La Loire-Atlantique se dote d’un référentiel mobilité, sorte de "plan de déplacement urbain" (PDU) départemental et affiche ses choix en la matière. Avec d’autant plus de légitimité que le PDU de Nantes ne suffit plus à traiter de la question périurbaine.
Il y a quelques semaines, à Nantes, une demande inusitée est arrivée sur le bureau de l’Agence d’études urbaines de la région nantaise (Auran). Le département de Loire-Atlantique a commandé un “référentiel mobilités”. Était-ce une enquête de plus pour cet organisme qui jongle avec les statistiques depuis trente ans à propos des collectivités de la région? Pas tout à fait. Il s’agissait plutôt d’un document prospectif sous lequel se profile la montée en puissance du département sur la question des déplacements. Une évolution qui semble logique, avec une agglomération comme Nantes qui continue de déborder sur ses franges et se trouve contrainte, plus que jamais, à gérer les conséquences d’un étalement urbain continu. “Dans les dix dernières années, sur 112 500 habitants en plus dans le département, 100 000 habitent en dehors de Nantes. La ville s’est étendue deux fois plus vite que sa population n’a crû”, indique Valérie Jousseaume, géographe des campagnes à l’université de Nantes. Pour elle, les maires des campagnes environnantes ont tort de vivre encore dans la crainte de la désertification. C’est chez eux que la croissance démographique de Nantes se passe. Ils doivent plutôt apprendre à vivre avec les afflux massifs de population.
“Dans ce contexte, la communauté urbaine de Nantes elle-même sait qu’elle n’opère plus à la taille administrative adéquate pour envisager l’évolution de ses infrastructures de transport, même à dix ans, comme elle le fait actuellement avec son PDU”, indique Jacques Laissus, directeur des transports au conseil général de Loire-Atlantique. Nantes adopte ce nouveau PDU fin octobre. Le département de la Loire-Atlantique a donc demandé à l’Agence d’urbanisme d’accélérer la réalisation de son référentiel mobilité. Il sera examiné en séance plénière le 19 octobre. Des spécialistes des transports plancheront. “Ce n’est pas un document d’orientation, plutôt un diagnostic qui se déclinera peut-être à l’avenir sous la forme de schémas pour les routes, les transports publics, les vélos avec d’autant plus de liberté pour nous qu’aucune loi ne nous oblige à en réaliser”, indique le directeur des transports départementaux. Le nouveau référentiel mobilité apparaît néanmoins déjà comme le nouveau pendant départemental du PDU. “C’est une réflexion sur les besoins à venir en déplacements dans le département, le même type de démarche qu’un PDU”, confirme Patrick Mareschal, président du conseil général. Il a déjà permis que Nantes, dans son PDU, n’envisage que des solutions qui fassent consensus avec le département, et prescrive des infrastructures bien au-delà de son territoire. Par exemple, pour la desserte du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à partir de 2016, au nord de l’agglomération. Idem à propos de la rénovation de deux bacs, faisant traverser la Loire à des centaines d’automobiles par jour, gérés par le conseil général, même si c’est sur le territoire de l’agglomération. Autre exemple, le PDU de Nantes demande d’étudier la création d’un nouveau franchissement de l’estuaire de la Loire, vers la mer, pour soulager son pont le plus à l’ouest, celui de Cheviré, encombré matin et soir, puisque faisant partie de son périphérique.
Le département prend les choses naturellement d’un autre point de vue. “Quand un cendrier est plein, peut-être n’est-il pas forcément nécessaire de changer de voiture, estime Yan Le Gal, concepteur du référentiel mobilités à l’Agence d’urbanisme. Le périphérique est occupé à 56 % pour entrer ou sortir de l’agglomération. Si les voitures y ont moins facilement accès mais qu’en revanche les offres alternatives efficaces existent, cette proportion pourra descendre… et pourquoi pas à 20 %?” C’est pour ce genre de dialogue que le département s’est lancé dans son référentiel mobilité. Avec pour principal sujet de préoccupation, partagé avec l’agglomération, celui des déplacements périurbains. Le PDU nantais prévoit neuf projets de transports collectifs qui débordent au-delà du territoire de l’agglomération. En s’appuyant, entre autres, sur son référentiel mobilité, le département a fait modifier le traitement de ses cars dans l’agglomération. Ils doivent bénéficier des priorités de circulation et des aménagements de voirie pour se rendre jusqu’au cœur de l’agglomération, de façon à éviter les ruptures de charge, comme les embouteillages, à ses clients. “Aux heures de pointe, c’est préférable, les réseaux de transport urbain n’ont pas toujours la capacité d’accueillir nos voyageurs en plus des leurs”, indique Jacques Laissus. À l’inverse, les cars départementaux devront embarquer au passage des clients urbains.
Au-delà de l’approche du cœur des villes, le référentiel mobilité du département observe les deuxièmes et troisièmes couronnes de Nantes en tant que telles. Là où les réseaux urbains ne passent guère, pas plus que les cars départementaux. “Des leviers d’aménagement et de transports existent dans les zones périurbaines, aussi compréhensibles par le département que par la communauté urbaine”, indique Yan Le Gal.
Il a travaillé à partir des enquêtes transport de l’Insee. Il est retombé sur des constatations anciennes: les mêmes nombres (besoins) de déplacement dans les zones urbaines, périurbaines et rurales mais les distances parcourues deux fois plus importantes dès que l’on sort de la ville. D’où l’utilisation de la voiture et la pertinence des cars, à condition qu’ils soient rapides. Yan Le Gal aboutit à des recommandations maintes fois édictées: concentration des zones périurbaines sur des pôles, comme les bourgs, les gares, les zones commerciales. Autant pour l’habitat (pour former des villes denses) que pour les emplois (pour constituer des villes compactes) de manière à limiter les besoins de déplacement. Entre eux, des moyens de transports, “qui ne circuleraient plus à vide”. Ces préconisations figurent dans nombre de directives étatiques, schémas de cohérence territoriale, plans d’urbanisme, etc. “Tout le monde le sait, tout le monde en est conscient, maintenant, il faut le faire”, indique un spécialiste en aménagement.
Au-delà des considérations d’aménagement du territoire, le référentiel mobilité de la Loire-Atlantique propose de prendre aussi les choses en main à travers les déplacements. Par la création d’aménagements et de cheminements pour vélos et piétons dans les pôles déjà existants, de manière à y améliorer la vie de proximité. “Il faut se focaliser sur l’envie des gens de vivre davantage de vie locale”, explique-t-il. Il propose d’améliorer les espaces publics des zones périurbaines. “Une fois une vie agréable instituée, qu’est-ce qui empêche n’importe quelle entreprise de services de s’installer là?”, ajoute-t-il. Il suggère aussi de miser sur le “patrimoine routier” existant. Pour encourager la pratique de la “voiture autrement”, bien sûr par le développement du covoiturage mais aussi par la priorité donnée à ses alternatives, il suggère de transformer les routes départementales. “Pourquoi ne pas réduire la vitesse à 70 km/h, les débarrasser de leurs rails de sécurité mais les équiper de pistes cyclables pour la vie de quartier, ainsi que de couloirs de bus pour qu’ils puissent rouler, prioritaires, jusqu’au cœur de l’agglomération? En zones périurbaines aussi, il faut rééquilibrer les modes et donner de l’efficacité à autre chose qu’à la voiture”, estime-t-il.
Les principes de ce référentiel mobilité vont d’autant plus vite trouver à s’appliquer que Nantes a sur le feu d’autres moyens de transports interurbains que le car. Deux tram-trains seront bientôt inaugurés: l’un vers Clisson, au sud-est, dans les prochains mois; l’autre vers Châteaubriant, en 2012. Le département ajustera ses services de cars. Itinéraires, horaires, tarifs sont d’autant plus à discuter que le département pratique, par exemple, depuis 2006, un tarif unique à 2 euros le voyage. La distance ne devait plus pénaliser personne dans le département. Un principe éloigné de la tarification SNCF. “Je suis en faveur de la constitution, à terme, d’une autorité organisatrice de transport unique dans le département, pour trancher dans l’intérêt des habitants ce genre de question”, explique Patrick Mareschal, président du conseil général de Loire-Atlantique. En affichant ses choix dans un “PDU départemental”, il se donne une base sérieuse de négociation.
