Crise Raréfaction du crédit, taux d’intérêts élevés, révision de certaines politiques de transport… Voici quelques-unes des conséquences possibles de la perte du triple A français sur les budgets transport des régions, départements et grandes villes. Ces conséquences, plus ou moins lourdes en fonction des collectivités, risqueraient d’être aggravées par la récente réforme de la fiscalité locale et par la fragilité de certaines d’entre elles.
MENACES de Moody’s en novembre 2011, placement de la France sous surveillance négative par Standard & Poor’s le 5 décembre et modification par Fitch Ratings de la perspective de la note à long terme du pays (de stable à négative) deux semaines plus tard… Bref, la fin du triple A français semble toute proche. La note de l’État, qui pourrait chuter de deux crans dans les jours ou les semaines qui viennent, aura également des conséquences indirectes sur les budgets transports des collectivités françaises.
La fin du triple A national entraînera déjà, et de façon automatique, la fin du AAA des trois collectivités françaises qui en sont actuellement dotées, Paris, l’Île-de-France et la région Rhône-Alpes. Pourquoi? “Parce que la note d’un gouvernement sub-souverain ne peut être supérieure à la note de l’État souverain”, précise Standard & Poor’s. L’agence de notation américaine et Fitch Ratings ont d’ores et déjà préparé le terrain en modifiant respectivement les 7 et 20 décembre 2011 la perspective des notes de ces trois collectivités, la faisant passer de stable à négative. Quelles seraient les conséquences pour leurs budgets transport? Elles verraient leur qualité de crédit abaissée, ce qui risque de pénaliser leurs investissements au niveau du transport. Un impact d’autant plus important lorsqu’on sait que “les collectivités et notamment les régions empruntent beaucoup pour les transports”, signale Michel Yahiel, délégué général de l’Association des régions de France (ARF). Les notes des autres collectivités, moins élevées, ne seront pas victimes de cette baisse mécanique. “Chaque situation sera étudiée au cas par cas”, précise Christophe Parisot, responsable de notation du secteur publique à Fitch Ratings.
La perte du triple A français risque également d’envenimer un problème qui se pose déjà: la difficulté qu’ont les collectivités à contracter des prêts auprès des banques, particulièrement frileuses en ces temps de crise. Selon Michel Yahiel, la perte du triple A “aura d’autant plus une incidence que c’est le pays qui est touché. Si une région était dégradée, ça n’aurait d’incidence que pour elle. Mais là, cette baisse entraînera une détérioration de la confiance des investisseurs pour tout le monde.” Au final, plus que l’augmentation des taux d’intérêts, c’est la “raréfaction du crédit qui pénalisera les régions”, ajoute-t-il.
Mais elles ne seront pas seules, tous les acteurs risquent en effet de pâtir de cette raréfaction. Rachel Mazuir, président du conseil général de l’Ain, analyse: “Une majorité des investissements au sein de notre budget transport est réalisée par la Régie des transports de l’Ain, nos délégataires et ceux qui répondent à nos appels d’offres. La perte du triple A pénalisera les entreprises de transport lorsqu’elles devront emprunter, notamment pour le renouvellement des flottes des véhicules, car elle entraînera des coûts supplémentaires sur les emprunts de nos délégataires. Cela aura donc des conséquences sur le budget car ils répercuteront ces coûts sur le département.”
Alain Denizot, vice-président chargé des infrastructures, des déplacements et des services numériques du département de l’Allier reste, comme beaucoup d’élus, conscient du risque qui plane aujourd’hui sur l’ensemble des politiques transport au sein des collectivités. Il tient toutefois à préciser que “s’il existe par exemple un risque pour la gratuité des transports scolaires mise en place par le département, une remise en question n’est pas prévue dans l’immédiat.” De même, Rachel Mazuir, dont le département a mis en place un tarif unique de circulation en bus à 2 euros et propose la gratuité des transports scolaires, prévient que le conseil général essayera “de faire en sorte de ne pas remettre en question ces politiques. Mais à l’impossible nul n’est tenu. Nous ne pouvons pas augmenter les impôts en permanence. Nous ne pouvons pas être un îlot. Si partout ailleurs on est ébranlé, on ne pourra pas suivre.”
La réforme de la fiscalité locale est pointée du doigt. Les collectivités semblent unanimes: la réforme opérée en 2011 aggravera les effets de la perte du triple A sur tous leurs budgets, transports compris. En ce sens, Michel Yahiel est très clair: “Ce qui plombe, c’est la réforme de la fiscalité locale, qui viendra s’ajouter à la perte possible du triple A.” Cette réforme, qui consiste notamment en un transfert d’imposition entre les communes, les départements et les régions afin de compenser la suppression de la taxe professionnelle, rend les collectivités, notamment les régions, plus dépendantes des dotations de l’État qu’auparavant. Selon la Ville de Paris, “il est évident que si l’Etat baisse ses dotations dans le cadre d’une rigueur renforcée, il y aura des conséquences potentielles dans les transports, comme pour tous les secteurs nécessitant des investissements lourds et donc des recours à l’emprunt importants.”
De son côté, Alain Denizot, rappelle que “les collectivités locales sont menacées en ce sens. 20 % à 30 % de leurs recettes sont des dotations publiques. Tôt ou tard, la rigueur les touchera.” Et Michel Yahiel d’ajouter: “Si cette réforme n’est pas revue rapidement le système va se bloquer.”
Autre facteur aggravant, la présence, encore mal mesurée, des emprunts toxiques dans les dettes contractées par certaines collectivités. En septembre 2011, un document confidentiel de la banque Dexia et divulgué par Libération répertoriait les emprunts “dits structurés”, c’est-à-dire des prêts à taux variable (évoluant en fonction de l’indice financier sur lequel il est indexé), dont certains sont devenus toxiques, accordés par la banque de 1995 à 2009, laquelle s’était jusqu’à présent défendue d’avoir accordé de tels types de prêts aux collectivités. Le constat est sans appel. Régions, départements et communes sont nombreux à être tombés dans le piège de ces emprunts. Un rapport du 13 décembre 2011 de la commission d’enquête parlementaire présidée par le député PS Claude Bartolone, confirme cela. Selon le document, 4 000 collectivités seraient concernées. La totalité de ces emprunts représenterait 18,8 milliards d’euros. La commission pointe également du doigt le rôle des banques jugées responsables de la situation.
Pour permettre aux collectivités de s’en sortir, la commission préconise notamment la création d’un “pôle d’assistance et de transaction”, à laquelle les collectivités seraient libres d’adhérer. La structure pourrait renégocier les différents prêts toxiques auprès des banques et permettre aux collectivités membres d’échanger leurs emprunts à risque par des prêts à taux fixe. Malheureusement, malgré les propositions de la commission, personne ne saurait dire aujourd’hui avec certitude si les collectivités pourront un jour se sortir de ce piège. Avec des budgets déjà fragilisés, la perte du triple A français sonne donc comme une difficulté supplémentaire.
Face aux risques que la perte du triple A pourrait avoir sur les budgets transports, toutes les collectivités ne réagissent pas de la même manière. Il y a tout d’abord celles qui considèrent que l’impact sur leurs budgets transport sera limité. C’est le cas de l’Île-de-France, qui risque pourtant de voir sa note dégradée en même temps que celle de l’État français. La région ne semble pas s’inquiéter outre mesure: “La perte du triple A n’aura pas spécialement d’impact sur nos budgets transport. Nous faisons partie des bons élèves. Ce qui nous permet de contracter des emprunts colossaux en quinze jours.” Jean-Paul Bachy, président de la région Champagne-Ardenne, reste lui aussi confiant: “On a beaucoup investi, notamment dans le domaine des transports, on a donc alourdi notre dette avant, puis on a cherché à réduire l’encours de la dette. Mais, au final, les emprunts ont déjà été faits dans le domaine des transports et ne sont plus à faire. On a anticipé par rapport à d’autres régions. Par exemple avec le TGV Est, le financement est derrière nous, contrairement à certaines régions.” La Ville de Paris, pour sa part, reste plus prudente tout en garantissant que “les projets sur lesquels nous nous sommes engagés (tramway) seront menés à bien.” Inversement, le département de l’Ain, fragilisé par des emprunts toxiques et une dette importante, se prépare à ce que la perte du triple A ait des conséquences indirectes, mais bien réelles sur son budget transport.
Le département est-il noté par une ou plusieurs agences de notations?
Non pas encore, mais nous sommes en train d’y réfléchir. On sera peut-être dans l’obligation d’être noté pour emprunter. Est-ce que, demain, en empruntant dans le département, on aura des réponses au niveau des banques? Et si elles ne peuvent pas nous prêter l’argent nécessaire, comment fera-t-on? La notation pourrait être une solution.
Le budget primitif 2012 des routes et des transports scolaires a légèrement diminué par rapport à 2011. Pourquoi?
On peut observer une légère baisse car certaines agglomérations devaient reprendre à leur charge les transports scolaires, notamment Bourg-en-Bresse. Mais ce n’est pas vraiment une baisse, on transporte toujours autant de personnes.
Le budget transport du département est-il composé d’une part importante d’investissements?
Non, une part est faite par la régie des transports de l’Ain, nos délégataires et ceux qui répondent à nos appels d’offres.
La perte du triple A français aura-t-elle des conséquences sur ces investissements?
Suite à la perte du triple A, les emprunts de nos délégataires, qui servent notamment au renouvellement à de la flotte des véhicules, souffriront de coûts supplémentaires. Cela aura donc des conséquences sur le budget car ils répercuteront ces coûts sur le département.
Des conséquences de la possible perte du triple A se font-elles déjà sentir?
Oui. La perte du triple A, c’est un renchérissement du coût de l’argent mais il a déjà eu lieu, cela va sans doute ajouter une marge supplémentaire. La situation actuelle nous coûte déjà 1 million de plus au niveau des transports. Les principaux secteurs touchés sont la flotte et les investissements effectués par les délégataires, notamment la régie des transports de l’Ain, qui investit aussi bien en véhicule qu’en bâtiments.
La réforme fiscale locale pourrait-elle aggraver l’impact de la perte du triple A sur le budget transport?
Oui. Avec la réforme de la fiscalité locale, j’ai 15 % d’autonomie au niveau de mes recettes sur le foncier, le bâtiment et les entreprises. Le reste est composé de dotations de l’État. C’est donc compliqué pour les départements, encore plus pour les régions.
Comment expliquer la dette toxique du département?
Jusqu’en 2008, la stratégie financière de mes prédécesseurs a consisté à privilégier l’endettement plutôt que d’augmenter les impôts. Cela pénalise aujourd’hui tout le budget du département. Nous avons 440 millions de dettes dont 205 millions d’euros d’emprunts dits structurés avec une grande majorité à risque. Cela nous a déjà coûté plus d’un million d’euros supplémentaires. Côté transports, nous n’investissons qu’au niveau des transports annexes. La dette au sein du budget transport est de 40 millions, soit 10 % de la dette locale et contient également des emprunts structurés. Jusqu’à présent, cela n’a pas vraiment bougé. Mais les choses pourraient changer.
La réforme de la fiscalité locale fait suite à la suppression par le Conseil constitutionnel de la taxe professionnelle (TP) le 29 décembre 2009. Elle consiste en un transfert des quatre taxes directes locales entre les collectivités locales.
Les différents transferts de taxes entre les collectivités:
Des conséquences importantes pour les régions et départements
Les régions ne peuvent plus lever l’impôt et perdent donc une grande part de leur autonomie fiscale. Elles reçoivent désormais un quart de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Ce taux est fixé par l’Etat.
Les choix fiscaux des régions ne se portent plus que sur le tarif des cartes grises qui représente une part minoritaire de leurs recettes (autour de 10 %).
Pour leur part, les départements ont transféré la taxe professionnelle, la taxe sur le foncier non bâti et la taxe d’habitation. Cela se traduit également par une perte importante le leur autonomie.
Si la France perd demain son triple A, quelles seront les conséquences sur les notes des collectivités locales françaises?
Chez Fitch Ratings, nous notons une dizaine de collectivités locales. Nous avons communiqué le 20 novembre la modification de la perspective des notes des régions Ile-de-France, Rhône-Alpes et Ville de Paris, toutes trois notées triple A. Cette perspective est due au fait que la note souveraine de la France est un plafond pour les collectivités locales. Si la note de l’État français descendait à AA+, celle des collectivités ne pourrait pas être au-dessus de AA+.
Qu’est-ce qui va changer pour les collectivités dont la note est inférieure?
La perte du triple A français ne veut pas dire que toutes les notes des collectivités vont descendre de manière proportionnelle. Pour les collectivités actuellement notées AA+, comme c’est le cas pour la communauté urbaine de Strasbourg, les notes seraient revues au cas par cas. Cela dépendrait de plusieurs facteurs, notamment financiers, qualitatifs, leurs engagements de dettes, le niveau de leur épargne brute, ainsi que leurs performances budgétaires. L’ampleur d’un éventuel changement de la note de l’État serait aussi étudiée. Tout dépendra de l’avenir des finances locales. Le niveau de dépendance vis-à-vis de l’État est lui aussi à l’étude.
Selon vous, quelles sont les collectivités locales qui risquent le plus d’être dégradées?
Les collectivités les plus susceptibles d’être dégradées seraient les régions, compte tenu de leur dépendance en matière de ressources vis-à-vis de l’État, puisque les dotations constituent une grande part de leurs recettes. Leur marge de manœuvre fiscale est donc plus faible. Mais les régions ont aussi les capacités de réagir, elles ont des ressources solides.
