Par deux arrêts successifs des 22 octobre 2018 et 31 janvier 2019, le Conseil d’État a confirmé la décision de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) qui énonçaient respectivement:
– que la société de transport par autocar Frethelle était autorisée à assurer la liaison entre le pôle multimodal de l’aéroport de Beauvais-Tillé et Paris;
– que la redevance acquittée à l’aéroport pour l’utilisation de ses infrastructures à l’occasion de l’exploitation de ce service était plafonnée au coût du service rendu.
Tout a commencé lorsque la société Frethelle a déposé auprès de l’Arafer une déclaration portant sur un service régulier de transport par autocar entre Paris et l’aéroport de Beauvais.
Conformément à l’article L. 3111-18 du Code des transports, l’Arafer a alors procédé à la publication immédiate de cette déclaration. Intéressée au premier chef, la Société aéroportuaire de gestion et d’exploitation de Beauvais (Sageb), dont la filiale Transport Paris-Beauvais (TPB) assure déjà cette liaison, soumet à l’Arafer un projet d’interdiction de cette ligne concurrente.
En effet, l’article L. 3111-19 du Code précité prévoit qu’une « autorité organisatrice de transport peut, après avis conforme de l’Arafer (c’est-à-dire avec l’accord préalable de l’Arafer) interdire, une ligne qui desservirait un itinéraire similaire au sien. »
Seulement voilà, dans son avis du 6 septembre 2017, l’Arafer estime que la liaison déclarée par la société Frethelle n’est pas similaire à celle organisée par la Sageb. Elle émet donc un avis défavorable à ce projet d’interdiction. Non contente, la Sageb demande au Conseil d’État l’annulation de cet avis pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État, dans son arrêt du 22 octobre 2018, rappelle qu’un service de transport ne peut être interdit qu’à condition qu’il relie des arrêts dont une liaison identique ou similaire est également assurée par un service régulier de transport public.
L’article R. 3111-37 du même Code définit la liaison similaire commew étant la liaison dont les arrêts d’origines (premier arrêt du trajet) et les arrêts de destination (terminus) ne sont respectivement pas éloignés de plus de 5 kilomètres, cette valeur étant portée à 10 kilomètres pour des liaisons situées en région d’Ile-de-France.
Or, dans le cas présent, la distance séparant l’arrêt du service organisé par la Sageb, situé porte Maillot à Paris 16e, de l’arrêt du service déclaré par la société Frethelle, situé 22, avenue Armand-Rousseau, à Paris 12e, est supérieure au seuil de 10 kilomètres fixé par ces dispositions.
Dès lors, le Conseil d’État juge que la Sageb n’est pas fondée à soutenir que l’Arafer aurait entaché son avis d’erreur d’appréciation en estimant que le service déclaré par la société Frethelle ne constituait pas une liaison similaire à celle du service qu’elle organisait. La Sageb n’allait donc pas pouvoir interdire à la société Frethelle d’assurer la ligne Paris-Aéroport de Beauvais.
Mais encore pouvait-elle agir sur le montant de la redevance que la société Frethelle devait lui acquitter au titre de l’utilisation des infrastructures de l’aéroport pour la prise en charge et la dépose des passagers. C’est ce qu’elle fit en fixant le montant de la redevance en question à 90 € HT par voyageur.
Dans ces conditions, il était difficile pour la société Fréthelle d’avoir une offre tarifaire compétitive.
Elle saisit donc l’Arafer de ce problème, et cette dernière lui donne raison en ordonnant à la Sageb, d’abord, de baisser la redevance par voyageur à 14,70 € HT, puis de plafonner la redevance au coût du service rendu. Bien décidée à ne pas en rester là, la Sageb saisit le Conseil d’État afin qu’il annule cette décision de l’Arafer, pour excès de pouvoir.
La Sageb considère que le Code des transports l’autorise à établir sa grille tarifaire librement. Or, l’article L. 3114-8 de ce Code vient limiter cette prérogative en prévoyant que l’Arafer concourait à l’exercice d’une concurrence effective au bénéfice des usagers des services de transport, notamment en ce qui concernait les règles d’accès aux aménagements accessibles au public destinés à faciliter la prise en charge ou la dépose de passagers des services réguliers de transport routier.
L’article L. 3114-12 poursuit en donnant toute latitude à l’Arafer pour prescrire des règles d’accès aux infrastructures publiques, et notamment les règles tarifaires.
L’intervention de l’Arafer était-elle discriminante pour la Sageb? Sur cette question, le Conseil d’État, dans sa décision du 30 janvier 2019, a jugé qu’en plafonnant au coût du service rendu le montant de la redevance, l’Arafer permettait aux exploitants de respecter les principes d’objectivité, d’égalité devant la loi et de non-discrimination, ainsi que les règles de la concurrence. Le Conseil d’État a donc rejeté la demande de la Sageb.
Ses deux arrêts de rejet du Conseil d’État viennent démontrer l’efficacité de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui a ouvert à la concurrence l’activité de transport public régulier interurbain de voyageur par autocar. L’Arafer est dotée de prérogative qui lui permet d’assurer une réelle ouverture de ce marché à la concurrence.
Sources: Conseil d’État, 22 octobre 2018; Conseil d’État, 30 janvier 2019; Beauvais: la Cour d’appel de Paris confirme l’arbitrage de l’Arafer, in Bus & Car Connexion, n° 1059, 2 au 5 novembre 2018.
En dépit des décisions rendues par l’Arafer ou le Conseil d’État, rien n’a changé concrètement pour les transporteurs théoriquement autorisés à desservir l’aéroport de Beauvais-Tillé depuis Paris. L’Arafer a adressé, le 17 janvier 2019, une mise en demeure à la Sageb pour non-respect du Code des transports et des décisions précédentes de l’Autorité, et de 2017 relatives aux règles tarifaires, à la procédure d’allocation des capacités et à la comptabilité propre des aménagements de transport routier. En cause notamment, des frais de toucher de quai, qui restent supérieurs à 60 €, des règles d’accès à l’infrastructure, qui « méconnaissent le principe d’objectivité ». La société Fréthelle a également déposé devant l’Autorité de la concurrence, en cours d’instruction. « Je suis déterminé à aller jusqu’au bout », déclare Mostapha Ould Allal, gérant de Fréthelle, qui reconnaît ne pas avoir anticipé des procédures aussi longues. Du côté de FlixBus, également autorisé à desservir l’aéroport de Beauvais, c’est aussi le blocage, avant tout pour des raisons liées au point de départ des lignes. Les opérateurs SLO, quant à eux, sont tenus de partir depuis la gare de Bercy-Seine, conformément à un arrêté de la Ville de Paris. Or, la gare de Bercy-Seine se trouve à moins de 10 kilomètres de la porte Maillot, point de départ des navettes opérées par la société de Transport Paris-Beauvais, filiale de la Sageb.
