Newsletter S'inscrire à notre newsletter

Magazine

L’avenir des départements, entre intercommunalité et région

Législation "En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées". Ce vieux slogan est peut-être à nouveau d’actualité. Preuve en est avec cette idée avancée par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales qui, après avoir dressé un bilan de la décentralisation (trente ans déjà!), a lancé des pistes pour une modernisation de l’institution départementale.

RÉSUMONS-NOUS. Si le rapport Krattinger milite en faveur de la généralisation, à l’échelle régionale, de syndicats mixtes SRU, l’idée de faire du département le “sénat des intercommunalités” a aussi sa chance. Pour bon nombre d’élus, “le département, s’il veut demeurer, doit se moderniser en réunissant des élus émanant de circonscriptions communautaires; en assumant une double mission de solidarité sociale et territoriale. Au titre de cette dernière, il faut tirer les conséquences de la RGPP (Révision générale des politiques publiques, ndlr). Le département, en tant que collectivité territoriale, doit pouvoir mettre à disposition des communes et communautés qui le souhaitent une capacité d’expertise et de conseil en lien avec l’État, les collectivités décentralisées et leurs établissements, la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif et les organismes privés compétents” (Edmond Hervé). Cette proposition rejoint à la fois la position de l’AdCF (Assemblée des communautés de France) de “faire du conseil général, un Sénat des communautés” et celle du rapport Daudigny sur la réforme de l’ingénierie publique. “En tout état de cause, il y a la place au niveau départemental ou régional, pour un organisme conseil-expert-service” auprès des collectivités et de leurs établissements. Il pourrait prendre la forme d’une “agence territoriale […]”, suggère l’ancien maire de Rennes. Auditionnée en 2010 par les deux missions Hervé et Daudigny de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ou encore plus récemment par Jean-Jacques de Peretti (sur les schémas d’organisation des compétences entre départements et régions), l’AdCF a eu l’occasion de plaider dans le même sens pour que les relations entre départements et intercommunalités soient repensées.

Abondance de textes

Premier constat, celui de la richesse des textes puis, en 1982/1983, d’une hardiesse qui ne s’est pas retrouvée par la suite, sauf lors du projet de réforme des collectivités territoriales initié par le précédent gouvernement. De 1982 à 1986, la décentralisation fait l’objet de 40 lois et de 300 décrets. Les années suivantes ne démentent pas ce rythme créateur, ponctué par la loi du 16 décembre 2010. Si l’on considère cette production législative, la France n’apparaît pas conservatrice. Dans un souci d’évaluation pratique toutefois, il est impossible de retracer toutes ces étapes. Chacune a eu pourtant son importance. Retenons ici quelques dates:

→ les lois des 14 et 22 décembre 1789 consacrent la commune comme cellule administrative de base, la reconnaissance d’un “pouvoir municipal” et le département en tant qu’entité administrative;

→ la loi du 18 juillet 1837 reconnaît à la commune la personnalité morale, autre critère consubstantiel à la notion de collectivité territoriale;

→ la loi du 10 août 1871 instaure l’élection au suffrage universel du conseil général (l’exécutif du département demeurant cependant le préfet) et pose le principe selon lequel “le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département”, dit clause générale de compétence, qui devait perdurer jusqu’à nos jours;

→ la Constitution du 27 octobre 1946 consacre, pour la première fois dans notre norme suprême, le principe de libre administration des collectivités locales; elle prévoit en outre de confier l’exécutif du conseil général à son président;

→ la Ve République, par ordonnance du 5 janvier 1959, crée le syndicat de communes à vocation multiple et les districts urbains, puis la loi du 31 décembre 1966 organise les communautés urbaines; à la suite de mai 1968, le général de Gaulle imagine une région décentralisée, refusée lors du référendum du 27 avril 1969, pour des raisons étrangères à la question régionale. Finalement, avec la loi du 5 juillet 1972, la région ne sera qu’un établissement public territorial (et ce, jusqu’en 1986).

Dans cette longue liste de textes, les lois “Mauroy-Defferre” de 1982-1983 ouvriront une nouvelle étape, fondatrice, reconnue aujourd’hui unanimement. Leur avantage immédiat est de confier à un niveau de collectivité territoriale, l’exercice d’une compétence dédiée. L’inconvénient, en transport public, n’apparaît que plus tard: chaque niveau se focalise sur une compétence modale plutôt que sur une autre. Pour simplifier, aux régions le train, aux agglomérations, l’autobus et le tramway, aux départements, l’autocar. L’intermodalité, essentiellement contractuelle, fruit d’accords politiques parfois compliqués, nourrie de problématiques techniques et de normes incontournables, peine à s’instaurer dans ce paysage. Les gares routières disparaissent, le transport routier de voyageurs effectue des services de substitution ou au mieux du “rabattement sur gare”…

À (re)lire les propos de Gaston Defferre, ministre de la Décentralisation et de l’Intérieur de l’époque, à l’occasion de la présentation de sa conception de la décentralisation devant l’Assemblée nationale le 27 juillet 1981, en introduction du projet de loi portant “droits et libertés des communes, des départements et des régions”, on est saisi par le vertige. Le sujet est toujours d’actualité! Lorsqu’il évoque “le dévouement, la compétence, le désintéressement” des élus; lorsqu’il cite, certes les élus des grandes villes, qu’il connaît bien, “entourés d’adjoints, de services administratifs et techniques qui les conseillent et les aident”, mais il pense plus spécialement “aux autres élus, à ceux des villes petites et moyennes, aux élus ruraux… À ces paysans, à ces ouvriers qui s’identifient à leur ville, à leur village, connaissant presque tous les habitants, toutes les rues, tous les chemins, tous les besoins. Ces maires, ces conseillers généraux sacrifient leurs heures de loisirs, quand ils ne prennent pas sur leur temps de travail, pour s’occuper de leur mairie et de leur canton.” Le dévouement local sera un progrès pour la démocratie. Surtout, il faut faire confiance aux élus, autant qu’“aux services anonymes d’un ministère parisien ou même d’un ministre quel qu’il soit et quelle que soit sa couleur politique.” La décentralisation n’est pas une “déchéance ministérielle mais un bon service pour la France” en donnant à ceux qui en forment le tissu, le droit d’être eux-mêmes et la possibilité de jouer pleinement leur rôle. Et, il faut le reconnaître, c’est ce qu’on fait les élus locaux dans le domaine des transports, en développant les réseaux et en offrant à nos concitoyens des services de transport performants. La loi d’orientation des transports intérieurs a mis les grands principes en musique. Elle a surtout permis de jeter les bases d’une gestion régionale des services TER, laquelle n’a été généralisée qu’en 2000, avec la loi SRU. Pour le reste, en dehors des améliorations apportées aux Plans de déplacements urbains, pas grand-chose. On attend toujours une réforme du stationnement payant et un transfert des compétences au niveau intercommunal.

Déjà la controverse

Pour l’opposition d’alors, les vraies tutelles étant financières et techniques, il aurait fallu, estime-t-elle, “commencer par définir des compétences pour éviter un risque de concurrence entre l’État et la région.” Définir les compétences pour mieux… les répartir. Le projet alternatif qu’elle soutient conçoit la décentralisation à partir d’une spécialisation des niveaux de l’administration locale afin de “ne pas laisser chacun faire un peu de tout…Vous nous proposez des… vides[…] au lieu de partager d’abord des compétences entre collectivités nationales et locales, bien articulées entre elles, on se lance aujourd’hui dans la séparation des collectivités locales, c’est-à-dire dans l’organisation de leurs rivalités, voire leur antagonisme. C’est là qu’il y a danger pour l’unité de la République.” Au cours de son intervention, Olivier Guichard livre sa conception du régime des compétences: “Donnons aux communes une compétence générale, ouverte à toutes initiatives, aux départements des compétences précises spécialisées dans le domaine des services aux personnes, aux régions des compétences et des moyens d’intervention économique, d’aménagement du territoire et de coordination”.

Une idée neuve?

Que dit-on aujourd’hui? Peu ou prou, la même chose… Sauf qu’avec la sédimentation des textes et la valeur constitutionnelle reconnue à certains principes, l’œuvre à entreprendre ne sera pas simple. L’a-t-elle jamais été? Premier principe. Notre pays a opté pour une “organisation décentralisée”. Ensuite, le principe de libre administration, celui qui, en particulier, justifie la possibilité d’un recours, large, à la régie ou à la SPL. Consacré en 1946, il a été reconnu explicitement par le conseil constitutionnel en 1979. La libre administration des collectivités territoriales ne saurait, bien évidemment, aller à l’encontre des autres principes de notre Pacte républicain tels qu’ils figurent dans notre Constitution (exemple: l’égalité des citoyens). Reste qu’il appartient à la loi d’en encadrer l’exercice. “Dans les conditions prévues par la loi, (les) collectivités s’administrent librement par des conseils élus…” Pas de carte blanche laissée aux élus locaux; des règles doivent être respectées, ce que fera la loi relative aux SPL et des précisions concernant la notion de “in house”, venue de l’Union européenne. Force est de constater pourtant (faut-il s’en féliciter?) qu’il n’existe pas de définition de la libre administration des collectivités territoriales, mais deux conditions substantielles sont toujours signalées:

→ l’existence d’un conseil élu;

→ des attributions définies par la loi. Le Conseil constitutionnel préfère exiger que les diverses collectivités territoriales soient “dotées d’attributions effectives”.

Dans sa décision du 9 décembre 2010, le Conseil constitutionnel n’a pas tenu compte des objections soulevées, le principe de libre administration étant, selon lui, respecté dès lors que chaque collectivité dispose d’un conseil élu et d’attributions effectives, peu importe que “les élus désignés lors d’un unique scrutin siègent dans deux assemblées territoriales.

Pour importante qu’elle soit, la décision du 9 décembre 2010 n’est pas la seule qui puisse éclairer la déclinaison du principe de libre administration. Le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions législatives qui limitaient le pouvoir de créer ou de supprimer des emplois, de nommer des agents, de limiter la durée d’une obligation de service public. Il s’est opposé à l’obligation faite par la loi de tenir des réunions de commission ouvertes au public, à la reconnaissance d’un pouvoir normatif autonome au profit des collectivités territoriales. Ce qui n’interdirait pas, par exemple, à une loi de confier une compétence normative aux collectivités territoriales en matière d’accessibilité (via les schémas directeurs d’accessibilité). On sait en effet dans quelle impasse on se trouve aujourd’hui et l’échec devant lequel se retrouveront les collectivités en 2015 si la loi n’est pas changée. Tout aussi importante la possibilité, examinée sérieusement, de voir la région programmer les infrastructures de transport avec force de loi… un projet de l’ARF.

Quoi qu’il en soit, il y aura peu d’idées neuves, maintenant, pour réformer les collectivités territoriales, tout ayant déjà été discuté, amendé, modifié… Seule l’urgence d’une efficacité renforcée, à l’heure où les deniers publics manquent, est en mesure de débloquer le sujet. À quand une grande loi pour les transports?

Retour au sommaire

Auteur

  • Marx Churms
Div qui contient le message d'alerte

Envoyer l'article par mail

Mauvais format Mauvais format

captcha
Recopiez ci-dessous le texte apparaissant dans l'image
Mauvais format

Div qui contient le message d'alerte

Contacter la rédaction

Mauvais format Texte obligatoire

Nombre de caractères restant à saisir :

captcha
Recopiez ci-dessous le texte apparaissant dans l'image
Mauvais format