Le plus grand salon asiatique consacré aux autocars et autobus est une démonstration de force de l’industrie chinoise. Des progrès d’autant plus impressionnants que certaines marques frappent déjà aux portes de l’Europe.
L’industrie chinoise des cars et bus est bel et bien réveillée. Le dragon est en marche. Il appuie ses prétentions sur une production pléthorique de 92 000 véhicules l’année dernière. Des marques comme King Long, Yutong, Higer ou Golden Dragon ne rougissent plus face à leurs alter ego européens.
Si le design s’inspire encore grandement des modèles occidentaux – le Cityliner de Néoplan a par exemple fait de multiples émules – les bureaux d’études chinois commencent à imprimer leur propre touche aux véhicules de dernière génération.
Il en va de même sous les capots. Les motoristes de l’Empire du Milieu maîtrisent déjà les technologies Euro 3 et GNV, comme le prouvent la plupart de leurs catalogues. Mais la norme Euro 4 n’est pas absente des stands, et pas seulement sous les enseignes Cummins, Daf ou Scania. Doosan présente par exemple en avant-première à Busworld un moteur Euro 4 SCR. Quant aux hybrides diesel-électrique, au moins deux véhicules de ce type attireront l’attention de tous les observateurs. Si le premier est signé Scania, l’autre a été réalisé directement par Wuzhoulong Motors. C’est peut-être Chiang Shih-Huang, président de King Long, qui résume le mieux la mutation en cours: “Dans une dizaine d’années, on ne dira plus vendu en Chine, fabriqué en Chine, ou même conçu en Chine, on dira simplement imaginé en Chine”.
C’est sans conteste dans le domaine des véhicules urbains que Busworld Shangaï impressionne le plus l’observateur occidental.
Parallèlement aux véhicules les plus classiques – avec plancher bas pour beaucoup – les constructeurs ont développé des modèles intermédiaires de 12 m, 18 m voire 25 m de longueur. Yutong par exemple, a remporté le Bus of the Year 2007 local avec un modèle qui, esthétiquement, n’a rien à envier à un Cristalis d’Irisbus. Les ingénieurs chinois ont même remplacé les rétroviseurs par des caméras embarquées qui restituent l’image sur deux écrans installés sur le tableau de bord. Certes, le concept est faillible, puisque les caméras sont aveugles lorsque le soleil les frappe, mais ils ont tenté l’expérience. Ils peuvent, car les enjeux sont colossaux. Les investissements attendus des autorités dans le transport public sont à l’image des besoins de la population urbaine grandissante.
La Chine apparaît ainsi comme un terrain propice à la mise en œuvre de BHNS (Bus à haut niveau de service), d’où certainement la présentation de tous ces véhicules de grande longueur. À Shangaï, les bus disposent déjà, sur de nombreux axes, de voies réservées, plutôt bien respectées par les automobilistes. Et si la réalité du parc actuellement en service est moins reluisante que ce qui était présenté sur les stands, c’est surtout parce que le renouvellement est relativement lent au regard des besoins, et que les entreprises n’ont pas développé les mêmes cultures d’entretien et de nettoyage que leurs homologues occidentales.
Les industriels occidentaux ne se trompent pas sur les promesses du marché chinois. Il y a ceux qui veulent bien sûr profiter des besoins colossaux du secteur. Parmi les nouveaux venus, Temsa – décidément d’un appétit à toute épreuve – fait une entrée remarquée sur le marché en remportant le titre de Luxury Coach of the Year 2007 avec son Diamond dès sa première apparition à Busworld. D’autres sont là pour voir comment profiter des capacités de production phénoménales de cette industrie pour le Vieux Continent. Croisés aux détours des allées, Xavier Ringeard de Fast Concept Car, Gilles Hervouet de Ouest Industrie Autocars, ou Pierre Reinhart de Dietrich Carebus, sont loin d’être là pour faire du tourisme.
Nul doute qu’ils viennent dans l’idée de compléter leur catalogue. “Les constructeurs chinois ont beaucoup amélioré la qualité de leurs finitions, analyse par exemple le dirigeant de Fast Concept Car. Dans une coopération, il est important de contrôler en permanence le processus de fabrication pour maintenir le niveau de qualité requis au départ. Vu les progrès réalisés, je suis convaincu qu’ils seront présents sur nos marchés dans moins de cinq ans, et dangereux pour les grandes marques européennes dans une dizaine d’années.”
Pierre Rheinhart n’en est pas moins impressionné: “Les ingénieurs, et plus généralement les entrepreneurs chinois, osent tout. Ils ont une capacité de travail phénoménale, et s’ils se trompent peut-être deux fois sur trois dans leur choix, la réussite est de toute façon au rendez-vous grâce aux besoins de leur marché”.
Texte et photos de Pierre Cossard
La Higer Bus Company Ltd, liée à King Long, a vu le jour en 1998. Elle s’est associée à Scania pour produire cet autocar haut de gamme baptisé A80 et équipé du moteur suédois Euro 4 DC 1213. Le constructeur dispose d’une capacité de production de 18 000 véhicules et, selon les chiffres officiels, aurait livré 13 500 autocars et autobus en 2006.
Temsa n’en finit pas de vouloir conquérir de nouveaux marchés.
Après Busworld Turkey (voir B & C no 778), il fait une entrée remarquée à Shangaï avec son haut de gamme Diamond qui remporte le titre de Luxury Coach of the Year 2007. Son Safari a également fait forte impression.
Avec une capacité de production de 5 000 véhicules par an, Shenzhen Wuzhoulog Motor est un constructeur de taille modeste à l’échelle de la Chine. Il témoigne toutefois d’une certaine originalité, comme le démontre son autocar de tourisme FDG6 125 aux allures de cygne.
– Cette 7e édition de Busworld Shangaï est un vrai succès.
À quoi attribuez-vous votre réussite?
C’est vrai que depuis 2001, date de la première édition, nous sommes passés de 7 000 à 24 000 m2, et nous avons reçu cette année plus de 15 000 visiteurs. Shangaï ne représente encore que la moitié de la surface de Courtrai, mais c’est le double de la Turquie et le triple de Bombay. En fait, nous sommes arrivés à point nommé en Chine.
Les constructeurs étaient prêts pour se lancer dans une telle opération. En Inde et à Lagos, nous sommes un peu trop en avance, et en Turquie, l’industrie a déjà atteint un bon niveau de développement sans nous. Globalement, je ne peux qu’être satisfait, car la marque Busworld réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 10 millions d’euros.
– Vous êtes devenu un observateur privilégié de l’industrie chinoise. Où en est-elle aujourd’hui?
La Chine a produit 92 000 autocars en 2006. Elle en fabriquera bientôt 120 000 chaque année. Les véhicules présentés au salon témoignent de l’occidentalisation du matériel, avec une amélioration nette des finitions et une maîtrise de plus en plus certaine de l’électronique. Toutefois, la grande force de ces industriels, c’est de pouvoir produire pour les marchés émergents des véhicules d’une grande simplicité (King Long a récemment vendu 800 autocars à suspension à lames au Nigéria) tout en construisant des autocars qui ne dépareilleraient pas sur un parc européen.
– Quand pensez-vous que nous verrons des véhicules chinois en Europe?
De toute façon plus vite que ne le croient la plupart des constructeurs européens, qui se considèrent parfois comme le nombril de l’industrie mondiale.
Les Chinois ont déjà vendu leurs autocars sur des marchés comme la Roumanie ou la Bulgarie. Mieux, King Long, toujours lui, vient d’en commercialiser un en Allemagne et deux en Italie. Ce ne sont que des coups d’essai, mais les marques chinoises seront présentes en Europe occidentale dans cinq ans, et je crois qu’elles arriveront par l’Italie.
– Où voulez-vous encore exporter le concept Busworld?
Nous avons deux projets en cours. Je souhaiterais organiser un salon à Moscou et un autre à Sao Paulo. Dans les deux cas, il existe une production locale importante et des populations ayant un vrai besoin de mobilité. Nous travaillons activement sur ces deux salons, mais je n’ai encore aucune date à annoncer.
– Vous allez bientôt atteindre l’âge d’une retraite méritée, vous y êtes-vous préparé?
J’ai aujourd’hui 64 ans, je vais donc bientôt pouvoir prétendre à me reposer. Ma succession est déjà assurée par ma fille Mieke, qui prendra le relais. Elle et moi nous amusons de la même façon, et elle maîtrise déjà tout le processus de travail. Pour autant, je continuerai à collaborer à Busworld à travers une société de consulting, qui me permettra de me pencher sur la stratégie de développement de la marque. Parallèlement, je conserverai mes activités dans le monde du tourisme. Je suis président du Comité technique des agences de voyages belges, qui attribue les licences, et président du Conseil économique et social de Flandres. Je n’ai pas encore envie de tout mettre de côté.
Je m’amuse comme un fou depuis 1971 et je compte bien continuer encore. J’aurai, je l’espère, juste un peu plus de temps pour lire un bon livre au calme et m’adonner à mon autre passion, l’histoire militaire.
Propos recueillis par P.C.
