Pour favoriser son indépendance énergétique, la France pensait avoir trouvé une solution miracle: les biocarburants. Le problème est que l’éthanol et autres biodiesel se voient contestés aux plans économique, social et même écologique. Ne seraient-ils plus la panacée tant vantée?
Le ciel des biocarburants ne serait plus aussi vert. Le biodiesel, et surtout l’éthanol, font face à de violents vents de contestation. Et cette bronca ne se limite pas à l’Hexagone, où les biocarburants ont bénéficié de toutes les faveurs gouvernementales et pourraient encore faire figure de vedettes lors du Grenelle de l’environnement. Dans le reste de l’Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Asie, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dénoncer les conséquences de la ruée vers l’or vert destinée à produire cette énergie renouvelable.
Si à la sortie du pot d’échappement les biocarburants sont plus agréables à respirer que le super ou le diesel, ils ne seraient pourtant, selon certains experts, pas aussi vertueux sur le plan environnemental. Leur écobilan laisserait à désirer. Sont pointées du doigt leurs méthodes de production, avec notamment la quantité importante d’engrais et de pesticides (les intrants) nécessaires à la culture des plantes concernées: maïs, betterave, colza… Pourtant en France, selon l’Ademe, il n’y a pas de raison de tirer la sonnette d’alarme. En se basant sur une étude (fondée sur un mode de calcul particulier) qu’elle avait diligentée en 2002 avec le ministère de l’Industrie, l’agence affirme que l’écobilan reste favorable. “Il est faux de prétendre que l’on dépense plus d’énergie que l’on en produit pour fabriquer de l’éthanol. De plus, le mode de calcul date de 2002 et s’appuie sur des techniques dépassées qui ont évolué et progressé depuis. Les résultats seraient encore meilleurs aujourd’hui”, assure Étienne Poitrat. Le responsable des biocarburants au sein de l’Ademe affirme que le rendement énergétique de l’éthanol (énergie produite divisée par l’énergie fossile consommée) est de deux. “Il est encore meilleur avec le biodiesel (Ndlr: il est de trois), car il n’est pas nécessaire de dépenser beaucoup d’énergie pour la distillation. Ce rendement pourrait être amélioré en utilisant de l’énergie renouvelable dans le processus de fabrication. Et il faudra y venir, car toutes les énergies fossiles se tarissent.” Pour Jean-François Gruson, adjoint au directeur des études économiques à l’Institut français du pétrole, il existe une quantité de paramètres qui peuvent faire varier l’écobilan du bon ou du mauvais côté. “Le besoin et l’impact des intrants est variable en fonction de la nature du sol, du type de culture et de la région où elle se pratique. Il faut également prendre en considération le relargage de carbone pour la mise en culture d’une terre. Si on part d’une vieille jachère, qui n’a pas été labourée depuis de nombreuses années, il y aurait beaucoup de CO2 relâché dans l’air. En France et en Europe, cela ne devrait pas trop arriver, car on a toujours privilégié la jachère tournante. Enfin, le bilan est très dépendant du combustible utilisé. Il y a un écart considérable entre l’éthanol fabriqué à partir de canne à sucre, et celui à base de maïs qui aux États-Unis est distillé à l’aide de charbon. Enfin, le mode de calcul français date de 2002. Il faut revoir cette étude”. À ce sujet, l’Ademe a lancé un appel d’offres pour obtenir une nouvelle “Étude sur la méthodologie à appliquer pour établir le référentiel des bilans d’énergie, de gaz à effet de serre et des polluants atmosphériques locaux des biocarburants de première génération en France”. La date limite de réponse était fixée au 30 août, et l’Ademe espère que la nouvelle méthodologie fera une plus grande unanimité. Mais dans le camp des sceptiques, on fait remarquer qu’une étude ne suffit pas. Pour eux, plus les besoins et la demande en biocarburants seront forts, plus l’écobilan risque de se dégrader.
Les 10 % d’incorporation de biocarburants prônés par les autorités françaises à l’horizon 2015 inquiètent donc. Nombre d’associations écologistes prédisent que cette échéance favorisera le développement d’une agriculture intensive, d’où une consommation plus importante d’intrants, et des dérives possibles vers les cultures OGM, comme cela se pratique déjà aux États-Unis.
Claude Mandil, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, déclarait à nos confrères de La Tribune: “Actuellement, on ne sait pas si l’on fait une politique de développement des biocarburants au nom de la politique agricole commune ou au nom de la politique énergétique”.
Pour se prémunir des dérives, ne faudrait-il pas mieux encadrer les méthodes de production? L’Union européenne planche sur un système de certification qu’elle souhaiterait présenter au début de l’année 2008. Pour parvenir à ses fins, elle devrait s’appuyer sur des expérimentations en cours dans des pays membres: Allemagne, Pays-Bas et Angleterre. C’est chez nos voisins britanniques que le système est d’ailleurs le plus avancé. “Les producteurs doivent jouer le jeu de la transparence avec une traçabilité totale de tous les composants utilisés dans la fabrication: le type de plante, les engrais utilisés et leur quantité… Tout cela est inscrit sur un site internet et permet de savoir si l’on peut ou non bénéficier d’avantages fiscaux”, explique Jean-François Gruson.
Les querelles ne se limitent pas à la question de l’écobilan. La préservation de la biodiversité entre également en ligne de compte. En France et en Europe, le développement des biocarburants pourrait se faire sans trop de dégâts. “Dans l’Hexagone, ils ont été mesurés. Pour respecter l’objectif des 7 % d’incorporation en 2010, il faudra exploiter 2,4 millions d’hectares, soit 13 % des terres arables. Il reste de la marge. Il est important de souligner que l’Europe avait imposé la mise en jachère de terres uniquement pour des raisons économiques. Leur utilisation, notamment pour le développement des biocarburants, n’aura pas un impact écologique direct”, assure Étienne Poitrat.
Les inquiétudes se situent plus au niveau planétaire, et notamment en direction des pays en voie de développement pour qui les biocarburants sont une aubaine avant tout économique. “Le fait d’empiéter sur la forêt tropicale nuit évidemment à la biodiversité, reconnaît Jean-François Gruson. Pour ce qui est de l’enjeu du CO2, la réponse est plus nuancée. Si le déboisement se fait par découpe, pour donner par la suite du bois d’œuvre ou de chauffage qui remplace un autre combustible, l’impact CO2 sera limité. Le problème se pose réellement quand on procède par brûlis. Dans ce cas, c’est catastrophique”.
C’est au Brésil et surtout en Indonésie que la menace sur les forêts est la plus grande. Certains scénarios catastrophes prédisent que dans 15 ans, 98 % des forêts pluviales d’Indonésie et de Malaisie auront disparu. En Indonésie, c’est le palmier à huile qui la remplace pour produire des biocarburants. Théoriquement, car l’État indonésien semble dépassé par les événements. À titre d’exemple, le gouvernement a alloué 6 millions d’hectares de forêt pour produire l’huile de palme. Elle a été rasée avec empressement, mais seuls 250 000 hectares ont été replantés.
C’est ce que l’on appelle un changement direct d’affectation. Mais l’impact sur les forêts est plus insidieux. Il peut se faire par jeu de dominos. La culture de plantes pour biocarburants pousse une autre culture, qui vient dès lors empiéter sur le terrain de la forêt et ainsi de suite. “La culture du soja dans le nord du Brésil risque de développer cela”, souligne Jean-François Gruson.
Le développement des filières biocarburants risque également d’avoir un impact sur l’équilibre alimentaire mondial. Les plantes impactées dans le processus de fabrication vont être détournées de leur but premier: nourrir la planète. On risque de connaître une ruée vers l’or vert, qui conduira tout droit à une hausse des prix. Les denrées alimentaires pourraient se muer en denrées énergétiques.
La flambée des cours du blé enregistrée cette année en est-elle la première conséquence? “Ce ne sont pas les biocarburants qui en sont responsables. Les conditions climatiques de 2005 et 2006 ont eu un impact négatif sur les récoltes au niveau mondial. Cela s’est conjugué à une hausse de la demande, d’où la flambée des prix. Les biocarburants ne peuvent en être responsables que pour 10 % au maximum”, conteste Étienne Poitrat.
Ils restent toutefois un facteur aggravant, et plus les besoins d’incorporation seront grands, plus cette part risque d’augmenter. “À moins que les récoltes ne retrouvent leur niveau normal, ce qui est envisageable”, modère Étienne Poitrat.
La courbe des prix alimentaires n’est pas à prendre à la légère. Les pays les plus pauvres seront certainement les plus touchés. Mais la crise pourrait avoir des répercussions dramatiques plus globales. High Frequency Economics, un cabinet d’étude new-yorkais, révélait que “la dernière fois que les stocks de céréales étaient aussi bas, en 1972, l’histoire s’est mal terminée. Les prix alimentaires ont réellement été un facteurs déclenchant de la récession mondiale des années 70”.
L’International Food Policy Research Institute, un centre américain de recherche sur les politiques alimentaires, a dévoilé des prévisions inquiétantes. Dans un contexte de prix du pétrole élevés, l’augmentation de la production de biocarburants entraînerait une hausse des cours mondiaux du maïs de 20 % d’ici à 2010, et de 41 % à l’horizon 2020. Pour les oléagineux, notamment le colza, le soja et le tournesol, l’augmentation serait de 26 % en 2010, et de 76 % en 2020. Quant au blé, il faudra tabler sur + 11 %, puis + 30 %. Enfin, dans les régions les plus pauvres, sur les mêmes périodes, le prix du manioc devrait connaître une inflation de 33 % et de 135 %.
L’engouement pour les plantes énergétiques va également poser d’autres problèmes. Il pourrait raréfier la production d’autre cultures, au final moins lucratives. Il est parfaitement compréhensible qu’un agriculteur se tourne en priorité vers les productions les plus rentables. Au Brésil, la culture de la canne à sucre est en perpétuel essor. En 2006, ses exportations ont rapporté plus de 6 milliards d’euros (3,5 % du PIB). Cependant, les craintes sont grandes. La marche forcée des plantations de canne éveille le spectre de la monoculture. Certains États brésiliens tentent de mettre en place des mesures pour limiter l’impact de la canne. À São Paulo, qui concentre 60 % de la production nationale, un député souhaite imposer aux grands exploitants de consacrer 10 % de leurs terres à d’autres cultures. Simao Pedro, l’élu en question, redoute que “si la croissance du secteur ne s’accompagne pas de limites, nous serons un jour ou l’autre obligés d’importer des produits alimentaires de base”.
Au Brésil, les conséquences négatives ne se cantonnent pas au plan alimentaire. Le succès économique des biocarburants se fait aussi sur le dos des plus démunis, et plus particulièrement sur celui des coupeurs de canne, assimilés par certains chercheurs brésiliens à de nouveaux esclaves.
Poussés par la misère et la faim, les travailleurs évoluant dans les champs de canne viennent, pour la plupart, du Nordeste, la région la plus pauvre du Brésil. Ainsi, ils acceptent plus docilement un salaire de misère en dessous du seuil minimum (moins de dix euros par jour) pour travailler quotidiennement près de 12 heures, couper 10 tonnes de canne et parcourir 9 km dans un champ qu’ils ne quittent généralement jamais. En cinq ans, près de 1 500 travailleurs ont trouvé la mort dans les champs brésiliens, dans une indifférence quasi générale.
Leur mode de recrutement évoque encore plus l’esclavagisme. Selon Maria Christina Gonzaga, chercheuse au ministère du Travail, les ouvriers des champs sont bien souvent “vendus par des intermédiaires qui sélectionnent la main-d’œuvre”. Pour chaque personne capable de fournir ses 10 à 12 tonnes de canne, ces recruteurs, appelés les gatos (chats), touchent en moyenne 23 euros. On repense à des traites d’un autre temps. Cela souligne aussi que le bilan global de ce carburant vert est tout de même loin d’être rose.
En écologie, faire un écobilan consiste à analyser l’ensemble des impacts environnementaux d’un produit du début à la fin de sa vie: extraction et transformation des matières premières, impacts de sa consommation, fin de vie du produit, etc.
En agriculture, ce sont les différents produits apportés aux terres et aux cultures: les engrais, les amendements (éléments améliorant les propriétés physiques et chimiques du sol, tels que le sable, la tourbe, la chaux), des produits phytosanitaires ou encore des activateurs ou retardateurs de croissance.
Ce sont ceux que l’on obtient à partir de cultures telles que les céréales (le blé, le maïs), la betterave, la canne à sucre pour la filière bioéthanol; le colza, le tournesol, l’arachide pour la filière biodiesel et HVB (huile végétale brute).
La première génération n’utilise que la graine de ces plantes.
Ils sont fabriqués à partir de toute la plante, y compris ses résidus végétaux.
Des procédés particuliers (pyrolyse et gazéification) permettent d’utiliser toute la biomasse, en particulier la cellulose et la lignine, jusque-là non exploitées par les procédés classiques comme la fermentation.
