Placé sous le signe des transitions, le 26e Congrès de la FNTV a été celui des questionnements. Ponctué de points d’interrogation, le programme de la journée du 14 novembre a abordé l’ensemble des enjeux clés du secteur, de l’organisation institutionnelle au financement, en passant par les leviers de l’innovation. En filigrane, la place des transporteurs indépendants dans un paysage en profonde mutation.
Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Cette loi fondamentale énoncée par Lavoisier et reprise par les tenants de l’économie circulaire aurait pu résonner entre les murs de la Maison de la Chimie, pour ce 26e Congrès de la FNTV, marqué par l’annonce du rachat de Ouibus par BlaBlaCar, à la faveur d’une levée de fonds alimentée en partie par… la SNCF. Les liaisons chimiques se modifient mais les grands équilibres frémissent à peine.
Ouvert par le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, et clôturé par la ministre en charge des Transports, Elisabeth Borne, le 26e Congrès de la FNTV a présenté aux 450 participants un plateau de choix, à défaut d’apporter des réponses satisfaisantes à l’ensemble des attentes de la profession. Bien entendu, les dossiers sensibles comme la future taxe poids lourds, le soutien à la conversion des flottes, ou encore les conditions d’exécution des marchés publics ne pouvaient pas être réglés dans cette enceinte. En préambule, et avant de passer la parole à François de Rugy, Jean-Sébastien Barrault avait rappelé les préoccupations des adhérents de la FNTV, leurs contraintes face à une transition énergétique acceptée par tous mais coûteuse à mettre en œuvre, leurs difficultés récurrentes à recruter, leurs craintes face aux évolutions des modèles économiques et des relations contractuelles avec les autorités organisatrices… Le président de la FNTV a également souligné la contribution de l’autocar à la mobilité décarbonée, en tout point du territoire, et le potentiel de ces entreprises de transport, ancrées dans les territoires, sans oublier le dynamisme des cars « Macron », marché toujours en croissance mais encore fragile.
Pour autant, et si le ministre n’a pas manqué de rappeler qu’il n’a jamais été de ceux qui « opposent les modes entre eux », il n’a pas ouvert la porte entrebâillée, et s’est contenté, au sujet des SLO, de s’en remettre aux consommateurs, qui « seront les juges de paix, selon que le service correspond réellement à un besoin ou non ». En attendant, et jusqu’à nouvel ordre, ils seront donc bel et bien soumis à la taxe poids lourd, indispensable au financement de l’entretien des infrastructures routières. Quant aux coûts liés à la transition énergétique et à l’augmentation du prix des carburants: « Ne comptez pas sur moi pour vous dire que l’on va repousser les échéances à plus tard. La fiscalité écologique n’a rien de punitif, a martelé le ministre. Chacun doit y apporter sa contribution, et nous devons travailler ensemble pour conduire cette transition. » François de Rugy a continué à renvoyer les transporteurs à leurs responsabilités sur la question de l’attractivité des métiers, « qui dépend aussi des employeurs, et du niveau des salaires proposés ».
Il a fallu attendre la fin de la journée, et la conclusion donnée par Elisabeth Borne pour entendre un discours à peine plus ouvert. La ministre s’est félicitée des relations entretenues avec la FNTV, et de la qualité du dialogue. Elle a souligné le « rôle essentiel » que les professionnels du transport routier de voyageurs auront à jouer dans la perspective de la Loi d’orientation des mobilités, et de la généralisation des autorités organisatrices à l’ensemble du territoire.
Mais concernant la taxe poids lourds, là encore, c’est la question des besoins de financement pour le réseau routier qui est mise en avant: « Il faut trouver une ressource pérenne à hauteur de 500 millions d’euros à partir de 2020. »
Ancien ministre présent au Congrès de la FNTV avec sa casquette de président de l’Assemblée des départements de France, Dominique Bussereau lui, n’a pas mâché ses mots à l’encontre de la loi NOTRe, qui a dépossédé les départements de leur compétence transport. Selon lui, la gouvernance trop éloignée des territoires nuit à la qualité des services rendus. Quant à la généralisation des AOM, elle ne fera selon lui qu’accentuer la tendance: « Beaucoup de communautés de communes n’auront pas les moyens et les compétences nécessaires pour assurer des services de transports. Quant aux Régions, elles ne seront pas en mesure de monter du transport à la demande à l’échelle d’une interco de 15 communes, a-t-il affirmé. Les Départements, qui sont en charge du transport social, ont l’habitude de faire du sur-mesure. »
En matière de périmètre institutionnel, chacun semble avoir sa propre conviction. Martine Guibert, vice-présidente de la région Auvergne Rhône-Alpes en charge des transports, considère que la « délégation de compétence aux départements sur le transport scolaire a permis de rester au plus près des besoins du terrain ». Sa région est l’une des seules à avoir fait le choix de déléguer aux départements l’organisation du transport scolaire. Mais concernant la généralisation de l’offre de transports, elle préfère la « construire à partir des métropoles, de manière solidaire avec les territoires périurbains, voire ruraux ». Concrètement, cela passe « par des syndicats mixtes », soutenus par la Région en termes d’ingénierie et de finances. Car il faudra bien que la Région mette la main à la poche, pour éviter de voir l’offre alternative à la voiture solo réduite au seul covoiturage.
« La bonne échelle, c’est le bassin de vie », lance Damien Pichereau, député LREM de la Sarthe, persuadé quant à lui que la réforme du versement mobilité procurera des moyens suffisants aux futures AOM. Cette approche ne convainc pas Jean-Pierre Farandou, président de Keolis: « Le bassin de vie ne correspond jamais aux limites territoriales! » Sans surprise, il se réfère au modèle urbain, dans lequel opérateur et autorité organisatrice entretiennent « un dialogue fécond ». Sur les conséquences de la loi NOTRe, lui non plus n’est pas tendre: « Plus la maille est grande, plus on perd le sens de la réalité des territoires. Les équipes des régions achètent du marché public au meilleur prix, ce qui ne favorise pas la qualité de service. » Ces pratiques, associées à la réduction de la durée des marchés publics, réduisent les marges des transporteurs, et pèsent au final sur les salaires des conducteurs. « On voit des contrats d’un an renouvelables trois fois », regrette Jean-Sébastien Barrault, s’adressant à Hervé Morin, président de Régions de France. Pour l’élu normand, il s’agit avant tout de gérer la… transition entre les différents contrats départementaux, avant de tout harmoniser au niveau des Régions. La FNTV et Régions de France travaillent d’ailleurs sur un guide des bonnes pratiques contractuelles, qui doit être finalisé prochainement. Mais pas question de « recentralisation » pour Hervé Morin, rien ne sera imposé aux collectivités, qui gardent leur libre arbitre, précise Hervé Morin, qui rappelle au passage que les Régions achèvent seulement de remettre de l’ordre dans leur offre de transport, d’éliminer les lignes en doublon, de construire l’articulation entre réseau routier et ferroviaire. Dernier point, et non des moindres, celui de la formation sur lequel les Régions sont également à la manœuvre pour réformer les structures et mieux répondre aux besoins locaux.
La question de l’emploi dépasse en effet l’attractivité du secteur, et la difficulté à pourvoir des postes de conducteurs dédiés aux transports scolaires. La grande majorité des offres d’emplois qui passent par Pole Emploi sont pourvues. Mais l’obstacle principal réside peut-être dans l’identification des profils compatibles avec ce métier, afin d’éviter de recruter « pour rien », et de former des personnels qui, après quelques mois d’activité, se tournent vers d’autres emplois. Pour remédier à ces loupés, Hervé Baron, directeur des ressources humaines de Transdev, compte beaucoup sur l’alternance. Mais la gestion des effectifs n’est pas la même dans un grand groupe et dans une PME. Là encore, les situations des uns et des autres sont très disparates. Toutefois, le recrutement demeure la préoccupation principale des adhérents de la FNTV, si l’on se reporte aux résultats des sondages express effectués à l’occasion du congrès, grâce à la toute nouvelle appli FNTV.
Si l’image de l’autocar s’est considérablement améliorée depuis l’ouverture du marché intercités et le développement des cars « Macron », les innovations à venir devraient encore la faire évoluer. Au premier rang, la navette autonome fait figure de partie émergée de l’iceberg. Solution de dernier kilomètre, son modèle économique demande encore à être affiné, et la réglementation doit s’adapter si la France veut rester dans le peloton de tête et permettre des circulations sans accompagnateur sur route ouverte. À côté des véhicules sans conducteur, se développe une autonomisation croissante de la conduite sur les bus et cars classiques, et une généralisation des fonctions connectées, qui influence la conduite classique. Alors que le véhicule autonome va contribuer à faire émerger de nouveaux métiers de régulation et de contrôle à distance, les métiers liés à la conduite, tout comme les activités de maintenance, se trouvent eux aussi de plus en plus impactés par les nouvelles solutions numériques.
Engagé dans ce faisceau de transitions, le transport routier de voyageurs traverse une phase d’évolutions et de bouleversements qui l’obligent à montrer toutes ses capacités d’adaptation. Si le secteur se mobilise et fait preuve de réactivité, ses principaux acteurs n’oublient pas de rappeler les avantages de l’autocar, et de souligner les contradictions de certaines décisions. Ainsi, quant au nom de la transition énergétique, un contrat est attribué au transporteur le plus proche d’une station d’avitaillement GNV, générant davantage de kilomètres à vide. Tout au long de cette journée d’échanges et de débats, les quelques centaines de transporteurs réunis ce 14 novembre ont délivré un message simple: pour réussir à optimiser l’offre de mobilité sur l’ensemble des territoires, la meilleure solution est de s’appuyer sur les professionnels.
