Keolis Les troisièmes Keoscopie du groupe visaient à solutionner une quadrature du cercle: la conciliation de la personnalisation de l’offre dans le respect de contraintes financières toujours plus drastiques. Un exposé d’Éric Chareyron, directeur marketing, riche en enseignements.
ON PEUT donner un nom narcissique à une étude sans pour autant se contenter d’admirer son propre nombril. Keolis en donne la preuve avec Keoscopie. “À travers ce projet, nous cherchons à prendre du recul, à sortir de notre rôle de pur transporteur pour nous pencher sur les évolutions de la société de manière plus globale. C’est l’occasion de ne pas rester ancré dans nos certitudes et de partager les expériences”, a déclaré, Patrick Jeantet, directeur France de Keolis en introduction de cette troisième édition, qui présentait les résultats d’une réflexion menée autour d’un thème fédérateur: Concilier la personnalisation de l’offre et les contraintes financières. Pour aborder cet objectif, quatre sujets ont été détaillés: derrière des flux, des individus; territoires multipolaires et périurbanisation: un nouveau regard; tarification et fraude, quelques pistes pour améliorer les recettes? Et, tous fragiles en situation de mobilité: qui sont les désorientés? Autant de thématiques qui balaient certaines idées reçues.
“Je ne suis pas un numéro. Je suis un homme libre.” Cette réplique de la série Le Prisonnier pourrait être transposée au monde du transport public. Les passagers ne sont pas des flux comptabilisés, mais des usagers à part entière, dotés de leur propre identité. Il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une évidence. Cette porte ouverte n’est que trop rarement enfoncée au moment de la mise en place ou de la réorganisation de réseaux de transport. “Les statistiques dont nous disposons constituent-elles de bons outils pour orchestrer les évolutions de l’offre dans les réseaux. On a tendance à privilégier les flux et les masses au détriment de l’individu. C’est à la fois un paradoxe – car la notion de service client est de plus en plus présente – et une erreur. Il faut considérer les usagers du transport public dans leur diversité et leur globalité”, assure Éric Chareyron, directeur marketing de Keolis. Certainement plus facile à énoncer qu’à appliquer. Keolis propose de repenser la manière de mener les enquêtes origine destination. L’opérateur a fait le constat que derrière la permanence d’un nombre de validations quotidiennes, se cache un volume bien plus important de clients. “Les dix passagers du lundi soir à 22 h ne sont pas les dix mêmes personnes le lendemain à la même heure. Cette notion est fondamentale dans nos choix d’aménagement de l’offre. Car une intervention sur ce service impactera peut être dix flux quotidiens mais bien plus de clients sur la semaine. Sur le réseau de Châlons-en-Champagne, nous avons ainsi constaté qu’à l’arrêt de l’hôpital, les 50 validations quotidiennes correspondaient à plus de 630 contrats d’abonnement, soit autant de clients différents montés à cet arrêt sur le mois”, souligne Éric Chareyron. Pour obtenir ces informations, nul besoin de recenser quotidiennement la foule qui patiente sous l’Abribus. Avec la billettique, les opérateurs disposent de toutes les informations dont ils ont besoin pour étudier finement le comportement de leur client. “Il faut aller puiser les données à la source, soit la billettique, tout en respectant les préconisations de la Cnil*. Et encore, ces informations restent incomplètes car elles ne prennent en compte que le comportement des abonnés”, prévient Éric Chareyron. Le passage de la logique du décompte des flux à celui des clients n’a pas pour seule ambition de tordre le cou aux mathématiques. Il offre un nouvel outil d’aide à la décision pour faire évoluer les réseaux en faisant apparaître leurs maillons faibles. “Si on met en avant cette notion, c’est que le reste fonctionne plutôt bien. Pour autant, il ne faut pas les prendre à la légère. L’identification des maillons faibles est d’autant plus importante qu’ils constituent des contraintes fortes et n’apportent pas les bonnes réponses aux besoins de déplacements”, poursuit Éric Chareyron. Les maillons faibles d’un réseau s’apparentent à de merveilleux raccourcis pour un retour à l’automobile. Parmi les maillons faibles le plus souvent recensés, on trouve l’irrégularité de l’offre entre les heures de pointe et les heures creuses. L’étude des Keoscopie enseigne qu’il faut sortir de cette logique. “La permanence de l’offre est un enjeu de premier ordre. Il suffit parfois de réorganiser le réseau, sans investissements importants, pour obtenir un résultat satisfaisant”, assure Éric Chareyron. Au chapitre des maillons faibles, on trouve également: les relations interquartiers, l’absence de ponctualité, le manque d’information, l’absence de service de nuit…
Pour élaborer les schémas de transports, l’étude de la cartographie des emplois est une bonne base de travail. “On constate que dans les agglomérations moyennes, le centre-ville n’est plus le nombril du monde. Dans certains cas, il ne capte qu’un tiers des emplois, le reste se répartit dans la périphérie. Le même constat peut se faire pour la fréquentation des zones commerciales. Nous devons faire en sorte que les transports publics s’adaptent à cette évolution”, continue Éric Chareyron. La multiplication des zones commerciales, devenues de réels cœurs de vie, est un enjeu de premier plan pour le transport public. Si la desserte de ces lieux est déjà une réalité, il reste un important travail à faire sur le chemin piéton final. “Nous devons trouver des solutions en concertation avec les zones commerciales. L’enjeu de trafic est considérable. Les visiteurs des centres commerciaux sont nombreux à ressortir très peu chargés. Il ne faut pas penser que la voiture à un total droit de cité dans ces zones. Mais nous devons faciliter l’accessibilité au transport et proposer une offre en adéquation avec le rythme de ces zones pour éviter la formation de maillon faible”, détaille le directeur marketing de Keolis.
Mais le transport hors du centre ne répond pas uniquement à des désirs mercantiles ou ludiques. Les études menées dans le cadre des Keoscopie montrent que la vie dans le secteur périurbain est un choix de plus en plus assumé. Ainsi, les besoins en matière de transport vont en grandissant dans ces zones. “Et il n’est pas efficace d’assurer la mobilité de ces zones avec les mêmes outils que dans les secteurs urbains. Les standards ne sont pas les mêmes. Il faudra certainement améliorer les connexions entre le TER et le car à haut niveau de service. Mais également aborder la question du transport des jeunes autrement que sous l’angle scolaire…”, analyse Éric Chareyron dans son exposé.
Que celui qui n’a jamais fraudé lui jette la première pierre. Keolis ne prétend pas avoir dans ses rangs un nouveau Messie, mais l’étude sur la fraude montre que peu d’usagers des transports sont irréprochables en la matière. Le panel interrogé ne comptait pas exclusivement des pros de la resquille, mais toute sorte de passagers. Résultat: plus de 55 % des personnes interrogées reconnaissent avoir fraudé au moins une fois dans le mois écoulé. “Tous les âges et tous les secteurs sont concernés. Et dans tous les cas, il y a toujours une bonne raison pour expliquer l’acte. Il en ressort tout de même que les fraudeurs professionnels sont rares”, tempère Éric Chareyron. Ainsi, le fraudeur serait un passager comme un autre puisqu’il sommeille dans chaque usager. “Les fraudeurs sont des clients comme les autres. Il faut garder cela à l’esprit dans la manière d’aborder les contentieux. Cela passe par l’accueil dans les agences clientèles, par la mise en place de e-PV, par la possibilité de convertir une amende en abonnement et d’assurer un travail de sensibilisation”, poursuit-il. Si la lutte contre la fraude est un enjeu considérable pour permettre l’augmentation des recettes, elle n’est pas le seul levier. La tarification est un outil de premier ordre. Selon Keolis, il faut développer de nouvelles formules pour capter de nouveaux entrants. Sur certains réseaux, les tickets sont vendus par deux à un tarif plus attractif, et dans le même temps, le prix du titre unitaire a été augmenté. “Il n’y a pas de perte de recette, au contraire. Et cela ne pénalise pas la vitesse commerciale”, soutient Éric Chareyron. Il faut également envisager la mise en place de distributeurs simplifiés aux arrêts. Une des justifications de la fraude est souvent le manque de temps pour acheter son titre avant l’arrivée du bus ou du tram. “On peut également développer le pré ou le postpaiement. Il faut aussi privilégier les offres avec de la gratuité en fonction du volume de titres achetés. Cela parle davantage que des réductions en pourcentage”, fait remarquer Éric Chareyron. Mais toutes ces pistes de réflexion imposent la mise en place d’un système de billettique moderne. “Nous travaillons sur un projet de système mutualisé qui permettrait aux villes de taille moyenne d’accéder à la billettique à moindre coût”, poursuit-il. Keolis va nouer un partenariat avec un industriel de la billettique pour mettre au point un système interopérable. Le premier réseau devrait être équipé d’ici à la fin de l’année, et une installation finalisée tous les six mois.
En 2015, c’est promis, c’est une loi, tous les transports publics seront accessibles. “Il faut aller au-delà de la notion d’accessibilité et aborder la question de la fragilité. Dans la ville, et face à la question de la mobilité, les désorientés sont nombreux”, rappelle l’orateur de l’exposé. En effet, si 66 % des personnes interrogées dans le cadre des Keoscopie assurent avoir le sens de l’orientation, elles sont près de la moitié à s’être déjà perdues dans un quartier qu’elles connaissaient. Hors des sentiers connus, le taux de perte grimpe à 89 %. “Il est fréquent aussi de rater un arrêt de bus, de demander plusieurs fois son chemin, de se tromper de sens pour reprendre les transports… Cela doit nous alerter, d’autant plus lorsque nous faisons évoluer nos réseaux. L’accompagnement du changement est essentiel et doit se faire sur la durée”, pense Éric Chareyron. Pour remettre les désorientés sur le bon chemin, Keolis propose quelques pistes de réflexions. Il est notamment possible de s’appuyer sur des usagers experts du réseau. C’est le cas à Bordeaux avec les Ambassadeurs. Des abonnés volontaires renseignent les passagers déboussolés. “Le voyageur se plaît dans ce rôle de citoyen. Et nous pouvons le récompenser avec des visites de dépôts, des tarifs sur leur abonnement… Cela crée une spirale vertueuse”, explique Éric Chareyron. La publication de plans simplifiés et sectorisés est aussi une piste de réflexion. En revanche, il est encore illusoire de tout miser sur le web mobile. On est encore loin d’être tous “mobinautes”. Une étude de 2011 menée par le Credoc montre que seul 28 % des Français sont en possession d’un Smartphone. “Cela doit nous donner à réfléchir sur nos stratégies en matière d’information voyageurs”, poursuit-il. Ainsi, Keolis veut se mettre en première ligne pour guider les citoyens. Or, rares sont les personnes à penser à joindre leur opérateur de transport pour un guidage porte-à-porte. “Notre rôle est de garantir la mobilité de bout en bout. Et l’intermodalité que l’on offre doit aussi intégrer la marche à pied”, conclut Éric Chareyron.
LES TRANSPORTS CERTIFIÉS OU PAS
Améliorer la ponctualité dans les transports et informer au mieux les passagers. Telles sont les missions principales de l’Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST), qui vient d’être créée par décret le 14 février. Selon le texte, l’organisme doit fournir "aux utilisateurs de transports une information sur l’évolution de la qualité du service, notamment sa ponctualité, sa régularité et la qualité de l’information délivrée, ainsi que sur leurs droits et sur les moyens dont ils disposent pour les faire valoir." Opérant au sein du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), son action portera sur 250 lignes de transports publics et réguliers, qu’elles soient terrestres, aériennes ou maritimes.
Vers la création d’un observatoire statistique
Pour mener à bien sa mission, l’AQST pourra publier des études, des sondages de satisfaction et établira des indicateurs statistiques de suivi de la qualité de service. À terme, la création d’un observatoire statistique de la qualité de service dans les transports est prévue. Le site internet dédié, www.qualitetransports.gouv.fr, est accessible depuis le 20 février. Il met à disposition des usagers toutes ces données, ainsi que les démarches à effectuer en cas de litige. La création de cette autorité avait été annoncée par Nicolas Sarkozy le 8 septembre 2011 lors de l’inauguration de la ligne à grande vitesse (LGV) Rhin-Rhône. Elle résulte de la volonté d’éviter que ne se reproduisent les problèmes rencontrés dans les transports au cours de l’hiver 2010 où, selon le ministère des Transports, 66 467 minutes de retard avaient été constatées dans les TGV. Environ 1,1 milliard de trajets en train et 120 millions en avion sont effectués chaque année en France.
