Dépénalisation Le stationnement serait-il le chaînon manquant de la mobilité durable? Pour les autorités organisatrices (AO) comme pour les professionnels du secteur, la réponse est oui. Seul l’État ne veut pas quitter sa place de collecteur d’une manne qui ferait pourtant grand bien aux collectivités.
LA question de la dépénalisation du stationnement en voirie ressemble à un automobiliste parisien un samedi de soldes… Elle tourne en rond sans trouver sa place. Pourtant, elle ne manque pas de guide pour lui indiquer le chemin à emprunter. L’utilité de la dépénalisation du stationnement en voirie a été défendue et surtout démontrée dans divers rapports, dont les plus fameux sont ceux de Christian Philip (2003), alors député UMP, et plus récemment, en novembre 2011, celui signé par le sénateur UMP et vice-président du Gart, Louis Nègre. De plus, cette évolution est ardemment réclamée par le Gart, avec l’appui de l’UTP, le tout avec le soutien des professionnels du stationnement. Pour autant, elle se trouve toujours dans l’impasse.
Il y aurait pourtant un important travail de refonte du stationnement en voirie à opérer. Le cadre juridique français est des plus contraints et d’un archaïsme assez navrant en comparaison avec les pratiques d’autres pays européens. Ainsi, le contrôle de ce stationnement relève du pouvoir de police du maire et reste non-délégable. Les sommes acquittées par les automobilistes appartiennent au champ fiscal et les amendes au champ pénal. “Cela est très contraignant. Une collectivité peut déléguer ses transports, la gestion de ses parkings, mais pas celle du stationnement. Or la voiture représente encore une bonne moitié de la part modale des déplacements. Ainsi, quand une collectivité veut traiter la question de la mobilité, elle ne peut pas mettre de côté l’automobile. Sans avoir la maîtrise totale de la politique de stationnement, elle n’a pas toutes les cartes en main”, déplore Frédéric Baverez, p-dg d’Effia, numéro deux du parking en France. De plus, on estime que 10 % à 20 % des véhicules circulant dans une grande ville sont à la recherche d’une place de stationnement. L’impact sur la qualité de la mobilité est donc plus que réel. Une des inepties du système actuel concerne le montant des amendes. Fixé uniformément sur le territoire, récemment relevé à 17 euros, il reste ridiculement bas en comparaison avec ceux pratiqués dans certaines grandes villes européennes. “Cette uniformité n’a pas de sens. Dans certaines communes où l’heure de stationnement est à vingt centimes d’euros, elle peut inciter à s’acquitter du droit de stationner. En revanche, dans une ville comme Paris où l’heure de stationnement peut être supérieure à trois euros, le montant de cette amende n’inspire guère de crainte et incite presque à la fraude. Il faudrait être en mesure de moduler le montant de l’amende”, regrette Louis Nègre. Il ne s’agit pas d’arguments fallacieux, loin de là. Dans les grandes villes, notamment à Paris, le taux de fraude peut atteindre 90 %, et la moyenne nationale oscille entre 60 % et 70 %. “Le niveau est tellement élevé que l’on peut se demander qui sont les pigeons qui paient leur place!”, ironise Louis Nègre. Ces statistiques sidérantes ne s’expliquent pas uniquement par le coût peu élevé du PV. Le faible intéressement des communes au produit des amendes ne les incite pas à pousser à la verbalisation d’autant plus que dans l’état actuel des choses, elle ne peut être effectuée que par des agents publics assermentés.
La mise en place d’un système dépénalisé apporterait très certainement de nombreux avantages. Les collectivités pourraient notamment définir elles-mêmes le barème des amendes qu’elles collecteraient et le mettre en cohérence avec le coût du stationnement. “Le passage de 11 euros à 17 euros est loin de changer la donne. Cela peut sans doute avoir un effet dans les petites villes. Mais dans les grandes cités où le coût de stationnement est élevé, les fraudeurs ont encore de la marge”, assure Louis Nègre. Dans son rapport, il précise que, conformément à la demande de la Chancellerie, le montant des amendes dépénalisées ne pourrait excéder 35 euros, afin de ne pas provoquer une remise en cause de la hiérarchie des peines en matière d’infraction routière. Si ce montant reste éloigné de celui pratiqué dans d’autres pays européens (voir encadré), il commencerait certainement à donner à réfléchir. La dépénalisation permettrait également de moduler les amendes. “Il semble anormal qu’un dépassement de temps soit puni de la même manière qu’un non-paiement”, souligne Frédéric Baverez. Le système pourrait apporter encore plus de souplesse en donnant la possibilité de moduler le tarif de l’heure de stationnement en fonction du type de véhicule ou de la fonction de l’automobiliste. “Aujourd’hui, le stationnement résidentiel est la seule exception à la règle. Et il faut se souvenir que sa légalisation a nécessité le recours au Conseil d’État et à la Cour de cassation au travers de contentieux. A contrario, l’autopartage, notamment, ne donne le droit à aucun avantage sur le plan du stationnement. Dans une logique de mobilité durable, cela ne semble pas cohérent”, appuie Frédéric Baverez. En maîtrisant totalement le stationnement en voirie, les collectivités auraient toutes les cartes en main pour mettre en place une politique globale des déplacements. Louis Nègre rappelle que cette compétence fait encore défaut aux AO et ne leur permet pas de devenir les véritables chefs d’orchestre de la mobilité durable. Les opérateurs privés du stationnement avancent également que la dépénalisation leur permettrait d’apporter tout leur savoir-faire. “En déléguant le contrôle à des entreprises privées, sous la forme bien connue de la DSP, les collectivités gagneraient certainement en efficacité. Nous serions en mesure d’apporter les moyens nécessaires pour mettre en place des systèmes modernes et performants autorisant notamment le paiement par téléphone ou le déploiement rapide de la verbalisation électronique. Autant d’améliorations que les collectivités peinent à mettre en œuvre dans le contexte économique”, assure Frédéric Baverez. Cette arrivée du secteur privé n’est pas perçue de manière aussi providentielle du côté des élus. “Je ne pense pas que la vérité soit d’un côté ou de l’autre. Ce qui doit primer, c’est l’efficacité, la productivité et la qualité du service. Je reste persuadé que l’on peut mettre en place un excellent système avec une régie et connaître toutes les peines du monde avec une entreprise privée. Mais l’inverse peut être parfaitement vrai”, tempère Louis Nègre.
Paradoxalement, la question financière de la dépénalisation du stationnement en voirie n’a jamais été l’argument phare des promoteurs de cette solution. Quand bien même il y a là pour les collectivités un manque à gagner bien réel. La recette annuelle du stationnement payant est évaluée à un peu plus de 400 millions d’euros. Le gâteau peut sembler important, mais rapporté au nombre de collectivités concernées, cela donne de maigres parts. “On parle en dizaines de millions d’euros”, reconnaît Louis Nègre. Mais cette estimation vaut pour le système non dépénalisé, avec des taux de fraude ahurissants. De plus, la situation économique est telle que les collectivités vont regarder de plus en plus près les moindres sources de recettes potentielles. On estime que dans un système décentralisé, les collectivités seraient en mesure d’engranger entre 300 et 400 millions de plus chaque année. “Il est vrai que compte tenu de la situation économique, il faudrait sans doute appuyer un peu plus sur les avantages financiers de la dépénalisation. D’autant plus qu’avec des perspectives de fraude en déclin, les montants concernés deviennent de plus en plus significatifs”, reconnaît Louis Nègre. La question financière prend d’autant plus son sens que dans le système dépénalisé, l’État n’aurait rien à perdre, sans doute le contraire. “C’était un principe de base que j’avais clairement mis en avant dans mon rapport. Sans cela, nous étions certains de rester dans une impasse”, indique le sénateur. En effet, l’assujettissement du paiement du stationnement en voirie à la TVA apporterait dans les caisses de l’État des recettes directes à hauteur, a minima, de 80 millions d’euros sur la base des recettes actuelles. Avec un système plus efficace, ce chiffre serait certainement plus proche des 150 millions d’euros. Un montant bien supérieur aux frais de gestion actuellement prélevés par l’État sur le système de redistribution des amendes de stationnement. Il s’agirait ainsi d’un gain budgétaire net issu d’une ressource peu sensible à la conjoncture, et difficilement reprochable par le contribuable qui serait mal placé pour demander qu’on lui permette à nouveau de frauder en paix.
Avec autant d’arguments favorables, on ne peut qu’être surpris de l’inertie des gouvernements successifs sur ce sujet. Louis Nègre avait pourtant souhaité proposer un amendement en ce sens à l’occasion du Grenelle 2. “Mais Dominique Bussereau, alors ministre des Transports, m’avait clairement expliqué qu’avec le péage urbain et la taxe sur les plus-values immobilières liées à la réalisation d’une infrastructure de transport collectif, j’avais déjà placé deux amendements. Aussi, pour le stationnement, il me proposait de réunir un groupe de travail pour rédiger un rapport sur la dépénalisation. C’était mieux que rien, et cela me permettait d’aborder le sujet avec les différentes parties concernées et d’ainsi me rendre compte qui allait réellement jouer le jeu”, raconte Louis Nègre. Pour le sénateur UMP, le blocage n’est pas d’ordre politique. Il existe un consensus sur la question, de part et d’autre de l’échiquier. “Mais […] force est de constater que le portage politique reste trop faible. Sur ce sujet on se heurte à une mauvaise volonté de la technocratie en place qui ne souhaite pas voir les choses évoluer. Ce serait une nouvelle avancée en matière de la décentralisation, ce qui est rarement du goût des administrations centrales. C’est en quelque sorte, circulez, il n’y a rien à voir!”, regrette Louis Nègre.
Paradoxalement, on voit aussi apparaître des points de blocage au niveau des pouvoirs publics locaux. Car la dépénalisation du stationnement placerait la pertinence de sa gestion au niveau de la communauté de communes. Cela impliquerait de porter atteinte au pouvoir de police du maire. “C’est une réalité, mais je pense qu’il est essentiel de privilégier l’intérêt général. Si le stationnement doit devenir un des outils de la mobilité, il doit être géré par la communauté de communes. Mais il faudrait être en mesure de faire les choses intelligemment et de ne pas transférer de l’ensemble des pouvoirs de police du maire, mais se contenter de ceux liés aux stationnements. Si, dans les faits, la communauté de communes a le pouvoir de décisions, celles-ci ne doivent pas être prises de manière despotique. Les choses peuvent se faire dans la concertation en laissant aux maires la possibilité de faire valoir leurs arguments. Au sein de Nice Métropole, les décisions en matière de PLU ne sont plus entre les mains des maires. Mais nous avons mis en place une charte qui impose à la communauté de demander l’avis aux maires concernés avant d’officialiser des décisions”, explique Louis Nègre.
La précédente majorité n’avait pas pris en main le rapport de Louis Nègre. Présenté en novembre 2011, il s’invitait dans un calendrier déjà bousculé par la campagne présidentielle et peu propice aux réformes de fond. Les choses vont-elles évoluer avec la gauche? Dans ses dix propositions en matière de transport, confectionnées par Roland Ries, président du Gart, François Hollande militait pour la création d’autorité organisatrice de la mobilité durable qui aurait également entre les mains la gestion pleine et entière du stationnement.
“Frédéric Cuvillier a récemment rencontré les élus du Gart. Nous lui avons rappelé cet engagement de campagne. Il nous propose de nous tourner vers Marylise Lebranchu en charge de la réforme des collectivités territoriales. C’est dans ce cadre que sera débattue la question du stationnement. Avec mon rapport, le gouvernement dispose d’une feuille de route toute tracée. Il ne reste plus qu’à mettre en œuvre les propositions. Par ailleurs, fin juillet, j’ai obtenu, au Sénat, la création d’un groupe de travail sur les transports, c’est une première. Je le copréside avec Roland Ries et nous présenterons à nouveau le sujet en séance. Il faut créer une impulsion politique”, appelle Louis Nègre, qui ne veut plus que la question de la dépénalisation du stationnement fasse du sur place.
Chez nos voisins communautaires, la question de la dépénalisation ne se pose souvent plus. En Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne comme au Royaume-Uni, le stationnement est entré dans une nouvelle ère avec des résultats plus que probants. À Madrid, c’est l’option de la dissuasion qui a été privilégiée. Mais celle-ci s’accompagne d’intelligence et de pragmatisme. Ainsi, ne pas mettre la main à la poche pour stationner est passible d’une amende de 90 euros. En revanche, un dépassement appelle à plus de clémence avec seulement 45 euros d’amende, mais si le dépassement est inférieur à une heure, l’automobiliste peut se contenter de payer trois euros à l’horodateur. À Londres, la dépénalisation date du milieu des années 90. À cette époque, la police éditait moins de deux millions de PV par an. Après la réforme, ce chiffre est rapidement monté pour frôler la barre des six millions. Depuis trois ans, la courbe décroît. Ceci s’est accompagné d’un taux de paiement à près de 70 %, d’une amélioration significative du respect des règles de stationnement, et de la diminution du temps nécessaire pour trouver une place, le tout accompagné d’un produit net annuel des amendes de 180 millions d’euros.
1. Consultation du comité des finances locales sur le projet de dépénalisation et de décentralisation dont les caractéristiques principales seraient les suivantes:
a. Transformation de l’amende forfaitaire en contribution forfaitaire dépénalisée et décentralisée au stationnement. Le montant pourrait être modulé par les agglomérations entre 8 euros et 35 euros (environ huit fois le taux horaire).
b. Possibilité pour les communes de déléguer la gestion du stationnement de surface aux EPCI titulaires de la compétence transport. Les agents gestionnaires n’ont plus besoin d’être assermentés puisque la contribution est dépénalisée.
c. Institution d’un monopole de traitement de la contribution forfaitaire décentralisée au stationnement par l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions. L’agence récupérerait le produit de cette contribution et le redistribuerait aux collectivités territoriales après prélèvement d’un pourcentage couvrant les frais de recouvrement.
d. Eventualité d’une phase expérimentale sur une ou deux régions, puis extension à l’ensemble du territoire national.
2. Adoption du projet par amendement parlementaire ou par un projet de loi gouvernemental.
À défaut d’avoir la main sur le stationnement en voirie, les AO ont la possibilité de gérer les parkings. Pour ces derniers, elles font souvent appel au secteur privé et procèdent notamment par délégation de service public. Ce marché se divise en plusieurs segments: les parkings relais (P + R), les parkings de centre-ville et enfin ceux liés à un établissement recevant du public. Les P + R sont généralement de la responsabilité des communautés de communes. "Leur délégation peut être confiée à l’opérateur de transport public, ils s’inscrivent naturellement dans la logique de mobilité. L’objectif est de limiter l’entrée des voitures dans la ville-centre en offrant une alternative en matière de transport collectif", explique Frédéric Baverez, p-dg d’Effia, filiale de Keolis, numéro deux du stationnement en France, derrière Vinci. En revanche, les communes conservent souvent la mainmise sur les parkings de centre-ville. Il s’agit d’un poste de recette souvent intéressant et peu contraignant. La gestion est généralement concédée au privé et les enveloppes perçues par les communes promettent de devenir de plus en plus intéressantes. La première concession de nombre de parkings arrive à échéance. Les frais de construction ont été amortis. Aussi, la redevance payée par l’opérateur promet d’augmenter. "Même si, en vue des échéances réglementaires de 2015 en matière d’accessibilité, il y a beaucoup de travaux à réaliser", souligne Frédéric Baverez. Pour les opérateurs privés, la gestion des parkings constitue une bonne vitrine de leur savoir-faire dans l’optique de la dépénalisation du stationnement. C’est notamment le cas des P + R. "Depuis cinq ans, chez Keolis, nous avons systématiquement accompagné le lancement de TCSP par l’ouverture de P + R. Et nous ne nous sommes pas contentés de faire en sorte que la liaison entre le parc et le réseau de transport soit simple. Nous avons également développé une série de services complémentaires allant de l’intégration avec la billettique du réseau à un service de pressing en passant par des kiosques pour les covoiturés. Nous élaborons également avec un grand distributeur un système qui permettrait aux utilisateurs des P + R de récupérer leurs courses faites sur internet directement sur le parking."
