Perché sur un plateau de Haute-Loire en pays huguenot, Le Chambon-sur-Lignon doit sa notoriéré à sa population, à qui le mémorial israélien de l’Holocauste a décerné collectivement le titre de “Justes des Nations” pour son aide aux juifs durant l’Occupation. Le village enrichit aujourd’hui son Parcours de la mémoire pour le mettre à la portée du plus grand nombre.
“Nous ignorons ce qu’est un juif. Nous ne connaissons que des hommes”. Cette phrase, prononcée par le pasteur André Trocmé en août 1942, résume à elle seule l’esprit qui souffle depuis plusieurs siècles sur le plateau Vivarais-Lignon, à cheval entre la Haute-Loire et l’Ardèche. Un esprit perceptible dès l’époque de la Révolution française, quand les familles protestantes du plateau entreprirent de cacher les prêtres réfractaires à la constitution civile du clergé. Plus tard, à la fin du XIXe siècle, le Haut-Lignon s’ouvrit aux enfants pauvres, avec la création par le pasteur Louis Comte de l’Œuvre des enfants de la montagne. Elle permettait aux petits miséreux du bassin minier de Saint-Étienne de venir reprendre des forces et des kilos au bon air des fermes du plateau.
En 1914, le village hébergea des réfugiés alsaciens. En 1936, des familles de Républicains espagnols chassés par la guerre civile, bientôt rejoints par des Autrichiens et des Allemands qui fuyaient le nazisme.
Mais c’est plus encore l’accueil des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale qui inscrivit le plateau dans l’histoire. Pendant les heures les plus sombres de la France, entre 3 000 et 5 000 juifs furent accueillis et plus encore sauvés par les habitants du Chambon-sur-Lignon et des communes environnantes.
Il est vrai que le Haut-Lignon n’est pas un “pays” comme un autre. Enclave géographique perchée à 1 000 mètres d’altitude, elle se caractérise par la cœxistence d’une dizaine de religions à très forte dominante protestante. Cette identité singulière a sans doute contribué à la décision à la fois individuelle et collective de sauver ceux que tout le monde pourchassait. “Juifs et protestants ont en commun de savoir ce qu’est la persécution, souligne Gérard Bollon, historien et documentaliste à l’Éducation nationale, auteur de nombreux ouvrages (il est l’un des guides du Parcours de la mémoire). Ce sont par ailleurs des hommes de la Bible, et notamment de l’Ancien Testament. Enfin, ces deux religions partagent un très fort engagement de la part de leurs leaders”.
Au Chambon-sur-Lignon, le premier à initier l’esprit de résistance fut le maire du village Charles Guillon. Refusant le régime de Vichy, il avait donné sa démission en juillet 1940 et organisé l’accueil des réfugiés au Chambon. Un acte qui incita les habitants à entrer en résistance spirituelle dès l’automne 1940 et à suivre les préceptes de leurs pasteurs: obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
André Trocmé était le plus emblématique de ces pasteurs. Arrivé au Chambon-sur-Lignon au milieu des années 30, il connaissait parfaitement les dangers de l’idéologie nazie, étant d’origine allemande et ayant vécu de près la montée du fascisme en Italie (sa femme Magda était d’origine italienne).
“Des pressions païennes formidables vont s’exercer sur nous-mêmes et sur nos familles pour tenter de nous entraîner à une soumission passive à l’idéologie totalitaire, lança-t-il le 23 juin 1940. Si l’on ne parvient pas tout de suite à soumettre nos âmes, on voudra soumettre tout au moins nos corps. Le devoir des chrétiens est d’opposer à la violence exercée sur leur conscience les armes de l’Esprit.”
Si, sous son influence et celle de ses “frères d’armes”, les familles du plateau s’unirent pour “transformer chaque ferme en refuge, chaque cuisine en asile”, il semblerait aussi qu’une sorte de “protection divine” ait joué positivement.
Ainsi la population se souvient-elle de nombreuses anecdotes. Comment imaginer par exemple que la pension Tante Soly, où se cachaient une vingtaine d’enfants, n’ait pas attiré l’attention des 80 soldats allemands qui étaient en convalescence dans la maison mitoyenne?
“Il n’y a pas eu de dénonciations sur le plateau, ni de famille arrêtée pour avoir caché des juifs, reprend Gérard Bollon. Nous sommes ici dans un pays de taiseux.” Même la Préfecture, lorsqu’elle savait qu’il allait y avoir une descente de gendarmes, se débrouillait pour donner l’alerte ou perdre beaucoup de temps en chemin. Quand ce n’était pas les gendarmes eux-mêmes qui étaient frappés de cécité.
Un seul événement a dérogé à la règle. La maison des Roches, un foyer universitaire qui abritait une centaine de réfugiés (dont la moitié étaient juifs), fit l’objet en juin 1943 d’une rafle de la Gestapo. Dix-huit pensionnaires et le directeur Daniel Trocmé (cousin du pasteur) furent arrêtés et déportés. Cinq jeunes juifs ne revinrent pas d’Auschwitz, tandis que Daniel Trocmé décéda à Maïdanek. “Cela a laissé un souvenir épouvantable chez les gens du pays, qui se sont sentis coupables de n’avoir pu donner l’alerte en temps et en heure. Aussi cette maison a-t-elle été laissée à l’abandon pendant de nombreuses années. En 2000, elle a finalement été rachetée par un couple de céramistes qui y ont créé un espace d’art contemporain.”
Aujourd’hui encore, la tradition d’accueil perdure au Chambon-sur-Lignon. Après les Hongrois en 1956, les Chiliens en 1973, les Laotiens en 1975, des réfugiés de tous pays continuent de venir poser leurs valises sur le plateau. À lui seul, le Centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (Cada) rassemble 52 familles en attente de statuts des autorités françaises. Leurs enfants sont scolarisés dans les écoles du pays, parfois à la fameuse École nouvelle cévenole fondée en 1938 par les pasteurs André Trocmé et Edouard Theis pour offrir “une éducation chrétienne pour la paix dans un environnement international”. Devenu Collège Cévenol, l’établissement compte aujourd’hui 300 élèves issus de 35 pays.
Le village, quant à lui, assoit peu à peu sa notoriété. Déjà connu en raison des divers séjours d’Albert Camus sur le plateau entre 1942 et 1952, il a refait parler de lui le 5 septembre 1988, quand le mémorial israélien Yad Vashem a décerné à titre collectif à toute sa population et à celle des communes environnantes, le titre de “Justes des Nations” et élevé une stèle pour leur rendre hommage. Plus récemment, le 8 juin 2004, Jacques Chirac et plusieurs personnalités telles que Simone Veil ou Jacques Barrot sont venus effectuer le Parcours de la mémoire.
Enfin, Jacques Chirac a présidé le 18 janvier 2007 au Panthéon l’Hommage de la Nation aux Justes de France. À cette occasion, l’Élysée avait envoyé une invitation aux “Justes du plateau” et à tous les enfants de ces derniers. Des Justes que les milliers de juifs sauvés sur le plateau pendant la guerre n’avaient jamais cessé, eux, d’honorer.
Il permet de découvrir douze lieux symboliques forts en émotion: la gare du Chambon où arrivaient les réfugiés, le presbytère protestant, le temple, la pension Tante Soly, la plaque commémorative élevée en 1979 par des juifs sauvés par les habitants (notre photo ci-dessous), l’école du bourg…
La visite peut être approfondie avec l’exposition "Images et paroles de nos villages pendant la guerre 1939-1945", à la gare du Chambon-sur-Lignon.
Deux films pour le compléter:
– La Colline aux mille enfants, de Jean-Louis Lorenzi, fiction de long-métrage de 1994.
– Les Armes de l’esprit, de Pierre Sauvage, documentaire de 1987.
Il fonctionne de Pâques à la Toussaint, à la demande pour les groupes, et sur réservation. Plusieurs itinéraires sont possibles sur le plateau.
Un nouveau jeu, une nouvelle sensation, l’esprit du golf de haut niveau, simplement avec un putter. Ouvert d’avril à octobre.
Parc de découverte miniature représentant le patrimoine de la Haute-Loire (environ 50 reproductions) sur deux hectares. Visite guidée par les concepteurs du parc. Ouvert du 1er avril au 2 octobre.
Renseignements:
office du tourisme du Haut-Lignon: 04 71 59 71 56.
– Quelle est votre politique touristique, notamment à l’égard des groupes?
Le Chambon a été l’un des premiers villages à avoir créé son syndicat d’initiative, en 1912. Aujourd’hui le tourisme est la première activité économique du plateau. Nous sommes sur un territoire où l’environnement est préservé, nous nous inscrivons donc dans une approche de développement durable. Notre altitude à 1 000 m est idéale pour les remises en forme, aussi nous accueillons beaucoup de sportifs de haut niveau. Le village voisin de Tence, par exemple, a hébergé l’équipe nationale portugaise de rugby lors du dernier championnat du monde. Pour les groupes, nous avons toute l’infrastructure nécessaire pour les accueillir: hôtels, villages vacances, centres d’accueil collectifs, restaurants de grande capacité… Nous en avons reçu une trentaine en juin 2007, soit 900 personnes venues pour le Parcours de la mémoire. Nous voulons néanmoins continuer de développer cette clientèle. Nous allons ainsi organiser en octobre un éductour à l’attention des professionnels de la région Rhône-Alpes. Nous sommes sur un territoire qui peut être autonome en terme d’activités, tout en bénéficiant d’offres complémentaires de proximité: la ville du Puy-en-Velay à 40 minutes, le massif du Mézenc…
– Qu’en est-il du Parcours de la mémoire?
Notre souhait est de renforcer et de professionnaliser notre offre afin de pouvoir répondre à la demande croissante des individuels et des groupes.
Dès le printemps prochain, nous allons généraliser un système GPS. Les individuels pourront effectuer le Parcours, tant dans le village que sur tout le plateau, avec un Pocket PC qui distillera photos et commentaires. Le procédé a été testé lors des Journées du Patrimoine de septembre dernier.
S’agissant des groupes, nous ne pourrons compter sur la seule présence de Gérard Bollon et de la personne faisant la visite en anglais. Aussi allons-nous former un guide. Nous allons aussi relancer le projet de musée dédié à l’histoire du village, avorté en 2001 alors qu’il était quasiment financé. L’idée est de pouvoir organiser des expositions, consulter des archives, utiliser les vidéos de témoignages qui existent…
Il faut du temps pour que les "taiseux" acceptent que l’on parle de tout cela, l’histoire est encore récente. Mais l’idée de relancer ce musée reste très présente, tout dépendra en fait du résultat des élections municipales de 2008. Il y a déjà un site qui pourrait être équipé très rapidement, et le travail a déjà été bien avancé.
– Quels sont les autres projets?
Notre voulons continuer de privilégier la qualité, c’est-à-dire rester loin du tourisme de masse mais accueillir le mieux possible nos visiteurs. Nous avons ainsi en projet de devenir un office du tourisme trois étoiles en 2008. Nous voulons également développer le tourisme handicap. Nous avons déjà reçu la finale du championnat de France Handisport de cyclisme, lors du premier week-end de juillet.
Les organisateurs ont beaucoup apprécié l’accueil et pourraient monter ici d’autres épreuves sportives, européennes cette fois.
Nous avons enfin un projet de balnéothérapie. Le plateau a été choisi par un entrepreneur en raison de la présence d’une source, mais plus encore de la portée culturelle du Chambon-sur-Lignon. Le projet ciblerait dans un premier temps les seniors, et il comporterait d’autres équipements: restaurant, auditorium, hôtellerie et serait ouvert dix mois par an. La première pierre pourrait être posée à la fin 2008, pour une ouverture éventuelle en 2010.
