Modes doux Un pas de plus vers une refonte des transports en Île-de-France. La Région a voté le 17 février 2012 le projet de Plan de déplacements urbains (PDU) déposé par le Syndicat des transports francilien (Stif). L’objectif fixé à 2020 sera d’organiser les transports et de repenser les villes pour développer la marche, le vélo, le bus… Une voie de garage pour la voiture.
AVEC onze millions d’habitants dans un rayon moyen de quelque 50 kilomètres et 35 millions de déplacements quotidiens, l’enjeu du nouveau Plan de déplacements urbains d’Île-de-France (PDUIF) est de taille pour le conseil régional, qui a adopté 17 février 2012 le projet déposé par le Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif). Obligatoire dans les villes de plus de 100 000 habitants depuis 1997, le rôle du PDU est de déterminer l’organisation du transport des usagers et des marchandises, ainsi que la circulation et le stationnement franciliens. Il comporte notamment une partie d’évaluation environnementale.
Ce nouveau projet de PDU doit à terme remplacer un précédent document élaboré en 2000 et dont l’échéance était arrivée à terme en 2005. Une révision d’autant plus nécessaire que seulement près de la moitié des actions inscrites dans le plan avait été initiée. “Seules les actions sur les transports en commun pour lesquelles un financement et une gouvernance spécifiques avaient été prévus ont pu faire l’objet d’une mise en œuvre”, précise le projet de PDUIF. Seul hic: l’augmentation de l’usage des transports en commun a été talonnée de près par celle de la voiture particulière. Du coup, “les résultats obtenus en termes de report modal pour les voyageurs comme pour le fret ne sont pas à la hauteur des objectifs initiaux”, dénonce le projet de PDUIF. Ce bilan contrasté s’explique également, selon Pierre Serne, vice-président du conseil régional en charge des transports, par le fait que “le PDU de 2000 était très généraliste. En 2007, une révision a été lancée et a permis un diagnostic des faiblesses du premier PDU. Il avait pointé que le précédent plan n’avait pas de budgets identifiés pour chaque action.” Le Stif, pour sa part, avait pointé “une multiplicité des acteurs et un manque de gouvernance générale.” Enfin, Daniel Rabardel, membre de la Commission des transports, précise: “Le PDU était incitatif et non pas prescriptif. Bon nombre d’actions dépendaient des collectivités. Pour que le PDU soit appliqué, cela aurait demandé une plus grande participation des collectivités.” Mise en révision le 12 décembre 2007, l’identification de neuf défis a émergé durant la phase de “diagnostic” qui s’est déroulée de septembre 2008 à juin 2009. Puis, 34 propositions d’actions, nées d’une concertation ayant regroupé 9 000 Franciliens entre septembre 2009 et fin 2010, ont fait irruption dans l’arène (schéma p. 17). Avec l’adoption de la dernière version du projet présenté par le Stif le 17 février 2012, c’est une marche supplémentaire qui est gravie. Prochaines étapes: une enquête publique début 2013 suivie de son approbation définitive au cours du deuxième trimestre 2013.
“L’objectif principal de la démarche de révision du PDUIF est d’aboutir à un plan plus opérationnel avec, pour chaque action projetée, un responsable identifié, un calendrier de mise en œuvre et des modalités de financement clairement arrêtées”, plaide le projet de PDU. En clair, le Plan de déplacement urbain veut éviter de réitérer les erreurs commises en 2000. Si plusieurs actions, comme la priorité aux carrefours pour les tramways, T Zen, lignes Express et lignes Mobilien, sont désormais prescriptives, la plupart d’entre elles se veulent incitatives “car la loi ne nous permet pas d’aller au-delà”, précise Pierre Serne. Pour que les communes mettent en application les préconisations du PDU, la Région a trouvé la parade: “Nous souhaitons mettre en place avec les communes des plans locaux de déplacements qui consisteront en une aide financière de la Région. En échange, les communes devront appliquer le PDU.” Dernier principe directeur de ce plan: une gouvernance étendue aux différents acteurs du transport francilien qui devrait permettre la communication entre les collectivités, associations d’usagers, opérateurs de transports, et donc éviter ce qui s’est produit en 2000.
Au cœur des projections du projet présenté au conseil régional: l’échéance de 2020. À cette date, les perspectives tablent sur une population de 12,1 millions d’habitants, 5,8 millions d’emplois et 70 000 logements construits dans la région chaque année. De son côté, le prix des carburants pourrait être structurellement orienté à la hausse et connaîtra des périodes plus ou moins longues de tarifs très élevés. “L’hypothèse retenue dans le cadre du PDUIF est celle d’un prix du carburant en 2020 correspondant à celui de l’été 2008”, précise le projet PDUIF. Dans ce contexte, le nombre de déplacements dans la Région devrait croître d’environ 7 % d’ici à 2020 du fait d’une forte croissance des déplacements en cœur d’agglomération et d’une décroissance limitée des autres agglos et de l’espace rural. Le transport pourrait, lui aussi, vivre l’émergence de nouvelles tendances puisque le vieillissement de la population francilienne se traduirait par une augmentation du nombre de personnes âgées de 65 à 75 ans particulièrement férues d’un usage abusif de la voiture et des déplacements en dehors des heures de pointe. “Il est probable que la croissance des déplacements en dehors des périodes de pointe observées sur les réseaux de transports collectifs se poursuive dans les années à venir”, prévoit le projet de PDUIF. Côté financement, les dépenses de fonctionnement tablent déjà sur 10,5 milliards d’euros à l’horizon 2020. De son côté, l’enveloppe budgétaire des transports collectifs devrait prendre en compte une augmentation de 1 % du produit du versement transport, de 1 % des recettes tarifaires et une diminution de 1 % des dépenses d’exploitation.
Construire un système de gouvernance.
Face au bilan contrasté du PDU de 2000, dont seulement la moitié des actions préconisées avait été engagée "notamment en raison d’un éparpillement des responsabilités", indique le Stif, le nouveau projet de PDU veut éviter les erreurs du passé. Pour ce faire, la mise en place d’une gouvernance réunissant les différents acteurs du transport en Île-de-France (collectivités, opérateurs de transport, associations d’usagers…) afin de veiller à la coordination des différentes actions est l’une des mesures phare. "Un comité de partenaires réunira chaque année les acteurs du transport francilien. Une évaluation et une réorientation des objectifs du PDU seront alors effectuées", précise Pierre Serne.
Organiser et favoriser l’intermodalité dans le transport de marchandises. En Île-de-France, 90 % des transports de marchandises s’effectuent par la route, avec tous les inconvénients que cela entraîne: embouteillages, nuisances sonores, pollution… Pour pallier ces difficultés, le PDU envisage notamment d’encourager l’intermodalité entre le transport routier et d’autres modes de transport écologiques comme le fret et le transport fluvial. Il souhaite également inciter les acteurs de ce domaine à changer leurs habitudes et à privilégier davantage les comportements en faveur de la protection de l’environnement.
Favoriser l’accessibilité des transports en commun aux personnes à mobilité réduite et en poussettes: l’accessibilité pourrait, selon les projections démographiques de l’Iaurif et de l’Insee, concerner 18 % de la population francilienne contre 12 % en 2007. Face à ces proportions, le plan ambitionne de rendre accessible l’ensemble de la chaîne de déplacement. L’objectif porté à 2015 est de réaliser le Schéma directeur d’accessibilité adopté par le Stif dont le but principal est de rendre accessible tous les plus gros réseaux captant 90 % du trafic. L’accessibilité des traversées piétonnes, des principaux mobiliers urbains situés sur les cheminements piétons, la mise en place des repères sur et à proximité des escaliers pour faciliter leur détection par les non et malvoyants ou l’introduction de cheminements alternatifs aux personnes en fauteuil roulant, sont parmi les préconisations du PDU. En outre, le projet prévoit également la mise en accessibilité de 258 gares concentrant 90 % du trafic des lignes de RER et trains de banlieue, de 285 lignes de petite couronne soit 11 000 points d’arrêt et 450 lignes de grande couronne représentant 12 000 points d’arrêts. Enfin, il est prévu de doubler l’information sonore et visuelle destinée aux voyageurs.
Faire des Franciliens des acteurs responsables de leurs déplacements: c’est un constat sans appel: "Deux tiers des voyageurs ont des difficultés à se repérer dans l’univers des plans et des horaires", précise le Stif. Pour rendre les Franciliens plus à même de gérer leurs transports, il faut, selon le PDU, "mieux informer l’usager en développant les plans de déplacement à destination des entreprises, administrations et établissements scolaires par exemple, pour proposer des solutions alternatives à l’usage de la voiture individuelle."
Agir sur les conditions d’usage des voitures et deux-roues à moteur. Le PDU prévoit notamment la limitation des places de stationnement et de l’usage de la voiture pour les déplacements domicile travail.
Repenser les villes pour favoriser les moyens de transport alternatifs. Dans ce premier challenge, l’idée est de réorganiser les villes franciliennes, non plus en fonction de la voiture, comme c’était le cas jusqu’à présent, mais en fonction du vélo, de la marche à pieds et des transports collectifs. Pour ce faire, le PDU définit trois objectifs principaux: concevoir des quartiers adaptés à l’utilisation des vélos, de la marche… favoriser la continuité entre la ville et les quartiers avoisinants, développer les villes autour d’axes de transports en commun dits "structurants".
Donner envie aux usagers de prendre les transports en commun. Pour encourager les franciliens à laisser plus souvent leur voiture au garage, (la région espère réussir à diminuer de 3 % l’usage des véhicules motorisés individuels d’ici à 2020), il faut développer l’offre de transports en commun. Le plan prévoit, à cet égard, une augmentation de 25 % de l’offre de transports publics pour 2020, grâce à la mise en place de nouvelles lignes sur tous les modes de transport en commun: train, RER, métro, tramway, T Zen, bus.
Favoriser les modes actifs. Le vélo, la marche à pieds, la trottinette… sont des moyens de transport, non polluants, qui doivent être encouragés. Le PDU préconise d’améliorer les itinéraires des piétons pour éviter les coupures dans la trajectoire qui occasionnent de longs détours. La réalisation de réseaux cyclables de 3 500 kilomètres est aussi proposée.
Lors du vote du Plan de déplacements urbains au conseil général le 16 février 2012, les Verts ont voté en faveur du PDU. Ce vote révèle-t-il une adhésion complète ou partielle du parti aux préconisations du PDU?
– Les Verts sont globalement satisfaits, c’est un PDU très ambitieux en matière de lutte contre la pollution, l’environnement… Si le PDU n’avait été élaboré que par les Verts, il y aurait peut-être eu moins d’opérations routières qui représentent un coût de 450 millions d’euros. Une partie de cet argent n’aurait-elle pas été mieux employée sur les lignes de métro ou de bus?
Le bloc UMP du conseil général a voté contre le projet de PDU le 16 février. François Durovray (président du groupe UMP au conseil général) a considéré que les 25 % d’augmentation d’offres prévus étaient insuffisants et qu’il faudrait au moins prévoir une augmentation de 50 %. Qu’en pensez-vous?
– On a regardé ce qu’on était aussi capable de financer. À un moment donné, il faut se poser la question: qui paye? Chaque opération du PDU renvoie à un financement qu’on sait mobiliser. Par exemple, le Grand Paris Express, qui coûtera 32,4 milliards d’euros par an, ça, on sait payer. Tabler sur 25 % d’augmentation de l’offre c’est déjà un effort considérable en investissement. Je remarque qu’à l’UMP, quand on vote le PDU, tous s’écrient: "C’est scandaleux, ce n’est pas assez!" En revanche, quand on vote le budget de la région: tous s’insurgent et déclarent que "c’est trop!" Je souhaite que dans les dix ans à venir, on puisse dégager des ressources en plus et augmenter nos prévisions. Car ce que prévoit le PDU, c’est un minimum à atteindre.
Au niveau du financement du PDU, François Durovray a également critiqué le vote du Pass Navigo unique. Selon lui, ce sont 500 millions de recettes perdues, alors que le budget du PDU est insuffisant.
– Le PDU actuel est basé sur des estimations financières d’aujourd’hui. Le PDU actuel n’est pas impacté par le Pass à tarif unique car on le fera que si on trouve les financements.
Au niveau du Pass unique, nous tablons davantage sur un coût de 250 millions d’euros, que 500 millions. Et pour financer cela, on veut des ressources nouvelles, notamment grâce à une harmonisation du versement transports (VT), qui consistera à aligner les trois zones de VT d’Île-de-France au taux de Paris. Certaines entreprises pourront ainsi gagner de l’argent avec la baisse du coût des transports de leurs salariés, d’autres, au contraire, en perdront car elles devront payer une VT plus importante. Grâce à cela, on table tout de même sur 800 millions d’euros de recettes, il n’y aurait donc aucune perte de recettes justement, mais plutôt un gain.
Propos recueillis par Shahinez Benabed
Votre groupe a voté contre le PDU au conseil régional le 16 février 2012. Pour quelle raison?
– Dans le PDU, il y a un objectif qui est de réduire la place de la voiture. Il y a deux façons de s’y prendre: la première, celle qu’on préconise, est d’augmenter de manière considérable les transports collectifs. La deuxième, celle que l’on retrouve dans le PDU, est d’opter pour des mesures punitives à l’égard des automobilistes. En effet, celui-ci supprime tous les projets d’aménagements routiers et fixe des règles absurdes de limitation du stationnement. Sur le même registre, le PDU table sur une hausse de 20 % de la fréquentation dans les transports en commun dans les dix prochaines années, ce qui correspond à peine à ce qui s’est passé ces dix dernières années, et une augmentation de 25 % des offres. Avec cela, on ne va pas améliorer quoi que ce soit. Il faudrait augmenter l’offre de transports de 50 %, notamment en ce qui concerne les schémas directeurs du RER et sur le réseau bus. Hélas, avec le Stif, l’offre de bus a augmenté de 0 % en 2012.
Que pensez-vous des autres défis du PDU?
– Pour les autres défis du PDU, tels que le vélo et la marche, je doute que les moyens mis en œuvre soient suffisants. Au niveau des objectifs qui sont fixés dans le PDU, il n’y a rien à dire, mais est-ce que tout cela est réalisable? Selon moi, il y a un décalage entre les objectifs et les moyens engagés. D’autant que la région s’est récemment privée de moyens financiers qui auraient pu permettre de rénover les transports. En décembre 2011, le vote du Pass Navigo unique a supprimé 500 millions de recettes par an!
Les objectifs du PDU sont-ils réalisables?
– Nous sommes pessimistes. À partir du moment où on ne met pas les moyens en place il y a peu de chances pour que tout marche… Je parie que dans dix ans les Franciliens mettront plus de temps à voyager lorsqu’ils emprunteront les transports en commun que ce n’est le cas aujourd’hui. Finalement, je résumerais le PDU de la manière suivante: c’est la politique de la pénurie et de la punition.
Propos recueillis par Shahinez Benabed
