Il ne se passe plus une semaine, hélas, sans que les médias ne se fassent l’écho de l’agression d’un chauffeur de bus. Que ce soit pour une absence de titre de transport, pour un refus de porter un masque, ou, comme ici, pour un coup de klaxon donné à la suite d’un refus de priorité, il est désormais courant que les chauffeurs de bus soient physiquement pris à partie.
Dans la majorité des cas, les jugements rendus sont favorable au chauffeur de bus, mais la particularité du cas objet du présent article est que le chauffeur de bus, ayant riposté à son agresseur a été licencié pour faute grave!
Comme nous le verrons, son employeur et la Cour d’appel de Paris ont considéré que sa riposte était disproportionnée à son agression, et avait mis en danger les passagers.
Monsieur Othman A. était chauffeur de bus pour la société Transports rapides automobiles.
Le 10 juin 2016, alors qu’il était en poste, un automobiliste lui a coupé sa priorité à droite, ce qui a conduit M. A. à klaxonner.
L’automobiliste est alors descendu de son véhicule et l’a insulté et frappé au visage, à travers la vitre ouverte du poste de conduite du bus.
M. A. est alors sorti de son bus, et des échanges de coups ont eu lieu jusqu’à l’intervention d’usagers du bus et de la police municipale.
M. A. a été transporté au centre hospitalier Robert B., à Aulnay-sous-Bois, et un arrêt de travail de trois jours lui a été prescrit.
Par la suite, il est licencié pour faute grave, par courrier dont voici le résumé:
« Monsieur,
Le vendredi 10 juin 2016, alors que vous étiez à bord du bus 46859, vous avez adopté un comportement violent envers un automobiliste et mis en danger les passagers de votre bus.
En effet, suite à un refus de priorité d’un automobiliste, vous avez klaxonné ce dernier pour exprimer votre mécontentement. Ce dernier est descendu de son véhicule: s’en est suivie une altercation verbale entre vous et un coup de poing dans votre vitre de sa part. Vous avez alors ouvert votre fenêtre et avez reçu un coup de poing au visage. Vous êtes alors descendu du bus pour poursuivre la bagarre sur la voie publique. Il y a eu échange de coups, et vous vous êtes retrouvés tous les deux au sol, obligeant alors les usagers de votre véhicule à descendre pour vous séparer. La police municipale est alors intervenue sur les lieux.
« Un tel comportement est parfaitement inadmissible. Nous vous rappelons que vous devez, en votre qualité de conducteur-receveur, conserver en toutes circonstances, une attitude respectueuse et mesurée. À ce titre, vous devez concilier calme et sérénité lors des différents échanges que vous êtes amené à avoir dans le cadre professionnel, ce, même lorsqu’un automobiliste fait preuve d’incivilité.
« En effet, plutôt que d’adopter une attitude virulente, vous auriez dû faire l’impasse sur cette situation. Votre attitude tout à fait regrettable et intolérable est en inadéquation avec les fonctions que vous occupez, et aurait pu avoir des répercussions dommageables beaucoup plus graves en matière de sécurité des usagers.
« Nous ne pouvons tolérer ce comportement tout à fait inacceptable.
« Par conséquent, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave qui prendra effet à la date de notification du présent courrier, sans préavis ni indemnité. »
M.A. décide de porter l’affaire devant les tribunaux et l’affaire va en appel.
Pour sa défense, il soutient qu’il s’est vu contraint de descendre de son bus, non pas pour poursuivre la bagarre mais pour empêcher un individu violent d’entrer dans le véhicule, et éviter toute éventuelle agression à l’égard des passagers du bus.
Il considère donc que la qualification de la faute grave dont découle un licenciement sans indemnité est disproportionnée au regard des circonstances.
Mais la cour estime qu’il ne démontre pas avoir été contraint de sortir du bus.
Au contraire il résulte du rapport qu’il a lui-même rédigé et de son audition par les services de police qu’il est descendu du bus de sa propre initiative et que l’altercation a pris fin suite à l’intervention d’usagers du bus qui ont dû séparer les deux adversaires.
Les juges d’appel considèrent que même si M. A. a réagi à une agression verbale, il l’a fait de façon disproportionnée en descendant du bus et en se battant avec l’individu en cause.
Ils jugent qu’en agissant ainsi M. A. a non seulement fait preuve de violence mais n’a pas respecté son obligation de garantir la sécurité des passagers qui étaient seuls dans le bus et qui ont dû en descendre pour les séparer.
Enfin ils concluent que la violence de ce comportement et la perte du sens des responsabilités qui incombent à un conducteur-receveur en matière de sécurité caractérisées en l’espèce rendaient impossible la poursuite du contrat de travail.
Ils confirment donc le licenciement pour faute grave.
Pour son employeur et pour les juges, il ressort de cet arrêt qu’en ne souffrant pas stoïquement l’agression verbale et physique d’un automobiliste, et en y répondant, le chauffeur de bus a commis une faute professionnelle grave qui lui vaut un licenciement pour faute, sans aucune indemnité.
Cette décision ne manque pas d’interroger sur l’attente de « sérénité » qui est ainsi placée sur les épaules des membres de cette profession.
En effet, si les forces spéciales françaises de l’armée et de la gendarmerie sont entraînées à ne pas riposter, même lorsqu’elles reçoivent des tirs ennemis, est-il légitime d’attendre la même maîtrise de soi d’un chauffeur de bus, qui n’a pas a priori reçu d’entraînement spécifique pour cela, et qui n’avait peut-être pas en tête que sa mission impliquait de « faire l’impasse » sur une agression subie pendant son service?
Source: Cour d’appel de Paris, 8 juillet 2020
