Polémique Le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) est en danger. Avec l’annonce du gouvernement en juillet dernier que certains chantiers français de LGV pourraient bien achopper, les élus concernés par les lignes Bordeaux-Espagne et Bordeaux-Toulouse s’engagent au carrefour de stratégies diverses dans l’attente du verdict final. Enquête.
Il faut arrêter de nous mener en bateau. Nous voulons savoir où nous allons!” Jean Grenet, président de l’agglomération Côte basque-Adour (ACBA) et maire de Bayonne, ne mâche pas ses mots pour critiquer la mise sur la sellette par le gouvernement du Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), et l’attente douloureuse qu’il subit aux côtés d’autres élus dont la collectivité est concernée par le projet. Prévu dans le cadre du Grenelle de l’environnement dans le but de favoriser des déplacements plus respectueux de l’environnement, le GPSO planifie la construction de deux lignes à grande vitesse de 417 km de long avec plus 38 kilomètres de raccordements d’ici à 2020. D’un montant de 12 milliards d’euros, ce projet va dans la continuité de la LGV (ligne grande vitesse) Sud-Europe-Atlantique (SEA) qui reliera Tours à Bordeaux dès 2017. Le GPSO comprend une ligne mixte (transport de voyageurs et fret) de 195 kilomètres entre Bordeaux et l’Espagne, et une autre de 165 kilomètres entre Bordeaux et Toulouse. Pour Réseau ferré de France (RFF), ces deux voies permettraient de tripler le nombre de voyageurs en 2020 par rapport à 2009.
Seulement voilà, crise oblige, le projet, qui permettrait de relier Toulouse et Bayonne respectivement à 3 h 10 et à 3 h 15 de Paris, pourrait bien rester à quai. Deux déclarations du gouvernement ont mis le feu aux poudres et alerté les élus. La première revient au nouveau ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, qui a annoncé lors de l’assemblée générale de l’association Transport-Développement-Intermodalité-Environnement (TDIE) le 3 juillet dernier, que les objectifs du Schéma national des infrastructures de transport (Snit) devraient être “revisités” et qu’il fallait “hiérarchiser” les projets. “Il va être difficile de financer les 245 milliards du Snit […]. Nous allons monter une commission pour mettre de l’ordre et discuter sérieusement du sujet.” Le 11 juillet 2012 sur France 2, Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, enfonçait le clou: “Le gouvernement n’aura pas d’autre choix que celui de renoncer à certaines des options qui ont été privilégiées. Il faudra peut-être élaguer dans les projets qui ont été proposés. […] On peut se demander si prolonger telle ou telle ligne TGV pour un gain de temps marginal est préférable à l’entretien du réseau secondaire de transport ferroviaire, indispensable car utilisé par beaucoup.” Trois mois plus tard, le ministère des Transports persiste et signe en créant une commission composée de six parlementaires et quatre experts du secteur chargés d’évaluer “la pertinence, l’intérêt et l’urgence des opérations identifiées dans le projet du Snit quitte à proposer le phasage voire le réexamen partiel ou global de certaines opérations”, indiquait le ministre des Transports lors du lancement de cette commission le 17 octobre dernier.
Autrement dit, pour contribuer à réduire le déficit public, la commission nouvellement créée pourrait remettre en question une dizaine de projets de construction de LGV, prévus lors du Grenelle de l’environnement (voir carte p. 53). Au sein du GPSO, d’un montant de 12 milliards d’euros, la construction à l’horizon 2020 des deux LGV de 417 km entre Bordeaux et Toulouse et Bordeaux et l’Espagne est en danger. Au grand dam des élus “pros” GPSO En revanche, la LGV Tours-Bordeaux, dite ligne Sud-Europe Atlantique (SEA), financée par nombre de collectivités sur le tracé du GPSO, n’est pas menacée car en cours de construction.
Jean Grenet a donc décidé de prendre le train en marche en actionnant son principal levier de pression: la participation de l’ACBA au financement de la LGV Tours-Bordeaux, actée par la signature d’une convention fin 2010. Piquée au vif, la communauté d’agglomération a annoncé le 26 septembre qu’elle menaçait de suspendre ses règlements (à hauteur de 25 millions d’euros) si elle n’obtenait pas les garanties que le GPSO serait mené à son terme. “En l’absence de réponse favorable au projet de LGV Bordeaux-Espagne, l’agglomération se réserve le droit de suspendre ses financements, ce qu’elle ne souhaite pas”, a déclaré Michel Veunac, vice-président de l’ACBA (source, Journal du Pays basque, 28 septembre). “Si la ligne Bordeaux-Espagne n’est pas réalisée juste après la LGV SEA, nous pouvons dire adieu à notre projet aquitain. La région restera alors déserte en termes d’infrastructures modernes”, craint Jean Grenet.
Réagissant, d’une part, aux annonces du gouvernement et, d’autre part, à la décision de l’ACBA, d’autres élus concernés par le projet GPSO ont décidé de prendre position. Le Marsan Agglomération, qui contribue à hauteur de 8 millions d’euros à la LGV Tours-Bordeaux et à 12 millions d’euros pour la ligne Bordeaux-Espagne, a opté pour la solution bayonnaise. “Je viens de recevoir un mandatement de 2 millions d’euros pour la LGV Tours-Bordeaux. J’ai alors répondu par courrier en indiquant que nous paierons paiera lorsqu’on sera fixé sur le sort du GPSO”, indique Geneviève Darrieussecq, maire (MoDem) de Mont-de-Marsan et présidente du Marsan Agglomération.
À l’extrême, Henri Emmanuelli, président du conseil général des Landes, a menacé de demander le remboursement de la participation de son département à la LGV Tours-Bordeaux. En clair, 33 millions d’euros, dans le cas où le GPSO ne serait pas mené à son terme. “Nous nous battrons pour cette liaison jusqu’au bout!”, a-t-il mis en garde.
Pourtant, ces prises de position radicales sont loin de faire l’unanimité auprès des “pros” GPSO. Alain Rousset, président du conseil régional d’Aquitaine, a notamment demandé de “faire preuve d’une attitude volontariste.” Même son de cloche pour les Pyrénées-Atlantiques qui avaient choisi d’honorer le versement des 8,5 millions d’euros de participation du département à RFF pour le cofinancement de la LGV Tours-Bordeaux. “Georges Labazée, président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, a également rappelé au ministre chargé du Budget, Jérôme Cahuzac, ainsi qu’au président de la République, toute la détermination de la collectivité pour voir l’aboutissement du chantier de la LGV Tours-Bordeaux et la confirmation de la réalisation de la LGV Bordeaux-Espagne”, souligne le conseil général des Pyrénées-Atlantiques. Acteur majeur de l’affaire, Georges Labazée a, pour sa part, déclaré au quotidien Sud-Ouest qu’il s’agissait de faire “acte de cohérence, de constance et de confiance. Nous avons payé 80 millions d’euros au début de notre mandat. Après Tours et Bordeaux, il y aura le prolongement jusqu’à la frontière espagnole. Nous travaillons en ce sens.” L’élu, originaire des Basses-Pyrénées, a même fait part de sa volonté de créer une association pro LGV, pour soutenir le projet.
Du côté de la ligne Bordeaux-Toulouse, Alain Malvy, président du conseil régional des Midi-Pyrénées, a également opté pour la voie volontariste. Interrogé par le quotidien Sud-Ouest le 5 octobre, celui-ci s’est dit “optimiste” et garde espoir. “À partir du moment où nous avons participé au financement de Tours-Bordeaux, nous considérons que la ligne Bordeaux-Toulouse est ouverte et le chantier est donc en cours. C’est une seule et même ligne. Sans compter que les projections faites sur le taux de rentabilité de cette LGV sont de 4,2 sans Toulouse et de 5,2 avec Toulouse”, a-t-il déclaré, précisant que lors d’une rencontre avec Frédéric Cuvillier, le ministre se serait engagé sur le maintien du calendrier pour la ligne Bordeaux-Toulouse.
Un point de vue coopératif que Geneviève Darrieussecq ne partage pas: “Je ne veux pas payer pour voir. Nous ne sommes pas dans une partie de poker. Le GPSO est important pour tout le Sud-Ouest. Nous avons signé une convention de financement fin 2010 qui actait notre participation à SEA à la réalisation du GPSO. En agissant ainsi, nous respectons notre engagement.”
La tactique utilisée par l’ACBA, le Marsan Agglomération et le conseil général des Landes pourrait pourtant, malgré l’appel au calme et à la patience de certains élus, porter ses fruits. Selon Gilles Savary, interrogé par le Journal du Pays basque, “le projet GPSO va se faire.” Pour le député girondin, la ligne Bordeaux-Espagne, qui semble pourtant plus en danger que sa voisine Bordeaux-Toulouse, ne craint pas grand-chose car elle est “directement liée à la construction du tronçon Tours-Bordeaux”. En effet, “si les collectivités présentes sur le périmètre de GPSO – qui participent à hauteur de 540 millions à Tours-Bordeaux – se retirent, Vinci pourra aller en justice et cela coûtera très cher à l’État”, poursuit Gilles Savary. Compte tenu de la conjoncture actuelle, où l’État pourra-t-il trouver les 540 millions nécessaires? Même chose du côté de la ligne Bordeaux-Toulouse qui réunit 58 collectivités sur les 160 concernées par le projet.
Au-delà du fait que le GPSO est directement lié à la LGV Tours-Bordeaux qui, elle, n’est pas remise en question, le projet présente d’autres atouts qui pourraient jouer en sa faveur. Pour Jean Grenet, “la ligne est importante. En termes de fréquentation, nous avons aujourd’hui 900 000 voyageurs par an. Avec la SEA, nous en aurons 2 millions, et avec la ligne Bordeaux-Espagne, 4 millions. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.” Et d’ajouter que “cette ligne est d’autant plus importante qu’elle joue un rôle crucial dans les relations transfrontalières avec l’Espagne. Également au niveau du fret, puisqu’elle permettra de désengorger nos routes. Chaque année, le fret routier augmente de 4 % dans la région, ce qui est énorme.”
Même constat pour Geneviève Darrieussecq: “Le GPSO est important pour tout le Sud-Ouest. C’est une voie ferroviaire qui facilitera le transport de personnes et le fret. Le transport régional permettra d’optimiser les déplacements régionaux qui mettront les pôles secondaires à proximité de Bordeaux et Toulouse. Il faut avoir une vision pérenne du GPSO.” De plus, “nous venons d’apprendre que les études vers la déclaration d’utilité publique seront poursuivies par RFF au train prévu initialement. Autre bonne nouvelle, le préfet des Landes, Alain Zabulon, considère ce projet comme prioritaire”, se félicite-t-elle. Et Le Marsant Agglomération d’ajouter: “De surcroit, nous savons d’ores et déjà que cette ligne aura des financements européens.”
Sur la ligne Bordeaux-Toulouse, les espoirs sont là encore permis. Le 4 octobre 2012, le conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de France (AFITF) a notamment adopté une convention financière d’un montant de 83,7 millions d’euros, dont une partie sera consacrée au financement des études indispensables à la construction de la LGV Bordeaux-Toulouse.
Pourtant, rien n’est encore joué et plusieurs ombres au tableau pourraient reporter la réalisation du GPSO aux calendes grecques. En tête, la grogne anti-LGV. Du côté basque, “certaines collectivités ont refusé de financer et quelques maires ont pris des décisions tranchées à l’égard de la LGV. D’autres encore ont fait des demandes d’infrastructures spéciales qui ne font qu’augmenter le budget et donc retarder le projet”, regrette Geneviève Darrieussecq. En effet, les élus de la Communauté de communes Sud Pays basque (CCSPB), Errobi et Nive-Adour, comme Michel Hiriart, maire de Biriatou, sont catégoriques, la LGV serait “inutile”. “Le financement public ne permet plus de réaliser ce projet. Nous disons non à la dépense de milliards d’euros pour un gain de temps de quelques minutes”, martèle le maire de Biriatou, interrogé par le Journal du Pays basque, ajoutant qu’ “avec beaucoup moins d’argent, on peut moderniser toute la ligne.” Entre autres préconisations, celles de supprimer les passages à niveau, de mettre en place une isolation phonique et de moderniser les voies. Selon les anti-LGV, ces innovations coûteraient 800 millions d’euros d’investissement, soit “cinq fois voire dix fois, avec les coûts supplémentaires, moins cher qu’une nouvelle ligne qui ne sert à rien”, poursuit Michel Hiriart.
Du côté toulousain, Charles D’Huyvetter, à la tête du Collectif 47, un groupement d’associations anti-LGV, tient le même discours: “Il serait plus judicieux de rénover les lignes existantes que de financer une LGV beaucoup trop chère pour presque aucuns avantages. L’argument avancé par RFF de la saturation des voies existantes ne tient pas. Nous nous sommes rendu compte que les voies n’étaient remplies qu’à hauteur de 40 %. Si on a créé une LGV, il y aura deux lignes saturées à 20 %.” Pour mener leurs actions à terme, “nous avons déposé un recours auprès du tribunal administratif le 29 septembre 2012 et réalisé une contre-étude montrant que les chiffres sur lesquels se base RFF sont surestimés.” Des deux côtés du GPSO, les anti-LGV se retrouveront en outre le 27 octobre 2012 lors d’une grande manifestation à Bayonne organisée par le Collectif des associations de défense de l’environnement (Cade), également farouche opposant au projet.
Bref, les anti-LGV, bien organisés, solidaires et très communicants, pourraient donc eux aussi faire pencher la balance. “Si objectivement notre projet est viable et utile à la fois localement, nationalement et internationalement, notre manque d’unité face au projet pourrait nous desservir face à d’autres plus soudés”, résume Le Marsan Agglomération. Rendez-vous au prochain épisode.
André Chassaigne (PC): député du Puy-de-Dôme.
Michel Delebarre (PS): sénateur du Nord, ancien ministre de l’Equipement, du Logement, des Transports et de la Mer.
Philippe Duron (PS): député du Calvados, président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
Louis Nègre (UMP): sénateur des Alpes-Maritimes, président du groupe de suivi du Snit au Sénat. Bertrand Pancher (Union des démocrates et indépendants): député de la Meuse, corapporteur du Grenelle à l’assemblée.
Eva Sas (EELV): députée de l’Essonne.
Jean-Michel Charpin: Inspecteur général des finances.
Yves Crozet: Économiste.
Marie-Line Meaux: Inspectrice générale de l’administration et du développement durable.
Patrice Parisé: inspecteur général des Ponts et Chaussées.
