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L’aventure, c’est l’aventure

Intermodalité L’urgence? Assouplir l’enchaînement des transports publics.

Lessivés, élus et chefs d’entreprises planchent dur. Le point sur la grande scène de ménage de l’intermodalité.

SI l’intermodalité est abente du dictionnaire, elle est bien présente dans l’esprit des acteurs du transport public. Et pour cause. Les voyageurs qui enchaînent deux modes de transport collectif sont nombreux. Ils représentent 30 % de la clientèle des TER. Plus de 5 % des usagers des réseaux urbains proviennent d’un parking-relais. Ils sont aussi cyclistes et piétons avant de monter à bord des rames et des bus. En Île-de-France, 85 % des utilisateurs de transports publics effectuent au moins une correspondance. La réflexion autour de l’intermodalité s’est élargie à tous les modes de locomotion, et s’attache à lever tout ce qui freine la mobilité en général. “La chaîne des déplacements, c’est ce qui compte de plus en plus. Quand les transports publics ne répondaient qu’à la demande de 5 % des gens, des captifs, qui ne pouvaient pas faire autrement que de les utiliser, les dysfonctionnements n’étaient graves que pour eux. Quand ils deviennent LA solution de nombreuses personnes pour se déplacer, la grogne monte au moindre dysfonctionnement. La réaction sera encore plus vive, le jour où, hausse des carburants aidant, même les propriétaires de Range Rover s’abonneront aux transports en commun”, analyse Jacques Roulet, consultant en déplacements.

Intermodalité institutionnelle à l’agenda

Aujourd’hui comprise comme le moyen de faciliter le passage d’un mode de locomotion à un autre, l’intermodalité est au programme de tous les acteurs de la mobilité. Y compris du côté du gouvernement. Le ministre délégué aux Transports, Frédéric Cuvillier, confirme qu’un “important volet transport” dans le prochain acte III de la décentralisation, veillera, entre autres, à une “meilleure coordination des autorités organisatrices de transports (AOT, ndlr).”

Bien avant cela, dans le prolongement de son rapport sur les transports publics locaux rendu public en février dernier, le sénateur Yves Krattinger espérait faire modifier la loi SRU d’une ligne, pour généraliser le Syndicat mixte créé alors, puis en faire une “AOT partagée” constituée de préférence à l’échelon régional, et la doter d’une obligation de produire un schéma directeur sur l’information et la billettique. Histoire de propulser le besoin d’intermodalité dans la lumière, d’en faire une préoccupation centrale en la rendant “lisible” par le citoyen.

Piétons, bus et cars davantage pris en compte

Ce chantier de l’intermodalité est donc officiellement ouvert. Un rapide tour de piste permet de constater que s’il mérite un “nouveau départ”, il est loin d’en être à ses débuts. Il a déjà produit de belles réalisations et, probablement aussi, quelques nouveaux écueils à éviter.

Parmi les succès, les plus impressionnants se remarquent dans les grandes villes. Les stations de vélos et d’autos en libre-service sont abondamment pourvues aux gares et aux carrefours des lignes de métro, tramway, bus. Plus visible encore, le vélo qui fait son retour, s’érige de “cathédrales”. Il n’occupe plus seulement l’espace public par ses batteries d’arceaux d’accrochage mais par la multiplication des abris, des parcs qui poussent comme de gros champignons près des gares. 550 places au pied de celle de Lille. 1 300 places dans les silos à vélos (comme des parkings autos) autour de celle de Strasbourg. Plusieurs centaines, en parcs, dans neuf autres gares de son agglomération. 2 000 places sont prévues parmi les réaménagements de la gare de Grenoble que la SNCF surnomme, du coup, “la Hollandaise”.

Au-delà du vélo, la logique de convergence des différents modes de déplacement vers les gares n’en finit pas de s’étendre sur l’ensemble du territoire. C’est la vogue des pôles d’échange multimodaux (PEM) suscitée notamment par l’essor du TER. Alors que les gares augmentent à l’intérieur leurs accès aux trains par des escaliers roulants, des ascenseurs, autour, les PEM facilitent l’arrivée des voyageurs. Ils sont principalement financés par les collectivités territoriales, soucieuses du déplacement de leurs populations. L’État accompagne un peu. La SNCF aussi. Elle y consacre 350 millions d’euros de 2012 à 2014 mais cette contribution atteint, selon les projets, au mieux 30 % des montants investis. Les principaux chantiers concernent pour le moment les gares de Paris-Lyon, Saint-Lazare, Bellegarde dans l’Ain, de Belfort-Montbéliard, de Besançon Franche-Comté, de Rennes, de Nice-Thiers, de Montpellier-Saint-Roch, de Grenoble, de Toulon, de Bordeaux-extension Belcier. Trente nouveaux PEM doivent être ainsi livrés d’ici à 2020.

Le piéton, nouveau roi des transports

Une nouvelle prise en compte des piétons se vérifie partout. À Grenoble, le nouveau PEM prévoit la construction d’une passerelle au-dessus des voies. Les piétons en provenance “de l’autre côté” de la gare y disposent d’un accès direct. À Nantes, un des objectifs de la réfection de la gare, encore dans les cartons, est de faciliter l’accès aux voyageurs. Un couloir sous-terrain leur permet déjà d’arriver du Nord comme du Sud mais il ne suffit plus. Une esplanade au-dessus des voies améliorera encore les choses.

Une nouvelle place est aussi donnée aux bus et aux cars. Le PEM de la gare de Poitiers est doté de 15 quais, complètement abrités. À Rennes, un espace intermodal, en sous-sol, sera construit pour remplacer les dessertes par bus sur les côtés de la gare. Des escaliers mécaniques et des rampes doivent doubler les accès aux quais. Une extension de ce nouvel espace est déjà prévue dans un deuxième temps entre 2020 et 2025. De même qu’une réorganisation pour les cars, de la gare routière, située à 200 mètres, de l’autre côté du parvis principal. Ce souci d’intermodalité avec le TER se diffuse dans les territoires, particulièrement dans les zones périurbaines. Rabattre ou pas des cars vers le train ou les faire continuer vers la grande ville? Raccorder ou doublonner? La question se pose comme il y a quelque temps entre bus et nouveaux tramways. Le tram-train entre Nantes et Châteaubriant, prévu pour fin 2013, privilégie les raccordements. “Les gens prendront-ils les bus? Dans les zones rurales, le réflexe le plus courant reste de sauter dans sa voiture pour se rendre à la gare”, fait observer Jacques Laissus, directeur des transports au conseil général.

Tarifs combinés manquants

Des chantiers d’intermodalité se sont aussi ouverts autour de l’information des voyageurs. Dans certains halls de gare, les écrans des horaires de train voisinent avec ceux des bus. À Lyon-Perrache, on trouve les horaires de la navette pour l’aéroport Saint-Exupéry. Mais en général, partout en France, il vaut toujours mieux rejoindre la station de bus, de tram ou de métro la plus proche pour savoir si un départ est prévu dans les prochaines minutes. Sur ce sujet des correspondances, les sites internet sont entrés en action. Les itinéraires en transport public se sont multipliés. Il en existe un peu partout en France à l’échelle généralement régionale, parfois couplés à l’information routière, comme c’est le cas dans la région parisienne. Ils sont tous regroupés sur le site TER SNCF.

Dans le département de l’Oise, depuis 2010, le Sismo (Système intégré de service à la mobilité) mis en œuvre par un syndicat mixte regroupant 13 autorités organisatrices (région, département, agglomérations et communes) apparaît comme emblématique de cet effort. Le Sismo est une centrale de réservation unique tous transports, y compris covoiturage et taxis. La centrale renseigne aussi sur l’état d’encombrement du réseau routier. Le calcul d’itinéraires donne aussi le coût réel des voyages. Les horaires des différents modes de transport ont pris place dans un certain nombre d’arrêts de cars et de bus (150). Cette multimodalité s’incarne désormais dans une carte unique, multiréseaux. 90 000 cartes ont été distribuées. Cette dynamique enclenchée autour de l’information et de la billettique a même débouché, au sein du syndicat mixte, sur des adaptations des dessertes.

Une carte à jouer

Sur le modèle toujours inégalé de la carte Orange en Île-de-France, ce type de cartes multimodales de transport s’est démultiplié, encouragé par la diffusion de la billettique informatique dans les réseaux urbains qui a glissé la carte magnétique de transport dans la main des voyageurs. Des cartes régionales jouent maintenant les avaleuses. Les deux exemples les plus emblématiques sont la carte KorriGo en Bretagne et OùRA dans la région Rhône-Alpes. Toutes les deux, sur une base de voyage en TER, permettent de monter ensuite dans les bus, tram, métros des grandes villes de la région. En Rhône-Alpes, 400 000 personnes possèdent une carte OùRA. Elle couvre le territoire quasiment de Mâcon à Avignon et de Roanne à Chamonix en passant par des villes importantes comme Saint-Etienne et Grenoble. “Grâce à la carte OùRA, la région s’affiche comme ensemblier des transports publics”, estime Eliane Giraud, en charge des transports à la région. En Bretagne, après Rennes et le département d’Ille-et-Vilaine, puis le TER, la carte KorriGo essaime. Brest, Quimper et Lorient sont sur le point de l’adopter, Saint-Brieuc et le département des Côtes-d’Armor suivront. “Plus aucun transporteur public ne peut s’affranchir désormais de KorriGo”, analyse Gérard Lahéllec, le vice-président aux transports à la région.

L’idée de la carte unique des transports fait école. Le Nord-Pas de Calais s’y met, par exemple, avec sa carte Pass Pass.

Cet outil pratique conduit encore à très peu de tarifs combinés. Mais l’idée est dans toutes les têtes. “Une tarification de la carte OùRA par zones est le premier chantier que je vois pour le syndicat mixte de transports en train de se constituer à l’échelle de l’aire urbaine de Lyon”, explique Eliane Giraud. En Alsace, on est déjà passé à l’action. Depuis 2010, la région a lancé un ticket Alsa Plus 24 heures qui permet de voyager pendant toute une journée sur tous les réseaux: train, bus, tram, car. Sur cette question, deux conceptions de la tarification, fondamentalement opposées, sont à dépasser: celle au kilomètre, fondement des tarifs SNCF; le forfait, à 1 ou 2 euros le trajet, qui a fait florès dans les départements pour relancer le car. “Sur tous ces sujets d’intermodalité, si l’on observe un foisonnement d’initiatives locales, beaucoup reste à faire pour rendre l’offre de transport public en général, celle que François Férieux, le président du syndicat des transports de l’Oise, appelle l’offre de mobilité courante, aussi lisible et pratique que la voiture. C’est tout l’enjeu”, souligne Thomas Vidal, chef de groupe au service politique et transports du Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques).

Information et billettique comme leviers?

Le chantier qui s’ouvre à présent consiste bien à coordonner, harmoniser les différents types de transports publics et en faire connaître l’existence et les conditions d’emploi (horaires, tarifs, articulation avec les transports privés) au grand public. “Il existe à présent une certaine urgence à le faire. 36 millions de modèles d’information modale se mettent en place. 75 systèmes de billettique différents ont vu le jour dans les agglomérations, une quinzaine dans les régions. L’open date est aussi à penser”, souligne le sénateur Yves Krattinger, également représentant du Gart (Groupement des autorités responsables de transport) à l’Afimb (Agence française pour l’information multimodale et la billettique), lancée en 2010 par Jean-Louis Borloo pour notamment faire avancer la France sur ces deux dossiers, conformément aux vœux de l’Europe.

Les clients s’impatientent?

L’urgence émerge aussi du côté des utilisateurs des transports publics. La Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) publie en novembre un florilège des ratés de l’intermodalité. Jean Sivardière, son président, estime “qu’on est très loin du compte en France en matière d’intermodalité et qu’il faut, maladie propre au secteur des transports, se méfier de l’innovation et commencer par faire marcher ce qui existe.” La Fnaut aligne les sujets à reprendre: la signalétique dans les gares, ignorant les autres moyens de transports; les dénivellations dans le métro, dans les gares, non traitées mais qui pourraient l’être “au prix d’investissements minimums” comme à l’aide de rampes pour valises roulantes dans les escaliers. La Fnaut insiste beaucoup sur l’absence d’informations et les mauvaises liaisons, même entre le TGV et le TER en gare. Elle ne tarit pas d’exemples de traversées imposées le long des parkings aux abords des gares pour rejoindre les cars, parfois même les bus en sortant du train. Elle regrette les gares TGV en pleine campagne jamais atteintes par les transports urbains. Elle rappelle l’exemple de Metz. Jacques Roulet, consultant en mobilité, insiste sur “les multiples guichets qu’un usager doit enchaîner encore très fréquemment pour acheter des tickets de bus au sortir d’un train.

Vers une nouvelle approche institutionnelle?

La FNTV (Fédération nationale des transports de voyageurs), de son côté, prône l’établissement de schémas régionaux de mobilité et demande que “la question des gares routières soit enfin gérée. Personne n’en a jamais pris la responsabilité.

Face à ces demandes, Yves Krattinger, propose donc une nouvelle approche institutionnelle. Que les syndicats mixtes de transport, de type SRU, à constituer à des échelles de territoire raisonnables par la AOT, principalement celle de la région, soient désormais en charge, des volets information et billettique de l’intermodalité. “Avec 400 AOT en France, on ne peut pas s’entendre sur un système intégré. Avec 40, on le peut. Je propose aux acteurs un modeste lieu de rendez-vous, pour avancer, plutôt qu’une cathédrale où serait célébré un grand soir des transports”, explique Yves Krattinger. Pour lui, l’Afimb doit voir ensuite ses pouvoirs renforcés pour intervenir entre les acteurs: “Depuis deux ans, nous avons déjà dégagé d’importants consensus techniques au sein de l’Afimb.” Pour lui, en partant de l’information et de la billettique, les sujets plus ardus comme la coordination des transports en eux-mêmes et l’harmonisation des tarifs feront des progrès. “Tout change quand les gens commencent à travailler ensemble”, estime-t-il. Un diagnostic que parmi d’autres, Gérard Lahéllec, vice-président de la région Bretagne, partage: “Ce qui compte, c’est d’enclencher le mouvement.

Gare routières en mausolées désertés

En parallèle, la SNCF avance aussi ses pions sur l’intermodalité pour en devenir un acteur majeur. Une fois mobilisée pour se doter d’une palette toujours plus large de modes de déplacements (iDBUS en est le dernier exemple dans le car interurbain rapide), la SNCF a décidé de proposer des services intermodaux clés en main. C’est toute la mission du GIE Inter’Actions, regroupant les activités de SNCF Proximités (TER, intercités, Transilien), et ses filiales Keolis et Effia. “Nous faisons du concret avec méthode. Nous devenons un assembleur opérationnel de services innovants s’appuyant sur l’intermodalité”, explique sa directrice Brigitte Rabaud. Comme un parcours complètement accessible, de porte à porte, entre les trois villes de Lyon, Lille et Rennes. La SNCF s’appuie sur les services locaux de Keolis pour les personnes à mobilité réduite. Elle propose Transaltitude en couplant l’iDTGV avec l’offre de VFD, la filiale de Keolis qui dessert les stations de ski à partir de Grenoble. À Caen, la SNCF associe ses trains Intercités et son système de bus à la demande, avec Flexobus.

Plus technique, la SNCF propose aux régions une informatique originale et spécifique au groupe SNCF en Europe, baptisée Accès Synchro destinée à mesurer la qualité de l’intermodalité sur un territoire. Sont analysées les qualités de l’information aux voyageurs, des horaires, des correspondances, du positionnement des arrêts, de la palette de l’offre multimodale. La stratégie intermodale de la SNCF commence d’ailleurs à produire ses premiers effets d’ampleur. Le groupe vient de décrocher l’exploitation du réseau strasbourgeois de transports publics “parce que le tramway ne pouvait plus constituer une réponse unique… Seule une conception plus affirmée et innovante de l’intermodalité reposant notamment sur une synergie avec le train permettra d’être au rendez-vous”, explique le communiqué de la Compagnie des transports strasbourgeois.

Face à cet acteur ambitieux, les élus ont leur prévention. “J’ai toujours veillé à ce que la carte KorriGo reste rechargeable par internet pour éviter qu’elle ait à passer par les bornes de la SNCF. Nous savons très bien que la billettique et l’information peuvent être, pour la SNCF, un vecteur de préservation de ses marchés”, estime Gérard Lahéllec, en Bretagne.

Jacques Roulet pointe une autre dérive potentielle. Dans un système d’intermodalité performante, l’objectif est de drainer les territoires pour acheminer les voyageurs vers les modes de déplacements lourds comme le train qui, par définition, restent fixes. La tendance peut exister de tout rapatrier autour des gares. “Beaucoup de gares routières construites en centre-ville coûtent cher – il faut les gérer –, et sont en déshérence comme des mausolées désertés parce que les villes ont changé, beaucoup plus polynucléaires qu’organisées autour d’un centre comme autrefois. La vocation d’un moyen mobile comme un car est de faire descendre ses clients en plusieurs endroits dans la ville”, explique-t-il. Le même type de réflexion est en cours autour des parkings-relais. Ils doivent rester amovibles et être éloignés des centres à mesure que la voiture en est repoussée. L’intermodalité elle-même est amenée à évoluer.

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Auteur

  • Hubert Heulot
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