Un vélo dans le train Si ces dernières années, la SNCF a fait des efforts pour accepter les vélos à bord des TER, il reste encore beaucoup à faire, y compris en urbain. Difficulté supplémentaire, l’usage du vélo comme complément d’un autre mode de transport est encore mal évalué.
La logique voudrait qu’à partir d’un certain kilométrage, ou d’un certain type d’obstacle (bras de mer, collines escarpées), le vélo soit associé à un autre mode de transport en commun, que ce soit en co-modalité ou en inter-modalité. Si cela existe dans les faits, le phénomène est pourtant difficilement quantifié. Pour les exploitants, un client cycliste est avant tout un client. La conception même des enquêtes ménages déplacements par le CERTU rend l’appréciation de la multimodalité délicate et, dans sa synthèse des 14 dernières enquêtes de ce type, il le reconnaît: « les exploitations des déplacements selon le mode principal sous-estiment donc légèrement l’usage des vélos puisqu’un déplacement réalisé à vélo et en voiture ou en transport collectif a pour mode principal la voiture ou le transport collectif: les déplacements utilisant un vélo sont donc sous-estimés d’environ 3,5 %. » L’Île-de-France, dans l’Enquête globale transport 2010-2011, se distingue avec 9 % des déplacements intermodaux ayant recours à la bicyclette. Cette part « est supérieure à ce que l’on rencontre dans les autres agglomérations françaises. » Concernant les comportements, il semblerait que les usagers du vélo aient un “budget temps” inférieur à la moyenne des ménages interrogés. Est-ce une conséquence de ce choix de mode de transport, ou l’adaptation à une typologie (proximité du domicile par rapport au lieu de travail ou d’études)? L’enquête ne le dit pas, mais la combinaison vélo-train donne potentiellement des temps de parcours très compétitifs, surtout si la distance effectuée en train est longue et celle à vélo relativement courte.
Reste la question du choix entre garer la bicyclette ou l’emmener avec soi. Jusqu’à une période récente, il était difficile, voire interdit, d’emmener son vélo dans le train. La SNCF, les régions et les constructeurs de matériels ferroviaires, Alstom et Bombardier, ont fait d’énormes progrès pour que cela devienne possible. Mais le problème demeure entier pour les déplacements plus longs, ou sur les parcours qui utilisent des matériels type Corail ou TGV. Si, dans les Corail exploités en TER, il est théoriquement possible d’emmener un vélo, dans les TGV cela reste interdit ou payant. Au Club des villes et territoires cyclables on reconnaît que cette thématique « est une des priorités de l’association », explique son président, Jean-Marie Darmian (il est également vice-président du conseil général de la Gironde). Le club mène des actions sur ce sujet autour des gares: « l’inter-modalité y est souvent problématique pour des questions de foncier partagé entre propriétaires privés, RFF, SNCF et sa filiale Gares et connexions. On sent de plus en plus de réticences vis-à-vis du vélo de la part de la SNCF », résume Alain Jund, 1er adjoint à la mairie de Strasbourg. En région Alsace, les cyclistes seraient responsables de temps d’embarquement et de débarquement trop longs. Victime de son succès, la formule prouve par là même qu’elle a bel et bien rencontré son public. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la taille du parking à vélo de la gare ferroviaire de Strasbourg!
L’accès aux infrastructures, la taille des parcs à vélos, les services disponibles sur place, tout cela est un « enjeu de travail sur le long terme dans le cadre des politiques de réorganisation urbaine. C’est quand on est dans les projets que chacun [des modes de déplacement] doit avoir sa place », insiste Isabelle Mesnard, a jointe du maire de Chartres, déléguée au cadre de vie. « Le manque de “culture vélo” en France fait que le cabinet d’architecte retenu n’avait pas intégré ce volet dans le projet initial de réaménagement de la gare ferroviaire », explique-t-elle. Par ailleurs, de plus en plus d’autorités organisatrices intègrent l’inter-modalité dans leurs appels d’offres. Dernier exemple en date: la communauté urbaine de Bordeaux qui a tout globalisé en associant gestion des vélos en libre-service et transports en commun. « Combiner le vélo et les transports en commun de manière efficiente permet d’optimiser les moyens dans un contexte financier contraint », résume Jean-Marie Darmian, président du Club des villes et territoires cyclables. L’association des deux permet de résoudre l’équation, jusqu’à présent insoluble, entre la desserte fine et l’intérêt général (et donc la bonne gestion des deniers publics).
Toutefois, en matière de transports urbains, rares sont les autorités organisatrices et les exploitants qui accueillent les vélos avec leur propriétaire! Si le tramway du Havre accepte les vélos, en Île-de-France, la RATP ne les reçoit que sur son réseau RER, à condition qu’il y ait un accès pour PMR, sinon le vélo reste derrière les barrières de péage! Lyon ne les tolère que sur les funiculaires et la ligne C du métro, et contrairement à ce qui avait été vendu aux Lyonnais au début du projet des lignes T1 et T2, le tramway n’a jamais été ouvert aux cyclistes. Gilles Vesco, le monsieur vélo de la communauté urbaine de Lyon, s’emporte dès que l’on parle de ce sujet: « Vous croyez que l’on va acheter des rames de tramway supplémentaires juste pour laisser de l’espace à quelques cyclistes aux heures de pointe? Les Vélo’V ça sert à quoi alors? Aujourd’hui, c’est un non-sens de mettre un vélo dans un tramway. » Bref, si l’inter-modalité à la cote, la co-modalité est encore peu valorisée. Or, toutes les communes, notamment en milieu périurbain ou rural ne pourront pas justifier à elles seules la mise en place de vélos en libre-service. Il faudra bien accepter aussi les propriétaires de bicyclettes, ne serait-ce que parce que les vélos en libre-service ne répondront pas à tous les besoins (caractéristiques techniques limitées pour un usage routier ou en pente). La Belgique et le Royaume-Uni ont mis en place des incitations à l’acquisition de vélos. Ainsi, Cycle to work, existe depuis 1999. De nombreuses collectivités françaises ont mis en place des aides à l’acquisition de vélos à assistance électrique, car quel meilleur allié des transports en commun que la vélo? Il combine la souplesse d’utilisation de l’automobile ou des deux roues motorisés avec l’efficience spatiale des transports en commun. Jean-Marie Damian du Club des villes et territoires cyclables en est convaincu: « Les vélos? Il en faut partout. Cela permet de rabattre du trafic vers les transports en commun et d’assurer la continuité du trajet. » Si, dans certaines régions, le train semble bouder le vélo, du moins quand son transport est gratuit, et si les transports urbains hésitent entre interdiction et rares tolérances, l’autocar, traditionnel parent pauvre de l’inter-modalité et de la co-modalité vélo, semble évoluer. Par exemple, sur la ligne TransGironde no 601, exploitée par Citram Aquitaine, le concept d’autocar à haut niveau de service e-c@r intègre des racks à vélos, mais hélas pour les seuls mois de juillet et d’août! Des fournisseurs comme Carspeed proposent dans leurs catalogues des armoires dédiées aux vélos adaptées aux autocars.
Avec un peu de bonne volonté politique, les obstacles techniques peuvent donc être surmontés. Reste alors à franchir l’ultime étape pour une parfaite inter-modalité: une tarification conjointe associant les transports urbains, les trains régionaux et les vélos en libre-service, le tout avec un titre de transport unique!
