Prospective Pour faire en sorte que l’autocar de demain ne fasse pas figure de vestige, impossible d’y couper: il faut anticiper. Un exercice périlleux dans un secteur où la crise économique a soufflé un vent glacial sur les stratégies d’investissement des autorités organisatrices. Conclusion: les entreprises naviguent entre une visibilité qui s’effrite, l’émergence de sociétés publiques locales (SPL) débouchant sur de nouvelles pratiques et une rafale de normes réglementaires.
Nul doute que l’autocar de demain ne partage aucune valeur commune avec un Hummer aux allures de limousines coincé dans les embouteillages des heures de pointe moscovites. Confortable, respectueux de l’environnement et capacitaire, il porte à la fois l’ADN de l’entreprise et le niveau d’exigence accordé au transport par les autorités organisatrices (AO). À travers une des tables-rondes organisées lors de ce Club Managers, l’idée était d’anticiper les mutations de la mobilité pour déterminer les caractéristiques des futures flottes.
Intimement liées à la manière dont les AO préfigurent le développement de leurs réseaux de transports, les flottes des transporteurs semblent, à l’heure actuelle, à la croisée des chemins. “Les deux prochaines années seront décisives”, atteste Éric Ritter, secrétaire général de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) et animateur de cet atelier. En effet, dans l’attente des premières mesures du nouveau gouvernement, la profession ne sait pas encore précisément à quelle sauce elle sera mangée. Si quelques dossiers comme la hausse de la TVA, la réforme ferroviaire, la remise à plat du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) ou la révision des rythmes scolaires sont d’ores et déjà dans les tuyaux, d’autres chantiers comme l’acte III de la décentralisation, dont le projet de loi sera examiné par les ministres début 2013, pourraient modifier en profondeur la gouvernance du secteur. “À ce stade, le gouvernement ne paraît pas envisager la suppression d’échelons territoriaux”, confie Éric Ritter. Bonne ou mauvaise nouvelle, difficile de trancher puisque bon nombre de participants assurent travailler avec plusieurs niveaux d’AO avec chacun son propre cahier des charges… Avec, en toile de fond, une crise économique active depuis quatre ans, leurs attentes s’orientent on ne peut plus clairement vers une rationalisation des moyens et une réduction de leur budget au sein duquel le transport “pèse en moyenne 4,5 % avec de fortes variations selon les régions”, constate Éric Ritter. Même s’il ne figure pas en tête des postes les plus onéreux, il participe malgré lui à cette vague d’économie et ce de différentes manières. En effet, bon nombre de participants observent aujourd’hui un raccourcissement de la durée de leurs contrats dont certains témoignent d’au moins trois renouvellements successifs avec de plus courtes échéances, posant de facto la question de la visibilité de leurs investissements, et surtout de l’échéance de l’amortissement de leur matériel. “J’hésite à renouveler certains véhicules pour un contrat d’un an car la prise de risque me paraît trop importante pour une si courte période”, avouait un transporteur. Toujours dans cette logique d’optimisation, les demandes de certaines AO témoignent de pratiques pour le moins “borderline” en terme de sécurité. “L’une d’entre elles m’a demandé de remettre en circulation d’anciens véhicules”, confiait un autre participant.
Autre élément conjoncturel susceptible d’impacter sur le profil de l’autocar de demain: le développement des sociétés publiques locales (SPL). Plusieurs fois citées au cours de cette table-ronde, les SPL du Tarn, de l’Isère ou de Saône et Loire semblent faire figure de cheval de Troie. En décidant de créer une société privée comptant au minimum deux collectivités locales comme actionnaires, les AO semblent ainsi enclines à internaliser l’ensemble de la prestation transport dans l’espoir de réaliser ainsi quelques économies. Une démarche qui laisse à bon nombre de transporteurs l’impression de se faire “court-circuiter” sur leur propre terrain. Observant cette nouvelle concurrence du coin de l’œil, la profession guette avec impatience les premières remontées de terrain de celles qui se sont lancées croisant les doigts pour que le passage de la théorie à la pratique confronte les AO à la réalité du métier qu’elles ne semblent pas avoir tout à fait mesurée en terme de gestion, de savoir-faire mais aussi d’investissement. “Même si elles revendiquent des hausses de fréquentation et des baisses de leurs charges, plusieurs d’entre elles ne tarderont pas à se rendre compte qu’elles n’ont pas les moyens de leur rêve”, assurait un chef d’entreprise. Ayant décroché certains lots, quelques rares transporteurs sont ainsi aux avant-postes pour observer de près leurs pratiques, et témoignent de leur inquiétude inquiets à hériter d’un matériel dont la traçabilité leur échappe.
Dernière tendance lourde qui se répercutera directement sur les parcs de demain: l’évolution de la réglementation. Imposé par Bruxelles peu après la flambée des prix des carburant entre 2007 et 2008, le déferlement des motorisations Euro V et Euro VI ne paraît pas aussi marqué que dans le transport routier de marchandises, où elles sont désormais légion. Pour autant, elles gagnent du terrain dans les appels d’offres, et font parfois la différence au moment de l’attribution de délégation de service public. Entre l’affichage du CO2 obligatoire dès l’an prochain, l’externalisation des visites techniques, la possession d’éthylotest à bord, l’entrée dans les mœurs du chronotachygraphe, la mise en accessibilité des flottes, etc., “depuis dix ans, nous assistons à une inflation normative”, explique Éric Ritter. Tant et si bien que “nous arrivons au bout d’une logique protocolaire”, poursuit-il. Cela n’empêche néanmoins pas de voir 770 000 autocars circuler actuellement en Europe dont 60 000 sur les routes françaises principalement en transport régulier. Si leur moyenne d’âge avoisinait 8,2 ans au 1er janvier 2012, leur prix moyen d’achat frôlait 195 000 euros l’unité à cette même date. Toute proportion gardée, “le matériel ne constitue pas le poste le plus coûteux pour les sociétés comparé au social”, résumait l’un des participants. Avec 4 000 autocars neufs immatriculés chaque année, l’autocar de demain semble donc avoir toutes les cartes en main pour border ses vieux jours.
