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La SPL, le marché des transports et le contrôle analogue

Législation À l’heure où nombre de collectivités réfléchissent à la création de sociétés publiques locales (SPL), il est sans doute nécessaire de s’interroger sur les conditions à remplir pour que la SPL respecte le droit communautaire européen, et en particulier les règles de la concurrence.

ON SAIT que l’intérêt public a fait reculer les règles de la concurrence, au niveau national comme au niveau communautaire (le projet de directive “concession” le confirme). Il n’empêche que certaines règles de concurrence doivent être respectées. La loi française no 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales (ci-après dénommée “Loi sur les SPL”) s’étant montrée particulièrement généreuse(1), au point de faire douter de sa conformité au droit communautaire européen, l’examen doit porter sur les conditions d’un contrôle analogue, condition importante fixée par le droit, ainsi que sur les conditions dans lesquelles peuvent être accordées des subventions publiques à une structure de gestion du service public(2).

La SPL, une entreprise publique locale

Pour les uns, l’outil ménage les principes du marché, pour d’autres, il réaffirme la notion de service public dont on sait pourtant, d’un point de vue historique, qu’elle est parfaitement compatible avec les principes du marché où la concurrence n’est jamais pure et parfaite. Il ne faut pas oublier que pour le droit communautaire européen, et singulièrement dans les transports “de nombreux services de transports terrestres de voyageurs représentant une nécessité d’intérêt économique général n’offrent pas de possibilité d’exploitation commerciale.” Une intervention publique se justifie donc. Le règlement no 1370/2007 définit “l’obligation de service public” (OSP): l’exigence définie ou déterminée par une autorité compétente en vue de garantir des services d’intérêt général de transports de voyageurs qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas dans la même mesure ou les mêmes conditions sans contrepartie. C’est dire que le marché connaît, dans les transports publics de personnes, des “défaillances” auxquelles l’intervention publique doit pallier.

La SPL, comme entreprise publique locale, est perçue comme un “levier” de développement indispensable au service des territoires et de leurs habitants. L’enjeu est de réaffirmer aussi, à travers cet outil, la valeur fondamentale de la notion de service public, dont certains considèrent qu’elle est menacée. Le rapporteur de la commission des lois au Sénat a tenu par ailleurs a rassurer le secrétaire d’État à l’Intérieur et à répondre aux objections et aux inquiétudes sur lesquelles il avait attiré l’attention de l’Assemblée en déclarant que: “Les SPL représentent 80 % des 16 000 entreprises publiques locales en activité dans les autres pays européens, ce qui n’empêche pas les entreprises privées – et notamment les groupes français – d’y gagner des parts de marché significatives”. Si la SPL est destinée à soutenir le service public, elle ne menace par le marché.

SPL et marché

D’emblée, le problème du respect des règles du marché par la SPL a été posé. Sans compter que les parlementaires ont cherché à rassurer les secteurs privés qui se sentaient menacés: ceux du bâtiment et des travaux publics. Pourtant, la solution choisie ne laisse pas de surprendre, au regard de cette noble préoccupation de respecter la concurrence puisque la SPL est créée… en dehors de ces règles. Dans l’article 1er bis A de la loi, introduit par l’Assemblée nationale, il s’agit simplement, par coordination avec l’institution des SPL, de compléter le régime des délégations de service public pour délimiter le domaine d’application des règles concurrentielles. Ainsi, avec ce nouvel article, la délégation de service public par une collectivité territoriale à une SPL dont elle est membre s’effectuera sans mise en concurrence. Au fond, le principe qui existe déjà pour les établissements publics (et donc les régies) sera simplement étendu aux SPL.

Pour le législateur, tel que son intention résulte des travaux parlementaires, la SPL est un outil “euro-compatible”. “L’Europe, que l’on accuse souvent de tous les maux, reconnaît, au travers de sa jurisprudence, que les entreprises de droit privé doivent pouvoir échapper au régime actuel à deux conditions: que le capital de la SA soit totalement public, et que l’essentiel de son activité se fasse avec les collectivités qui la détiennent.” C’est dire que rien, ou presque, ne peut s’opposer à la création d’une SPL, laquelle peut avoir un objet des plus larges.

Si l’objet doit être déterminé par les statuts (et c’est indéniablement un point de légalité important bien que formel), il le sera par référence aux compétences attribuées par la loi aux collectivités: opérations d’aménagement ou de construction, exploitation de services publics industriels et commerciaux ou toutes autres activités d’intérêt général.

Les missions de la SPL

Les missions à confier à la SPL peuvent être très larges. On est loin de l’outil de “pilotage” ou “d’impulsion” promis par les parlementaires. Jacques Mézard, sénateur et rapporteur à la commission des lois, a déclaré que ce texte, avait pour but d’offrir aux collectivités locales un nouvel outil d’intervention en créant, dans le respect des exigences communautaires en matière d’obligations concurrentielles, une nouvelle catégorie d’entreprise publique. Les SEM ne sont pas satisfaisantes, quant aux régies, elles apparaissent peu dans le débat. La SPL manque à l’arsenal dont disposent les collectivités locales pour agir dans des domaines où la souplesse de la gestion privée est souhaitée et même enviée par les structures publiques de gestion comme les établissements publics ou les régies. Finalement, cette souplesse sera copiée par le recours à une société anonyme à capital public.

Les missions, définies par l’objet statutaire, sont confiées par contrat à la SPL. L’initiative revient aux actionnaires publics. Il faut se faire au vocabulaire. Les députés ont adhéré à l’initiative sénatoriale et ont renforcé l’encadrement du dispositif en complétant la législation régissant les délégations de service public(3). À cette fin, en premier lieu, comme pour les établissements publics, ils ont prévu, au profit des collectivités territoriales, l’exemption du respect des règles de mise en concurrence, et, en deuxième lieu, ils ont institué l’obligation, pour l’assemblée délibérante, de se prononcer sur le principe de toute délégation de service public à une société publique locale. Cette dernière innovation n’est guère surprenante dans la mesure où une décision de principe, prise en toute transparence (délibération et publication), doit toujours précéder des décisions plus anodines ou en tout cas plus discrètes, de mise en œuvre. À noter toutefois que dans le cas de la délégation de service public au privé, il faut prouver l’utilité d’un recours au secteur privé pour l’exécution d’une mission de service public, mais pas dans le cas inverse (où l’initiative publique est supposée d’emblée nécessaire). En revanche, contrairement à ce que prévoit l’article L. 1411-4 pour les délégations de service public soumises aux obligations concurrentielles, l’avis de la commission consultative des services publics locaux ne serait pas ici obligatoire, afin de ne pas trop alourdir les procédures: il s’agirait d’une saisine facultative, comme l’article L. 1412-1 le prévoit déjà pour les services publics exploités par les collectivités locales par le biais d’une régie.

SPL, opérateur interne

La sécurité juridique du dispositif est renforcée par le droit communautaire européen, et le règlement OSP tout particulièrement, qui prévoit que sous réserves des dispositions de son article 5, les autorités organisatrices ont la possibilité de fournir elles-mêmes des services de transport public ou de les confier à un opérateur interne sur lequel elles exercent un contrôle comparable à celui qu’elles ont sur leurs services.

Plusieurs précisions, pour finir:

→ la jurisprudence communautaire exige que le contrôle exercé par l’autorité publique soit analogue – on insiste sur ce mot, très différent “d’identique” par exemple – à celui qu’elle exerce sur ses propres services. À défaut, le juge communautaire estimerait que le lien de type “in house” entre la personne publique et la société est rompu. Les conditions d’une prestation intégrée ne sont pas remplies;

→ ce lien, qui doit être examiné au cas par cas;

→ il constitue bien une dérogation aux règles de mise en concurrence définies par le droit communautaire.

Divers outils de contrôle seront à la disposition des collectivités territoriales et de leurs groupements en leur qualité d’actionnaires: l’examen des rapports annuels réalisés par leurs mandataires;

→ l’analyse des comptes rendus d’exécution des missions confiées aux sociétés publiques locales;

→ et, souvent, l’organisation par les statuts d’un mode de gouvernance spécifique garantissant effectivement le contrôle analogue (on insiste encore sur ce mot) nécessaire à la situation d’opérateur interne. Autant de sujets qui ne manqueront pas de débats.

Le secrétaire d’État à l’Intérieur et aux Collectivités territoriales déclarait d’ailleurs: "Une saisine ultérieure de la Cour de justice de l’Union européenne n’est d’ailleurs pas totalement à exclure et, vous en conviendrez, rien ne serait plus désastreux pour les collectivités territoriales elles-mêmes qu’un outil juridiquement peu fiable."

L’approche juridique (renforcée par l’article L 1524-1 du CGCT) n’est évidemment pas la seule, lorsqu’il s’agit de vérifier l’efficacité d’un outil de gestion. Rappelons que le préfet peut toujours saisir la chambre régionale des comptes lorsqu’il estime qu’une délibération est de nature à augmenter gravement la charge financière d’une ou de plusieurs collectivités ou groupements actionnaires. Cette démarche peut être initiée par un contribuable local.

Consensus ou pas? Le consensus qui s’est dégagé en faveur de cet outil de gestion est illustré de manière édifiante par Alain Marleix, alors secrétaire d’État à l’Intérieur: "J’ai bien évidemment noté le consensus qui a présidé à l’examen de ce texte en première lecture, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, celui-ci ayant été adopté, modifié par quelques amendements, à l’unanimité par les deux chambres. Cette initiative parlementaire fédère les différents groupes politiques; je mesure donc la forte volonté du Parlement de proposer un nouvel outil aux collectivités territoriales." Le consensus se limite aux élus. Ainsi, dans Les Échos no 20 680 du 19 mai 2010, Laurence Parisot a jugé hier que leurs modalités de fonctionnement porteraient une "atteinte grave à la liberté du commerce et de l’entreprise."

Le "in house", mode d’emploi

Les critères définissant le principe du "in house" et de la jurisprudence européenne résultent de l’arrêt Teckal, de novembre 1999, et de l’arrêt Coditel Brabant, de novembre 2008.

Ils spécifient que l’autorité publique doit exercer sur la société publique locale un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services – c’est la définition du droit européen – et la société publique locale doit réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent. L’Assemblée nationale a étendu ces dispositions aux SPL en tenant compte, pour mesurer leur activité au regard du second critère du "in house", de l’ensemble des actionnaires. Il s’agit donc, très clairement, de la transposition de la jurisprudence de la Cour européenne, qui apprécie globalement l’activité de la société en cause, c’est-à-dire au niveau de l’ensemble des personnes publiques détentrices de la société, et non pour chacune d’entre elles. Cela est bien conforme à l’arrêt Carbotermo de 2006.

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