Newsletter S'inscrire à notre newsletter

Magazine

Pour négaWatt, l’hydrogène ne représente pas l’énergie d’avenir pour les bus et cars

L’association négaWatt propose une trajectoire décarbonée et dénucléarisée de la France. Dans son scénario énergétique pour 2050, elle prône sobriété, efficacité énergétique et développement des énergies renouvelables. À l’aune de ce scénario global, qui englobe les différents secteurs consommateurs d’énergie, Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatt, passe au crible les différentes alternatives au diesel pour le secteur du transport de voyageurs, et regrette l’engouement actuel pour l’hydrogène.

Bus & Car Connexion: Plusieurs pistes sont mises en avant pour remplacer le diesel, comme les biocarburants par exemple. Qu’en pensez-vous?

Marc Jedliczka: Lorsque l’on effectue une analyse du cycle de vie des biocarburants de première génération comme l’esther méthylique de colza, plus connu sous son nom commercial Diester, on s’aperçoit qu’il n’est pas très bon. Il faut 0,9 l de carburant de pétrole pour produire 1 l de Diester. Ce carburant a le mérite de servir de débouché à l’agriculture française pour éviter les jachères mais d’un point de vue environnemental il y a bien mieux, comme l’usage direct d’huile de colza sans transformation dans le moteur, même s’il peut y avoir des problèmes de viscosité par grand froid. Ou alors le biogaz, obtenu par décomposition « anaérobie » (c’est-à-dire en absence d’oxygène) de matière organique comme les boues de stations d’épuration, les biodéchets ou le lisier – ce qu’on appelle la méthanisation.

BCC: Que pensez-vous du recours au moteur électrique?

M. J.: Un moteur électrique a un très bon rendement, meilleur que celui des moteurs thermiques et il n’émet pas de polluants locaux. Mais la véritable interrogation se pose sur la façon dont l’électricité est produite. Pour l’instant, en France, c’est par le réseau électrique actuel, c’est-à-dire par de l’électricité d’origine nucléaire, dont le rendement est faible et le coût de production de plus en plus élevé. De plus, il faut tenir compte du volume et du poids de la batterie embarquée, qui peut s’avérer rédhibitoire pour un poids lourd: si l’on veut une très grande autonomie, le camion va finir par ne transporter que sa propre batterie! Sans compter les autres contraintes, comme la réduction de leur autonomie dans le temps ou la rareté des ressources nécessaires à leur fabrication comme le cobalt, le manganèse et, dans une moindre mesure, le lithium. Une solution, qui est actuellement testée en Allemagne par Siemens, pourrait être d’utiliser des caténaires, comme pour les trolleybus. Des études récentes montrent que cela pourrait s’avérer intéressant sur les grands axes les plus fréquentés par des poids lourds, en limitant le besoin de batteries aux derniers kilomètres, sous réserve que le point de livraison ne soit pas trop éloigné. Toutefois, cette solution onéreuse ne pourrait, dans le meilleur des cas, concerner que 10 à 20 % des kilomètres parcourus. D’autres solutions plus faciles à généraliser doivent donc également être envisagées.

BCC: Considérez-vous que l’hydrogène peut apporter une partie de la solution?

M. J.: D’où vient l’hydrogène? Aujourd’hui, il est fortement carboné, puisqu’il est obtenu en quasi-totalité par le craquage du gaz naturel fossile, c’est-à-dire en « cassant » chaque molécule de méthane (CH4). On obtient de l’hydrogène (H2) pour alimenter l’industrie française (qui en consomme 1 million de tonnes par an pour ses propres besoins de process) ainsi que du dioxyde de carbone (CO2) qui, rejeté dans l’atmosphère, contribue au changement climatique. Une part infime est obtenue par électrolyse, mais là encore, il faut regarder d’où vient l’électricité. Des centrales à charbon, au bilan environnemental désastreux? Du nucléaire, dont le coût augmente de manière exponentielle? Il est bien entendu possible d’en produire à partir d’électricités renouvelables, mais ces dernières en sont encore à un stade de développement embryonnaire. Dans tous les cas, la priorité doit être à la substitution de l’hydrogène d’origine fossile pour les usages industriels, plutôt que pour faire rouler des camions, car d’autres contraintes entrent en ligne de compte.

BCC: Pouvez-vous lister les contraintes pesant sur les véhicules fonctionnant avec de l’hydrogène?

M. J.: Pour commencer, il n’y a aucun réseau de distribution d’hydrogène, mis à part sur quelques sites industriels, et sûrement pas à grande échelle. De plus, le dihydrogène peut s’enflammer au contact de l’oxygène, avec un résultat très explosif. En outre les molécules sont extrêmement petites, ce qui pose le problème des fuites et nécessite que le réseau de distribution soit adapté, avec notamment des joints spéciaux et une maintenance très régulière, avec à la clé des coûts d’investissement et de fonctionnement énormes. Cela suppose également des réservoirs renforcés pour les camions, ce qui peut alourdir le poids et le coût. Quant aux piles à combustible qui produisent de l’électricité à partir de l’hydrogène, leur fabrication fait appel à du platine, elles coûteront durablement cher. De plus, elles nécessitent elles aussi une maintenance régulière et très spécifique, et elles ont également une durée de vie limitée.

BCC: Pourtant, le constructeur américain Nikola prévoit d’installer des centaines de stations de distribution d’hydrogène à travers les États-Unis, et de nombreux projets fourmillent en Europe…

M. J.: La question est de savoir où et comment l’hydrogène sera produit, et comment il arrivera à la station. Si c’est de manière centralisée, il faudra soit construire à partir de rien un immense réseau très coûteux, soit faire rouler une noria de camions pour alimenter les stations. S’il est produit sur place, par exemple à partir d’électricité renouvelable, il faudra prévoir des stockages importants pour assurer l’approvisionnement, y compris pendant les périodes sans vent ou sans soleil. Dans un cas comme dans l’autre, on aura des milliers de petites bombes à hydrogène un peu partout. Ce n’est pas du tout raisonnable, ni économiquement ni écologiquement, d’autant plus que l’hydrogène peut aider à résoudre l’équation de la décarbonation des transports de manière beaucoup plus efficace techniquement et économiquement.

BCC: De quelle manière?

M. J.: L’hydrogène n’a pas vocation à servir de vecteur final, dans les réservoirs des camions, mais de vecteur intermédiaire, pour produire du méthane de synthèse. Comment? En le faisant réagir avec le gaz carbonique (CO2) que l’on trouve dans le biogaz, via la réaction dite de « méthanation ». En faisant réagir de l’hydrogène avec du gaz carbonique, on obtient du méthane, l’équation chimique s’écrivant 4H2 + CO2 => CH4 + 2H2O. Il faut savoir en effet qu’à l’issue du processus de méthanisation, on obtient à peu près autant de méthane (CH4) que de dioxyde de carbone (CO2). Pour transformer le biogaz brut en biométhane injectable dans le réseau, qui exige un taux de CH4 de 95 à 97 %, il faut extraire le CO2 qui est pour l’instant rejeté dans l’atmosphère: on a donc ici une source toute trouvée de CO2 que l’on peut faire réagir avec de l’hydrogène jusqu’à faire passer le taux de CH4 de 50 % aux fameux 95 à 97 %. Or, le méthane constitue à notre sens la meilleure alternative possible au diesel pour les camions.

BCC: In fine, vous penchez donc pour le GNV?

M. J.: La motorisation GNV présente l’avantage de n’être pas beaucoup plus chère que le diesel, tout en présentant un meilleur bilan en termes d’émissions CO2 et pratiquement pas d’autres polluants, notamment pas de particules fines: on peut ainsi dire que le GNV est l’énergie fossile la moins sale. Il présente en outre l’avantage de pouvoir être distribué à peu près partout, via le réseau gazier qui couvre bien le territoire. La conversion des poids lourds au GNV est déjà aujourd’hui économiquement intéressante, d’autant plus qu’elle peut faciliter la diffusion de cette motorisation auprès des véhicules légers par la multiplication des stations de remplissage. Mais c’est encore plus intéressant si on regarde l’avenir, du fait que le gaz fossile sera progressivement remplacé par du biométhane renouvelable issu de méthanisation ou de méthanation, permettant un passage tout en douceur du GNV au bio-GNV. Pour négaWatt, l’avenir du gaz renouvelable en France est clairement dans les transports, bien plus que pour le bâtiment, où il vaut mieux recourir à de meilleures isolations et utiliser des pompes à chaleur.

BCC: Que pensez-vous des expérimentations comme celle menée à Pau avec des bus à pile à combustible, avec une production qui sera décarbonée?

M. J.: Ce type d’expérimentation, extrêmement coûteuse, n’a pas intérêt à être généralisée. Il vaut mieux, dans les villes moyennes, recourir à des solutions de type trolleybus avec des caténaires ou téléphérique urbain comme à Brest, beaucoup moins lourds et plus flexibles que des tramways, même s’ils prennent moins de passagers. Dans notre scénario, en 2050, une partie significative des bus roule à l’électricité (principalement grâce au développement des trolleybus, qui parcourent certaines villes françaises depuis déjà des décennies) et le reste au bioGNV, tout comme l’ensemble des cars. Quant à la motorisation hydrogène, elle peut trouver sa pertinence dans des cas très spécifiques, par exemple pour remplacer des trains diesel sur des lignes trop coûteuses à électrifier, ou pour certains ferries.

BCC: Il y a pourtant une volonté politique pour le soutien d’une filière industrielle autour de l’hydrogène, comme l’initiative Zero Emission Valley en Auvergne – Rhône-Alpes, région où vous avez été conseiller régional…

M. J.: Nous sommes clairement dans une logique de l’offre, avec des acteurs industriels à la recherche de subventions. Mais on ne peut plus se permettre d’investir dans des solutions coûteuses et que l’on sait par avance moins efficientes que des solutions robustes et certaines, comme le GNV pour les poids lourds. Faire aujourd’hui les mauvais choix technologiques par défaut de vision de long terme et d’analyse systémique, c’est à coup sûr rendre plus difficile la lutte contre la catastrophe climatique qui nous attend.

Retour au sommaire

Auteur

  • Grégoire Hamon
Div qui contient le message d'alerte

Envoyer l'article par mail

Mauvais format Mauvais format

captcha
Recopiez ci-dessous le texte apparaissant dans l'image
Mauvais format

Div qui contient le message d'alerte

Contacter la rédaction

Mauvais format Texte obligatoire

Nombre de caractères restant à saisir :

captcha
Recopiez ci-dessous le texte apparaissant dans l'image
Mauvais format