Portrait Après 21 ans d’une riche carrière dans l’industrie automobile, le designer Xavier Allard a rejoint Alstom. À bientôt 54 ans, il est l’une des chevilles ouvrières du constructeur ferroviaire et ne regrette pas ce choix, résolument tourné vers l’avenir.
Ce designer vient du monde de l’automobile. Depuis qu’en septembre 2005 il a rallié Alstom, premier constructeur de tramway à avoir créé une unité interne de design, Xavier Allard est devenu une figure incontournable des transports publics.
Énergique et passionné, cet homme qui, étudiant, rêvait de devenir le « Guy Degrenne des transports », a eu le nez creux. Quitter Renault, au bout de 21 années d’intense collaboration dédiée au design des poids-lourds, des tracteurs et des autocars, relevait du pari fou que beaucoup de ses amis « n’ont pas toujours bien compris », raconte le designer qui a suivi une formation artistique classique en arts appliqués. L’engouement pour les tramways et les transports publics était alors à peine perceptible et même Xavier Allard reconnaît « n’avoir pas senti venir l’ampleur du phénomène. » Séduit par le discours des dirigeants d’Alstom désireux de créer un département design intégré à l’entreprise, il a foncé, alors même que son nouvel employeur « sortait d’un bouillon terrible ». Alstom lui donnait l’occasion de « faire autrement [son] métier, de parler de design plus que de produits. » Il prend en charge la création de cette entité de A à Z, « avec tout le savoir-faire que cela implique, du premier coup de crayon jusqu’à la livraison. »
Aux côtés de Xavier Allard, une douzaine de créatifs modélisent numériquement les tramways. Il travaille aussi avec des maquettistes, des designers couleur et matériaux qui œuvrent « à la fois pour l’intérieur et l’extérieur, au niveau de la forme, du graphisme, des couleurs, des matériaux, mais aussi des éclairages. » Rien n’est laissé au hasard, car selon lui, le design est un enjeu décisif à condition toutefois que « le projet soit techniquement faisable et qu’il soit en phase avec les fondamentaux économiques. » En dépit du caractère très standardisé du Citadis, plateforme ferroviaire industrielle créée par Alstom pour être déclinée à très grande échelle, sa créativité est recherchée pour « marquer l’identité de la ville. » À l’image du Régiolis, le train commandé par la SNCF pour les liaisons régionales, les concepteurs ont voulu apporter de la souplesse en « pensant à faire du modulable avant tout. » Les combinaisons d’aménagement et de finition lui offrent une belle palette d’intervention. Pour marquer une expression visuelle différente, ses équipes peuvent jouer sur les compositions techniques, se démarquer en variant les couleurs et les formes.
Les possibilités de revisiter les espaces intérieurs sont tout aussi multiples, à plus forte raison que « les nouveaux matériaux et les nouvelles technologies, les éclairages contemporains permettent de mieux se pencher sur la question des services à bord et de réfléchir à la manière de se mouvoir dans la rame. » Ainsi, sur la trentaine d’appels d’offres pour lesquels Alstom a concouru, aucun projet n’a été identique, affirme le designer. Il cite les tramways de Casablanca et de Rabat, « radicalement différents: l’un devait marquer l’histoire et les coutumes du pays avec ses zelliges, l’autre devait au contraire montrer l’aspect contemporain, par des lignes épurées, d’une grande métropole tournée vers le monde. »
Au cours de ces dernières années, Xavier Allard a été marqué par la maquette de Reims qui présente une esthétique très forte, grâce notamment à une surprenante « approche colorielle ». Sur les 18 rames commandées par l’agglomération rémoise, neuf sont de couleurs différentes. Conçu avec l’agence de design MBD, ce tramway prend en plus une forme qui rappelle la flûte de champagne. « Le pare-brise concave est taillé en V arrondi: cette découpe rappelle l’objet emblématique de la culture et des traditions de cette région. »
Les villes françaises, grandes et moyennes, ont opté avec frénésie pour les tramways qui redessinent le paysage urbain. « L’avantage de la France par rapport à l’Europe du Nord c’est que, paradoxalement, nous avons démoli nos réseaux de tramways en ville dans les années 1950. Nous avons pu entièrement penser les réseaux en lien avec les tramways, en mettant en œuvre toutes les nouvelles technologies, tandis qu’en Europe du Nord, on s’est contenté d’installer et de rénover des tramways sur des réseaux anciens », s’emballe-t-il. À ses yeux, les réseaux français sont les plus performants techniquement. Plus qu’ailleurs, l’usager français bénéficie en outre de conditions de confort optimales sur des réseaux qui mettent en service des matériels roulants « rapides, modernes et bien intégrés à la ville. »
Le pari de se lancer dans le ferroviaire n’a finalement rien à voir avec la gageure promise par quelques anciens collègues. Xavier Allard a conscience d’avoir joué un rôle précurseur. Avec ses équipes, il se montre exigeant pour « ne pas mettre les designers de demain dans la même situation que nous », car quand eux ont débuté, ils ont eu presque tout à imaginer. Hormis de gros chantiers à venir sur les trams (Moyen-Orient, Amérique du Sud), Xavier Allard travaille maintenant sur les maquettes du nouveau TGV Duplex, avec des marges de manœuvre « extraordinairement limitées ». Ce nouveau challenge « très difficile » le passionne: « Il n’y a aucune souplesse. Les sièges sont, par exemple, vissés sur des platines. Nous n’avons pas de latitude pour intervenir, à moins de revoir tout le système de fixation. » Il aimerait aussi redessiner les fenêtres, qu’il rêve tout en longueur sur l’intégralité de la rame. Il semble bien parti pour apposer, de longues années encore, sa griffe sur le ferroviaire.