Porté sur les fonts baptismaux il y a 5 ans, le Club National pour la « Mobilité courante » est revenu à Compiègne début juillet pour une journée de débats et de réflexions autour des applications issues du concept de Mobility as a Service (MaaS). Forme de concrétisation des MaaS, la « Mobilité courante » inspire les acteurs du secteur alors que les offres véritablement intégrées tardent encore à se mettre en place.
Le concept de Mobility as a Service (MaaS) est-il le successeur de la « Mobilité courante », définie par François Ferrieux fin 2014. Cinq ans après le colloque qui a permis de fonder le Club national pour la « Mobilité courante », l’Université de technologie de Compiègne était à nouveau le lieu d’organisation des échanges entre professionnels de la mobilité, cette fois-ci réunis pour discuter de la diffusion de l’esprit des MaaS des zones urbanisées vers les territoires moins denses. Près de 200 personnes ont assisté aux tables rondes du matin, et ont pris part aux ateliers de l’après-midi.
Si en France, personne ou presque n’avait entendu parler de MaaS en 2014, les services mis en place à Helsinki ont depuis fait l’objet de nombreux exposés, articles, et interventions dans différents événements professionnels. Ensuite, c’est la Loi d’orientation des mobilités qui a fixé l’objectif de mettre en place des solutions de mobilité alternatives à l’autosolisme et accessibles à tous, en tout lieu et à tout moment de la journée. « Mobilité courante » ou MaaS, quel que soit le terme employé, le but poursuivi semble identique. Reste à déterminer le chemin à emprunter pour y parvenir. Proposer un GPS vraiment multimodal ne se fait pas en un claquement de doigts. Le développement des services numériques facilite les choses, mais il serait erroné de se reposer sur la technologie sans tenir compte de la régulation.
Laisser faire le marché reviendrait à prendre le risque de ne pas assurer la même qualité de service à tous. Surtout, le préalable indispensable à l’intégration des offres de mobilité est l’existence même de ces offres, et leur consistance. Enfin, les pouvoirs publics doivent s’emparer du sujet, et particulièrement de la transmission des données, afin de garantir le bon usage des informations stratégiques, à commencer par celles qui sont liées à l’exécution des contrats de services publics, et qui les concernent donc au premier chef. Tous ces points ayant été largement débattus dans le cadre de la préparation de la Loi d’orientation des mobilités (Lom), les points d’attention et les risques de blocages étaient déjà bien connus des participants. La suite des événements, avec l’incapacité à trouver un accord en commission mixte paritaire, le 10 juillet, a démontré que les discussions n’avaient pas été épuisées…
Il fallait tout d’abord planter le décor, et faire le point sur les avancées réglementaires et institutionnelles intervenues depuis la fin 2014. Les tables rondes de la matinée ont été l’occasion de donner la parole à l’ensemble des acteurs. En préambule, François Ferrieux avait donné le ton de la journée: du concret! Pour faire de la « mobilité courante » une réalité aussi simple et évidente que l’eau courante, les concepts doivent laisser place aux résultats. Et ceux-ci doivent pouvoir être quantifiés, suivis, évalués… de manière à ce que des améliorations et des mesures correctives puissent être prises si nécessaire. Pour Carole Bureau-Bonnard, députée de l’Oise et vice-présidente de l’Assemblée nationale, l’esprit de la Lom vise à optimiser l’articulation entre les différents bassins de vie et d’emploi. L’exemple de l’Oise, territoire dans lequel de nombreux actifs travaillent à Paris ou autour de l’aéroport de Roissy – Charles-de-Gaulle, vient rappeler à tous que les bassins d’emploi n’ont pas toujours à voir avec les frontières départementales ou régionales.
Une situation qui a fait réagir Franck Dhersin, vice-président de la région Hauts-de-France en charge des transports, regrettant de ne voir aucun représentant d’Ile-de-France Mobilités dans la salle. Pour lui, les responsables franciliens ne se préoccupent qu’à la marge des difficultés de transports des usagers issus des régions limitrophes et, plus particulièrement, des conditions de trajets quotidiennes des voyageurs de la ligne Paris – Creil – Beauvais. L’élu a rappelé par ailleurs à quel point le rôle de la région est devenu difficile. Sans cesse sollicitée pour soutenir les autres collectivités dans leurs efforts visant à améliorer l’intermodalité ou à entretenir et mettre à niveau les infrastructures. Il a rappelé que la région Hauts-de-France dépense chaque jour 1 million d’euros pour faire rouler ses TER. Sur un budget transports qui atteint 1,1 milliard d’euros par an, 492 millions sont consacrés à la convention TER, et 350 millions aux cars interurbains. Comment, dans ces circonstances, arbitrer entre l’entretien du réseau ferroviaire, les investissements dans les nouvelles mobilités, y compris en zones rurales, et le financement de la transition énergétique?
Face à ces interrogations très concrètes, les représentants du ministère et des pouvoirs publics ont exposé les principes de la Lom et les nouveaux outils mis à la disposition des autorités organisatrices et de leurs partenaires pour améliorer les conditions de déplacements de leurs administrés. Bernard Schwob directeur de l’Agence française pour l’information multimodale et la billettique (Afimb), a rappelé le cadre réglementaire et technique de l’ouverture des données de mobilité, et les mesures prises afin de protéger les transporteurs d’une éventuelle captation. Stéphane Chanut, responsable du département déplacements durables du Cerema, est revenu quant à lui sur l’efficacité de la politique de déplacements, et donc l’adaptation des solutions aux besoins de mobilité. Benoît Chauvin, responsable du pôle technologie des transports du Gart, s’est concentré sur le nouveau découpage territorial des compétences, et leur articulation. Anne Meyer, directrice du département des affaires économiques et techniques de l’UTP, s’est lancée dans un vibrant plaidoyer en faveur de l’intérêt général, rappelant que les transporteurs effectuent leurs missions pour le compte des AOM. Dans un contexte où de nombreux foyers rencontrent des difficultés pour assumer leurs dépenses de mobilité, il serait dommageable de soutenir grâce à l’argent public des plateformes intégrant différents services de mobilité purement privés, opérés de surcroît dans un cadre social et fiscal parfois discutable… une analyse largement partagée par Noël Thiefine, responsable économique et prospective de la FNTV, qui a toutefois souligné l’intérêt des nouvelles mobilités, et la nécessité de s’ouvrir aux acteurs innovants et de travailler avec eux, notamment sur les solutions du dernier kilomètre. Olivier Crépin, conseiller économie et mobilités à l’Assemblée des Communautés de France (AdCF), n’a pas manqué de souligner les difficultés liées à la généralisation des AOM sur l’ensemble du territoire, quand cette obligation n’est assortie d’aucune ressource dédiée.
L’exemple donné par le Syndicat mixte des transports collectifs de l’Oise et ses réalisations en matière d’intermodalité (voir encadré ci-dessus) ne serait donc pas si facile à répliquer… n’oublions pas que le « MaaS à la française » doit pouvoir prendre des formes diverses et en adéquation avec les territoires sur lesquels il devra s’appliquer. Sur ce point, Cristina Pronello, titulaire de la chaire Mobilité intelligente et Dynamiques territoriales à l’UTC, ne s’est pas privée de souligner l’importance de donner une définition de ce que l’on désignera sous le terme de MaaS. Au risque de perdre de vue ses objectifs.
C’est à Jean-Marc Zulesi, député des Bouches-du-Rhône, spécialiste de l’innovation en matière de mobilité, qu’est revenue la conclusion de cette journée. Convaincu que la Lom va permettre d’en finir avec les « zones blanches » du transport, et l’assignation à résidence de certaines catégories de population, en zones rurales ou enclavées, le député rappelle que l’innovation doit être opérationnelle et accessible à chacun. Une innovation du quotidien, qui ne recherche pas l’exploit technologique mais l’amélioration effective des services de mobilités rendus en tout point du territoire national. Pour Jean-Marc Zulesi, la mise en application de ces innovations utiles passe par l’expérimentation, qui implique l’évaluation et le retour partagé des résultats obtenus. La mise en place d’un cadre spécifique pour les marchés publics innovants, fin 2018, doit faciliter les choses en allégeant les procédures, notamment par l’absence d’appel d’offres en dessous du seuil de 100 000 euros. Très engagé dans la démarche France Mobilité, Jean-Marc Zulesi insiste aussi sur la capacité à innover des territoires eux-mêmes, et sur la qualité des dynamiques locales.
Fondateur et aujourd’hui président d’honneur du Syndicat mixte des transports collectifs de l’Oise (SMTCO), François Ferrieux est le père du concept de « Mobilité courante ». Ses interventions lors du colloque du 1er juillet lui ont permis de préciser son analyse.
« Dans les zones denses, on dispose de plus en plus de tout un panel d’outils de mobilité, applications, plateformes, en évolution rapide. Les acteurs ont surtout à coordonner et optimiser tout cela dans le respect des contraintes financières, sociales et environnementales. Dans les zones peu denses, le nombre d’outils à coordonner sera plus restreint, mais des combinaisons locales de divers types de mobilité présentent une chance d’écorner l’hégémonie de la voiture solo. Pour cela, c’est l’application de l’esprit des MaaS qui sera une clé de la réussite.
« Trouver le “mix de mobilités” adapté à chaque territoire, l’expérimenter, l’évaluer, le modifier, bref le gérer est un objectif qui va dans le sens de la “mobilité courante” (qui symbolise l’obligation de résultat).
« Certaines solutions expérimentées dans les zones denses peuvent trouver une application adaptée aux zones moins denses: par exemple, les PEM (pôles d’échanges multimodaux) qui se mettent en place autour des gares ferroviaires et/ou routières peuvent être complétés en zones moins denses par des PEM “light” avec, par exemple, près d’un arrêt de car ou bus, un abri vélo sécurisé, un stationnement avec places pour le covoiturage de proximité. En sens inverse, diverses formes de TAD (transport à la demande), voire d’auto-stop organisé, nées en zones rurales, commencent à être appliquées dans les villes aux heures creuses. »
Constitué en 2006, le Syndicat mixte des transports collectifs de l’Oise (SMTCO) regroupe aujourd’hui 16 autorités organisatrices. Son périmètre est celui du département, bassin de vie de 821 552 habitants caractérisé par des espaces mixtes urbains, périurbains et ruraux. Ce territoire est marqué par ses liens avec Paris et l’Ile-de-France, puisqu’un quart des déplacements quotidiens s’effectuent en direction de la région voisine. Grâce au prélèvement d’un versement transport additionnel, le SMTCO finance l’ensemble des outils dédiés à l’intermodalité dont se dotent les AO qui en sont membres. Ainsi, la première réalisation du syndicat mixte a été le SISMO (Système intégré de services à la mobilité dans l’Oise), qui favorise l’usage combiné de différents modes de transports (train, car, bus, TAD, vélo partagé, covoiturage, auto-stop organisé). Le SISMO s’appuie sur un Système d’information multimodale, Oise Mobilité, qui reprend les données mobilité en temps réel fournies par les AO, ainsi que les Systèmes d’information multimodale des régions Ile-de-France et des Hauts-de-France (intégration en cours). Le SMTCO a permis d’installer des équipements d’information dynamique aux points d’arrêt et aux pôles d’échanges, ainsi qu’une information embarquée (visuelle et sonore) à bord des 850 cars et bus des réseaux concernés. Le dispositif est complété par une agence de mobilité, qui diffuse une information personnalisée par téléphone et assure les réservations de TAD, un système billettique commun multiréseaux financé par le SMTCO, ainsi qu’un observatoire de la mobilité chargé d’analyser les données statistiques en vue de faire évoluer l’offre.
Outre les nombreux prix et récompenses reçus, les résultats du SISMO témoignent de son succès: 4 000 connexions par jour en moyenne sur le site oise-mobilite.fr, 4 000 appels par jour à la centrale de mobilité; 8 000 courriels reçus; 182 000 pass multiréseaux en circulation, rechargeables via la e-boutique; une application M ticket pour les voyageurs occasionnels; 17,7 millions de voyages dont 85 000 missions réservées en TAD, 40 aires de covoiturage et vélo-stations référencées.
Le développement d’une offre de mobilité intégrée n’est pas forcément un exercice confortable pour les opérateurs de transports classiques, chahutés par les nouveaux acteurs, au nombre desquels se trouvent les plateformes de covoiturage. Pourtant, si l’on observe avec attention les carences actuelles, il devient évident que certaines innovations sont indispensables pour améliorer les choses. Les usagers des transports publics, représentés le 1er juillet par Christiane Dupart, vice-présidente de la Fnaut, sont d’ailleurs prêts à mettre leur expertise au service de tous, à condition d’être écoutés et associés au suivi des résultats. La projection de quatre photos sélectionnées par Christiane Dupart a suffi à dresser ce constat sans appel: il reste encore du travail, tant au niveau des conditions d’attente aux arrêts, que de l’information diffusée ou de la qualité des correspondances. « Tout le monde ne possède pas de smartphone, et la multiplication des applis ne concerne qu’une partie des usagers des transports publics », a rappelé Christiane Dupart. Du côté des opérateurs, Didier Cazelles, directeur général adjoint de la branche territoires de Keolis, et David Lainé, directeur des solutions MaaS de Transdev, sont revenus l’un et l’autre sur les solutions existantes en fonction des types de dessertes à assurer. Les grands opérateurs ont développé des transports à la demande de plus en plus efficients, et suffisamment souples pour répondre aux attentes des territoires peu denses, avec un minimum de contrainte du côté des délais de réservation. Olivier Binet, président de Karos et spécialiste du covoiturage courte distance, a rappelé pour sa part que la voiture partagée représente la solution la moins onéreuse pour les collectivités, et répond parfaitement aux problématiques des territoires peu denses. L’entrepreneur plaide de longue date pour une intégration du covoiturage quotidien dans l’offre de transport public, indispensable pour stabiliser le modèle économique.
