Crise en vue Les opérateurs du transport routier de voyageurs sont-ils devenus des clients « risqués » pour les compagnies d’assurance? Les entreprises auront-elles demain encore le choix entre plusieurs assureurs? Et à quel prix? La FNTV s’alarme d’une situation qui promet d’être de plus en plus problématique pour ses adhérents.
Crise économique oblige, la grande majorité des compagnies d’assurance, sans doute moins solides qu’avant 2008, semble vouloir se détourner de certaines catégories de clients dont elles estiment le risque trop important, à tort ou à raison. Parmi ces derniers, arrivent souvent en tête de liste toutes les sociétés possédant des flottes de véhicules. De ce fait, les opérateurs du transport routier de voyageurs (TRV) font partie des victimes collatérales de cette frilosité grandissante. “La grande majorité des compagnies est effectivement en train de verrouiller ses critères, constate Hubert Sarrut, du cabinet d’assurance Sarrut. Fragilisées par la situation financière générale, elles en viennent à considérer le TRV comme un mauvais risque, notamment à cause des éventuels dommages corporels pour lesquels elles se trouvent obligées de prévoir de fortes provisions”. Un autre phénomène joue en la défaveur des opérateurs du TRV au regard des compagnies d’assurance: la Loi Badinter, qui impose à tous les automobilistes une responsabilité sans faute en cas de dommages corporels.
Combien de compagnies répondent-elles encore aux besoin de la Profession? En fait, le paysage apparaît de plus en plus clairsemé parmi les assureurs de poids. Groupama, en proie à un certain nombre de difficultés, se retire du TRV dans plusieurs de ses caisses régionales. Générali tourne le dos, elle aussi, à ce secteur d’activité. Seules restent encore vraiment sur les rangs MTA, et surtout Axa, cette dernière devenant de plus en plus incontournable. “Or, il est fondamental pour des entreprises comme celles du TRV d’être assurées auprès de compagnies aux reins solides”, précise Hubert Sarrut. Entre concentration et désaffection, la concurrence entre compagnies d’assurance joue bien de moins en moins. “Dans un marché où le nombre d’opérateurs s’est réduit à presque rien, il est certain que ceux qui restent dictent effectivement à leurs clients leurs conditions en termes de primes et de garanties”, analyse aussi Dany Dhenin, Pdg de Risk Management Conseil, spécialisé dans l’assurance.
Un constat partagé par Daniel Meyer, Pdg des Transports Daniel Meyer et Administrateur général d’Optile. “Au sein de mon entreprise, j’ai pris le parti de renégocier mon poste assurance chaque année, et depuis dix ans, à cause de la frilosité des compagnies et de la concentration propre à ce secteur, il est vraiment de plus en plus difficile de trouver un assureur tenté par notre métier, constate-t-il. Nous sommes clairement considérés comme une Profession à risques, ce qui est somme toute injuste parce que statistiquement, il y a tout de même très peu de gros sinistres dans notre secteur”.
Malgré cette faible « sinistralité » du secteur, dont l’amélioration constante et par ailleurs largement démontrée par toutes les statistiques, et régulièrement mise en avant par la FNTV, les primes d’assurances ne cessent d’augmenter dans le secteur. “Je crains même que pour 2012, on assiste à des augmentations de l’ordre de 20 à 30 % chez certains autocaristes”, précise Hubert Sarrut. Une situation qui pourrait vite devenir dangereuse pour l’économie de la Profession, « et qu’elle ne saurait accepter sans réagir », ajoute Éric Ritter, Secrétaire Général de la FNTV. Il est hors de question de laisser nos adhérents en prise, seuls, avec de telles difficultés ».
Car si Hubert Sarrut reconnaît volontiers que les statistiques plaident en faveur des opérateurs du TRV, il remarque en revanche une augmentation constante des dégradations et des vols. “Les vols d’autocars apparaissent en forte augmentation, constate-t-il, à tel point que pour les véhicules de plus de 200 000 euros, la plupart des compagnies exigent aujourd’hui la présence de traqueurs. Dans le même ordre d’idée, les effractions et les dégradations de véhicules connaissent un véritable essor, notamment avec des vols de bagages. Autant d’éléments qui font aussi réfléchir des assureurs qui analysent le risque majoritairement en termes de fréquences”.
Pour Daniel Meyer, cette notion de fréquence est bien la clé du problème. “Dans notre entreprise, nous réalisons en matière d’assurance des montages avec des franchises importantes, confie-t-il, ce qui veut dire que nous coûtons peu cher à notre assureur. À titre indicatif, avec 10 millions de kilomètres parcourus chaque année, nous ne lui coûtons guère plus de 35 000 euros sur la même période. Malheureusement, dans certaines zones sensibles d’Île-de-France, les véhicules sont souvent la cible de dégradations, voir de tentatives d’incendie. Et malgré nos franchises importantes et l’absence de gros sinistres, c’est la fréquence de ces événements que retiendra généralement la compagnie pour nous classer dans la catégorie à risque”. Pour Dany Dhenin, ce phénomène ne devrait évidemment pas être imputable aux entreprises du TRV. “Elles en sont les victimes impuissantes, alors que ces phénomènes relèvent clairement de la responsabilité des pouvoirs publics, explique-t-il. Ce problème devrait être soulevé, d’autant plus qu’elles assurent généralement une mission de service public, et que le coût de l’assurance n’est guère pris en considération dans le calcul de leur marché”.
Que peut faire la Profession pour tenter d’inverser cette tendance? “Il ne serait pas concevable que demain, notre métier en soit réduit, comme les bijoutiers ou certaines professions médicales, à ne plus pouvoir s’assurer, s’insurge Daniel Meyer. Nous sommes déjà en première ligne pour payer une grande majorité des dégâts, nous ne pourrions supporter plus”.
Pour Hubert Sarrut, il va d’abord falloir faire œuvre de pédagogie auprès des compagnies, et montrer patte blanche en matière de prévention des risques. “La mise en confiance des assureurs passera d’abord par la mise en valeur du travail constant effectué par les entreprises en matière de formation et de sensibilisation du personnel aux risques, explique-t-il. À titre d’exemple, dans le transport occasionnel, il faut aujourd’hui bien expliquer aux conducteurs qu’il est impossible aux passagers de laisser leurs affaires dans le véhicule. Il faut au même titre redoubler de vigilance pour les bagages. La multiplication des vols engendre une accumulation de petits sinistres qui, analysée en termes de fréquence, est désastreuse pour l’étiquette des TRV”. Dany Dhenin milite pour sa part pour qu’un grand débat soit lancé sur ce sujet sensible: “Les entreprises ont des obligations en matière d’assurance, par exemple au niveau de la responsabilité civile circulation, il serait donc logique qu’elles puissent le faire dans des conditions normales, notamment en terme de concurrence entre les compagnies d’assurance. Il faut entamer une vraie réflexion sur le sujet, alerter les pouvoirs publics et, pourquoi pas, militer pour la création d’un fonds de garantie dédié”.
