Depuis plus de six mois, les Voies Ferrées du Dauphiné (VFD) exploitent une ligne express internationale, Aerocar, entre l’aéroport de Genève et Grenoble via Chambéry. Une initiative qui illustre bien l’esprit nouveau qui souffle sur cette ex-régie départementale devenue société d’économie mixte.
L’histoire de la ligne Genève / Grenoble remonte aux années 50, à l’époque où la ville suisse était reliée à Nice par la route des Alpes. Un tracé sinueux exploité par l’entreprise dauphinoise Autocars Traffort. En reprenant cet autocariste en 1983, les VFD récupèrent la ligne, jusqu’à ce qu’en 2006, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur décide de confier sa partie sud, entre Grenoble et Nice, à un transporteur provençal. C’est ainsi que le tronçon Grenoble / Marseille tombe dans l’escarcelle de la SCAL, et que celui entre Nice et Sisteron revient aux Autocars Payen.
Les VFD, elles, ont conservé la partie nord, entre Grenoble et Genève. Mais plus dans les mêmes conditions. “La clientèle qui fréquentait cette ligne, essentiellement des touristes qui se rendaient en cure dans les stations thermales du nord des Alpes comme Évian ou Aix-les-Bains, a progressivement disparu, explique François Bataillard, directeur de la communication aux VFD. Et comme nous possédions la licence d’exploitation sur cette ligne, il aurait été dommage de ne pas en profiter. Nous avons opté pour une liaison express desservant l’Aéroport international de Genève (AIG)”.
Changement de stratégie commerciale donc. D’autant que cette ligne franco-suisse fonctionne sous couvert d’une licence de transport régulier international, délivré par le ministère des Transports des deux pays. Il s’agit là d’une autorisation d’exploitation fort différente des conventions qui régissent par exemple les transports interurbains. Elle s’adresse à une initiative entièrement privée. L’exploitation s’effectue donc aux risques et périls de l’exploitant, sans compensation. Tout au plus, les VFD peuvent-elles compter sur l’aéroport de Genève pour assurer la promotion de la ligne et leur faciliter l’accès. Non seulement la société d’économie mixte innove, mais elle ne craint pas de prendre des risques.
La société iséroise, qui a lancé la marque Aerocar pour ce service spécifique, a donc dû consentir de nombreux efforts pour le rendre attractif. Tout d’abord, elle a rationalisé l’itinéraire en ne retenant qu’un seul arrêt intermédiaire, à Chambéry. Le temps de parcours entre la gare routière de Grenoble et l’aéroport de Genève s’en trouve réduit à 2 h 30. Il est assuré par deux véhicules de type Setra GTHD, habillés aux couleurs d’Aerocar et équipés de 45 sièges seulement pour garantir davantage de confort. Ils exécutent trois allers et retours par jour, sept jours sur sept, avec un véhicule de remplacement disponible.
La tarification est simplifiée, avec deux tarifs allers et retours à 69 euros pour Grenoble, et à 43 euros pour Chambéry. “Pour l’instant, il n’existe pas de formule d’abonnement, mais nous pouvons faire des offres pour les groupes”, ajoute François Bataillard.
Quant à la commercialisation, elle s’effectue via plusieurs canaux: sur le site vfd.fr, auprès des boutiques VFD situées dans les trois villes desservies, à l’aéroport, ou encore à bord des véhicules. Au bout de six mois d’exploitation, la ligne monte régulièrement en puissance et les résultats des enquêtes montrent que le niveau de satisfaction de la clientèle est très élevé, ce qui laisse présager d’une bonne fidélisation.
“Il nous reste encore du travail à faire principalement auprès des entreprises qui utilisent encore le plus souvent d’autres systèmes d’acheminement”, analyse François Bataillard. Ceci afin d’atteindre, le plus rapidement possible, le seuil d’équilibre de la ligne qui s’élève à 60 passagers par jour. “Aerocar s’adresse essentiellement aux personnes qui vont ou qui viennent de prendre l’avion”, explique-t-il.
Effectivement, la plate-forme genevoise est particulièrement dynamique, avec dix millions de passagers par an. Très tôt, elle a su prendre le virage des low cost (Easyjet y assure le tiers du trafic total) et elle dispose d’une offre long courrier, notamment sur l’Amérique du Nord, qui lui permet de s’afficher comme l’autre aéroport de Rhône-Alpes.
Autre atout: l’Aéroport international de Genève se positionne autant sur la clientèle d’affaires que sur celle de tourisme. Pour les sports d’hiver, c’est une porte d’entrée non négligeable sur la vallée de Chamonix ou les massifs voisins du Chablais, de la Tarentaise ou de la Maurienne. Pour des clients candidats aux voyages ou pour les opérations de réceptifs, les VFD souhaitent donc monter des opérations conjointes avec le réseau des agents de voyages et des tour-opérateurs. Celles-ci devraient prochainement démarrer avec l’un des majeurs du secteur, l’Allemand TUI.
Cela fait maintenant un peu plus d’un an que les VFD ont abandonné leur statut de régie départementale. Ainsi en a voulu le conseil général de l’Isère. Depuis le 1er juillet 2006, les VFD sont donc devenues une société d’économie mixte (Sem), au capital de 5 millions d’euros, détenu à 80 % par le conseil général, à 15 % par Keolis et à 5 % par Isère Gestion (société de gestion de patrimoine, qui détient entre autres les actifs immobilisés des VFD). "Ce changement de statut juridique s’accompagne aussi d’un changement de fonctionnement et de culture", explique Hubert Boute, le nouveau directeur général des VFD. Celui-ci hérite d’une structure plus que centenaire, riche d’un effectif de 600 salariés, de 340 véhicules interurbains et d’une vingtaine d’urbains, une flotte qui a un âge moyen inférieur à sept ans.
En 2006, les VFD ont réalisé un chiffre d’affaires de 42 millions d’euros. Des résultats financiers qui ne sont pas encore conformes aux attentes du pool d’actionnaires. La feuille de route affichée l’an dernier prévoyait en effet un déficit d’un million d’euros par an sur les deux premières années, l’équilibre la troisième année et enfin, un excédent d’un million d’euros par an pour les deux exercices suivants.
Or le premier exercice s’est achevé sur un déficit de 2 millions d’euros. Les raisons en sont multiples. En premier lieu, Les VFD ont essuyé la perte de plusieurs marchés urbains à Grenoble. Plusieurs lignes ont été récupérées par la Semitag, en gestion directe, ou par la concurrence, Transdev par exemple. Une décision qui a engendré aussitôt des mouvement sociaux chez les VFD, les deux phénomènes expliquant à eux seuls un million d’euros de déficit.
Face à cette situation, Hubert Boute ne baisse pas les bras et va proposer pour l’année à venir un budget à l’équilibre: "Nous avions envisagé deux millions d’euros de déficit sur deux ans, compte tenu de ce premier exercice, nous devrons arriver à l’équilibre un an plus tôt", explique-t-il. Le dirigeant compte sur une expérience de 15 années passées à la régie départementale des Ardennes, "sans une seule année déficitaire". Mais à Grenoble, les choses semblent un peu plus délicates. "Il est certain que si nous voulons emporter des marchés, nous devons être concurrentiels dans les appels d’offres et donc, réaliser des économies", relève Hubert Boute. Un changement de cap est dont nécessaire. Pour faire face à la concurrence, tout en respectant le tableau de marche financier fixé par ses actionnaires, Hubert Boute veut mettre en œuvre plusieurs outils: "Nous allons moderniser l’informatique, nous doter de tableaux de bord, mettre en œuvre des actions de management pour motiver les équipes".
L’idée est de conforter les parts de marché dont disposent les VFD, soit environ le tiers des transports en commun de Grenoble et autant du réseau départemental Transisère. Un objectif qui ne sera pas atteint sans certaines économies. "Nous répondrons aux consultations qui correspondent à notre savoir-faire. Nous saurons faire preuve d’agressivité sur celles-ci, tout en nous abstenant sur les autres. Mais nous disposons de certaines sources d’économies, comme la rationalisation de nos 13 centres d’exploitation, ou une politique d’investissement plus cohérente en matière de véhicules…", précise Hubert Boute, qui se montre résolument optimiste pour l’avenir.
