’exploitant: des métiers disparaissent, d’autres se transforment », résume Laurent Mahieu, directeur de DK’Bus (Transdev). Il concède que cette réorganisation, même menée avec les partenaires sociaux, n’a pas évité certaines tensions. « En parallèle, il fallait également mettre en place un nouveau réseau, tout en continuant à faire vivre l’ancien. » Dunkerque ayant en effet commencé il y a un an par instaurer la gratuité les week-ends et les jours de pics de pollution.
Le directeur du réseau parle également de transformation de la relation clients. « Nous accueillons désormais des personnes qui n’avaient pas pris le bus depuis très longtemps: nous sommes davantage dans l’accompagnement, tout en adoptant une nouvelle démarche marketing pour que le bus monte en gamme. » C’est pourquoi les 44 nouveaux bus Iveco sont équipés de bornes de recharge de téléphone et du wifi. Les véhicules GNV représentent désormais les deux tiers du parc, contre 50 % auparavant. L’objectif est aujourd’hui d’atteindre 100 % en introduisant l’électrique pour les bus de capacité moyenne, et en menant une réflexion sur l’hydrogène.
La relation contractuelle qui lie l’exploitant à la collectivité a également évolué: « On est passé d’un statut de régie intéressée à un statut d’affermage, avec une DSP plus classique », explique Laurent Mahieu. Avant, Transdev percevait une rémunération fixe avec un bonus-malus sur la qualité, la fréquentation et la gestion du réseau. Aujourd’hui, l’opérateur a beaucoup à faire en matière de communication. Les premiers résultats de la mise en place de la gratuité des week-ends et lors des jours de pics de pollution sont très encourageants: avec plus de 50 000 voyageurs déjà transportés, la fréquentation a augmenté de 85 % par rapport à un week-end payant, et d’un tiers d’augmentation par rapport à un week-end gratuit. L’objectif de doubler la part des déplacements en bus d’ici 2020 semble en passe d’être atteint haut la main.
Cette rencontre a aussi été l’occasion pour les maires des villes concernées de lancer un réseau des villes du transport gratuit. « Nous souhaitons avant tout contrer la pauvreté du débat autour du transport public gratuit et aspirer à des échanges plus nourris, notamment avec les chercheurs qui se mobilisent sur la question », a annoncé Patrice Vergriete. Le réseau compte organiser une rencontre chaque année: la prochaine édition sera organisée à Châteauroux. « En proposant la gratuité, nous ne pouvons être considérés comme des élus ne sachant pas gérer, insouciants, inconscients, comme je l’entends trop souvent: l’idée est de tirer ce débat vers le haut », a conclu Patrice Vergriete, maire de Dunkerque et président de la Communauté urbaine.
Considérée avec circonspection par l’Union des transports publics (UTP), qui assure toutefois que les exploitants sont là pour appliquer les décisions des élus, la gratuité n’est pas non plus très appréciée par les associations d’usagers. Pour Jean Sivardière, vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), « ce que les gens attendent en priorité, ce sont des transports de qualité, pas la gratuité ». Les réseaux les plus performants ne sont pas gratuits, et le fait de ne pas avoir à payer conduit en outre à évacuer toute critique de la part des usagers. Autre critique: « D’où viennent les chiffres de fréquentation avancés puisqu’il n’y a plus de billetterie, donc plus de validation? », lâche Jean Sivardière. Pour les représentants des usagers, la tendance à la gratuité serait avant tout nourrie par une vague électoraliste. Les tarifications sociales existant permettent d’ores et déjà de faire payer chacun en fonction de ses capacités, tout en assurant une véritable équité entre les citoyens. « La gratuité implique tôt ou tard un renoncement au développement du réseau », poursuit Bruno Gazeau, président de la Fnaut. De plus, en choisissant de faire contribuer uniquement les entreprises au financement des transports, certains élus alimentent l’opposition au versement transport (VT), de plus en plus attaqué. Un amendement à la loi PACTe avait d’ailleurs été présenté pour repousser le seuil de perception du VT de 11 à 30 salariés. Or, c’est justement le VT qui doit être utilisé, en principe, pour financer les investissements dans le réseau de transports.
S. G.
