26e Journées Agir Deux ans après avoir remporté le prix de l’Innovation Agir, la cité balnéaire de la Rochelle a tout naturellement été choisie pour accueillir les 26e Journées Agir. Portée par un vent favorable, la grand-messe du transport public indépendant a ouvert sa boîte à outils pour "partir à la conquête du consommateur" et séduire de nouveaux adhérents. Assiste-t-on pour autant à un retour à la gestion des transports en interne? Réponses.
HASARD du calendrier, vendredi 1er juillet, au lendemain des 26e Journées Agir, la ville de Saumur reprenait la main sur son service de transport public, avec la création de la SPL Saumur Agglobus (encadré) après une quinzaine d’années de Délégation de service public (DSP). La ville de Saint-Nazaire et le département de Saône-et-Loire en font autant. La communauté d’agglomération du Tarn s’apprêterait à leur emboîter le pas. Feu de paille ou véritable phénomène de fond? En tout cas, la récente création du statut de Société publique locale (SPL), le 28 mai 2010, semble vouloir accélérer un retour vers la gestion des transports publics en interne. Signe révélateur de cet engouement vers plus d’autonomie, Agir a vu doubler le nombre de ses adhésions au cours des quatre dernières années. “Nous sommes même passés de 60 à 80 adhérents sur les dix-huit derniers mois et réunissons aujourd’hui vingt-huit autorités organisatrices de transport”, se félicite Gilles Bourdouleix, président d’Agir. “Nous ne sommes pas des Ayatollah de la régie, mais beaucoup de ceux dont les délégations arrivent à un tournant recherchent une expertise extérieure”, dit-il. Selon le Gart, sur les 118 appels d’offres lancés par les AOTU sur la période 2005-2009, 31,4 % n’ont pas renouvelé le délégataire sortant.
Mais pour Roland Ries, président du Gart, il est encore beaucoup trop tôt pour en déduire une tendance de fond. “Il y a eu certes quelques créations ou retours en régie ces dernières années: Toulouse, Belfort, Forbach. Cela est-il suffisant pour parler d’engouement? Les indicateurs penchent toujours nettement en faveur de la délégation de service public: en 2009, 89 % des AOTU ont choisi de déléguer la gestion de leur service de transport collectif tandis que 11 % d’entre elles ont opté pour une gestion directe de leur réseau. Parmi celles qui ont choisi la délégation, 12 % l’ont fait par le biais d’une procédure de marché public et 77 % dans le cadre d’une délégation de service public”, précise-t-il. Tous ne sont, c’est vrai, pas prêts, à franchir le pas d’une régie autonome. Venue sur le stand d’Agir pour adhérer, Muriel Giraud, responsable des transports à la communauté d’agglomération d’Arles (ACCM), le reconnaît: “Nous sommes passés en DSP il y a sept ans. Compte tenu de la taille de notre réseau et au regard de la gestion managériale des conducteurs, ni les comités techniques ni le conseil communautaire n’ont souhaité revenir en régie. Si nous n’avons pas l’expertise que peuvent avoir les grands groupes, la DSP n’empêche pas, en revanche, de vouloir rester maître chez soi.” Si, grâce à leur expertise reconnue, les majors du transport public conservent une indéniable avance, la fissure s’élargit. À l’instar de l’initiative menée en Ille-et-Vilaine. André Lefeuvre, vice-président du conseil général en charge des transports, plante le décor: “Le département, c’est un million d’habitants, 400 000 dans la communauté d’agglomération, 25 lignes structurantes, 253 cars, 6,6 millions de km, 5,2 millions de voyageurs, la carte bretonne des déplacements KorriGo pour circuler sur le réseau métropolitain et le TER…” Des transports pilotés jusqu’au 31 août prochain par un Groupement momentané d’entreprises (GME), réunissant les deux majors du transport, Veolia Transdev et Keolis, sous contrat depuis 2004. À l’époque, les négociations avec le GME font tomber l’offre de 24 à 16 millions euros. Au cours des deux dernières années, malgré un doublement de la fréquentation, la hausse sera limitée à 1 million euros par an. Curieux. “Nous avons donc réfléchi à une meilleure stratégie pour éviter les erreurs de 2004 où nous avions présenté un seul lot sur l’ensemble du département…” D’où la volonté de prendre en main une partie du transport du département. Pour stimuler la concurrence, l’offre est divisée en quatre lots auxquels ont répondu Veolia, Keolis, des réseaux de transporteurs indépendants et la régie partielle, fondée par le département. “À périmètre égal, nous avons ainsi économisé 3,6 millions d’euros dont 1,6 million d’euros est réinjecté dans l’amélioration de l’offre des services, souligne André Lefeuvre. Pour nous, la création de la régie a permis d’augmenter la concurrence, d’assurer une certaine régulation et d’acquérir une véritable culture transport afin que les agents de la collectivité puissent mieux négocier. Et notamment lors des prochains avenants qui devront être revus dans le cadre de la DSP, confiée pour les trois autres lots à Keolis jusqu’en 2019.”
“Les régies sont une solution de facilité pour des politiques engagés dans une démarche de nationalisation”, affirme Stéphane Duprey, délégué général du réseau de transporteurs Réunir, qui comprend 750 PME, 5 700 autocars dans soixante-deux départements. Il tient à tirer la sonnette d’alarme contre des pratiques qui visent à jeter le bébé avec l’eau du bain. “Nous perdons 10 % d’entreprises par an. Que ferez-vous lorsqu’il ne restera plus de transporteurs indépendants? Qui plus est, le risque est de voir des collectivités venir prendre des marchés dans les départements voisins. Ce qui constitue un véritable acte de concurrence déloyale. Que les régies restent dans leur métier! Qu’elles ne cumulent pas le tourisme, l’interurbain, le scolaire et l’urbain, sans quoi, il n’y aura bientôt plus de PME de transport”, prévient-il.
“Jusqu’à présent, les villes ne savaient pas faire, alors les privés se sont engouffrés dans la brèche. Et ils se sont un peu sucrés…, lâche du bout des lèvres Albert Rodriguez, pdg de la SPL Saumur Agglobus. Beaucoup de collectivités optent pour des régies, mais avec les facilités de gestion offertes par la SPL, les trois-quarts se penchent sur cette nouvelle formule.” Ces modes de gestion constituent-ils un remède à tous les maux des collectivités? “Il faut se garder de toute approche simplificatrice. Loin de moi l’idée que les opérateurs ont de tout temps parfaitement joué le jeu. Par le passé, la concurrence n’a pas toujours été au rendez-vous, les tribunaux l’ont suffisamment rappelé en condamnant lourdement les grands groupes. Mais je pense aujourd’hui que ces pratiques appartiennent au passé, estime le président du Gart, qui ne préconise aucun mode de gestion en particulier. J’ignore quelle sera véritablement la fortune des SPL. Faute de pouvoir faire appel aux capitaux privés, contrairement aux SEM, il n’y a pas d’alternative à l’emprunt pour leur financement. En ces temps de contexte budgétaire extrêmement contraint, il y a peut-être là un frein à leur développement.”
Cela dit, depuis la récente fusion entre Transdev et Veolia, la forte concentration des opérateurs inquiète. À Saint-Brieuc, Martine Chauvin, responsable des Transports de Saint-Brieuc Agglomération, dont la DSP arrivera à échéance le 31 décembre prochain, ne s’en cache pas. “C’est simple, dit-elle, les élus veulent le meilleur service public au meilleur coût. En dix ans, le paysage du transport a profondément évolué. Il est légitime que les élus se posent des questions.” Trop de DSP, intéressantes sur le papier, deviennent, selon certains, au gré d’avenants à répétition, de véritables gouffres financiers. Si la communauté d’agglomération briochine dit réussir à équilibrer son budget transport, elle n’en demeure pas moins attentive aux alternatives possibles. À tel point que dans la perspective de la réception des offres, le service transport a fait réaliser des simulations en SPL. Pour voir. “Il est clair que si l’on constate des écarts financiers importants, beaucoup d’élus vont faire le saut”, admet Martine Chauvin. D’autant qu’ici, l’expérience du TAD menée en directe depuis 1995 a montré toute sa pertinence. “Il représente 65 lignes virtuelles avec des horaires, des arrêts, etc. Soit une offre virtuelle de 600 millions de kilomètres. Dans les faits, on en a effectué 140 000 km. Soit 40 000 voyages par an. Le coût revient à 10 euros par voyage avec un simple ticket de bus à 1,20 euro”, précise Claude Ribeiras, directeur général adjoint des services à Saint-Brieuc agglomération et à la ville. Une double casquette voulue pour optimiser les questions de transport entre les deux collectivités.
Dans ce schéma de retour à l’interne, les risques liés aux conflits sociaux et le surcoût en personnel semblent avoir peu de prise. “De toute façon, un privé vous fait payer les charges de personnel d’une manière ou d’une autre. Le risque social? C’était l’un des arguments du patron de Veolia qui avait la DSP à Cholet. En seize ans, nous avons eu une grève. Et le problème a de toutes façons trouver son dénouement dans mon bureau à la mairie! Alors je ne vois pas où est la différence”, indique Gilles Bourdouleix, maire de Cholet, président de la communauté urbaine d’Agir. “Contrairement à la distribution de l’eau qui nécessite une technicité particulière, les transports peuvent être plus aisément réalisés en interne. Aujourd’hui, les politiques des transports publiques sont intimement liées aux politiques urbaines et de développement durable. C’est un service de proximité intégré à une politique globale. D’où une certaine aspiration des élus pour la gestion en interne, plus transparente et plus réactive que les délégations souvent très compliquées”, estime-t-il. “En régie, le contrôle est plus simple. Un euro mis dans le transport public va au transport public”, plaide à son tour Marc Delayer, directeur du service transport de l’agglomération du Choletais. Jusque-là concentrées sur les grands réseaux, les batailles de demain – et là, tous en sont bien conscients – devraient se jouer dans les villes moyennes. Celles-là même qui cherchent à prendre leur destin en main. En toute connaissance de cause.
