Acte III Le Premier ministre a achevé ses consultations sur le projet de loi de décentralisation, désormais soumis au Conseil d’État avant d’être présenté au Conseil des ministres le 10 avril.
Jean-Marc Ayrault le sait, ses relations avec les collectivités territoriales seront la clé du bon déroulement d’un certain nombre de réformes, celle de la taxe d’apprentissage par exemple. Lors du débat qui l’opposait au candidat président Nicolas Sarkozy, François Hollande n’avait-il pas déclaré: « Moi, Président de la République, je ferai un acte de décentralisation, parce que je pense que les collectivités locales ont besoin d’un nouveau souffle, de nouvelles compétences, de nouvelles libertés. »
Côté calendrier, le projet de loi connaît déjà un premier dérapage: prévu pour être présenté à l’automne 2012, il a d’abord été repoussé plusieurs fois et autant de versions ont été diffusées entre-temps, agaçant pas mal les élus locaux dont la consultation était en cours.
Du côté des collectivités, on retrouvera notamment l’Assemblée des départements de France (ADF), l’Association des régions de France (ARF) et les grandes villes. Mais à ce stade, on ne peut mener une réelle concertation avec les associations spécialisées dans les transports comme le Gart (Groupement des autorités responsables des transports). Et c’est bien tout le problème d’une réforme de cette envergure: aucune concertation ne peut être menée sur chaque compétence. Il est donc à craindre que la fameuse coordination des compétences, à laquelle on est très attachée dans le secteur et bien l’impact de la création de métropole sur l’organisation des transports n’aient été suffisamment étudiée à ce stade. Selon des sources proches du dossier, les précisions seront adoptées par amendement gouvernemental, ce qui n’est pas forcément de nature à rassurer sur la cohérence globale de la démarche, du moins en terme de transport.
Second écueil auquel n’échappe pas la réforme: la logique de clarification n’a pas été suffisamment approfondie. Depuis l’abrogation de la réforme précédente en mai 2010, qui ne sera donc jamais entrée en vigueur, la question du “qui fait quoi” ne cesse de se poser dans la mesure où le système repose sur le maintien de la clause de compétence générale. En clair, chaque collectivité peut s’occuper de tout, ou presque, le pire étant, comme dans le cas des gares routières, qu’aucune collectivité ne s’occupe vraiment du dossier.
Côté budget, le ministre est venu expliquer au Comité des finances locales (CFL) que les dotations aux collectivités locales allaient baisser de 3 milliards d’euros sur deux ans, soit deux fois plus que prévu par la loi de programmation des finances publiques tout juste adoptée. En 34 ans d’existence, le CFL n’avait jamais connu une telle désinvolture: l’engagement 54 de campagne de François Hollande, qui promettait un maintien à niveau de ces dotations, est oublié au profit de coupes sombres dans le budget consacré à la décentralisation. Dispositions budgétaires qui collent mal avec l’ambition affichée, et qui surtout, ne sauraient constituer le « nouveau souffle » promis lors de la campagne.
Côté ADF, « les départements sont la collectivité la plus moderne de France: efficaces, réactifs, aménageurs du territoire, solidaires. La démonstration de leur utilité est faite chaque jour », ajoute-t-on. Ce qui est mis en cause, c’est à la fois une disparition programmée de cet échelon historique et une disparition de ses moyens de fonctionnement, surtout au regard de l’exclusion qui frappe la population défavorisée et les territoires ruraux.
Coïncidence, la position du gouvernement commence à être affinée au moment où l’OCDE, dans son rapport sur l’économie française et les pistes pour accroître sa compétitivité, suggère de supprimer les départements et de réduire le nombre de petites communes. « Simplifier la structure des administrations infranationales […] engendrerait des économies d’échelle substantielles », estime l’OCDE. Tout le monde y pense, mais personne n’ose franchir le pas.
L’organisme note également que « les dotations de l’administration centrale, qui représentent environ la moitié des recettes des collectivités territoriales, pourraient être réduites lorsque les gains de productivité réalisables, déterminés sur la base d’analyse comparative, sont importants. » On pourrait ajouter qu’il en irait peut-être de même si la coordination des transports était renforcée, au contraire des pratiques auxquelles on assiste encore: par exemple, telle collectivité qui, étendant son périmètre de transports urbains, en arrive à interdire tout simplement la desserte de ce périmètre par les véhicules du conseil général. Dans le PTU (périmètre de transport urbain), ce sera portes closes, annonce-t-on.
La loi prévoit toutefois de définir des « blocs de compétences », avec un type de collectivité dit « chef de file ». La répartition pourrait être la suivante: développement économique et innovation, formation et orientation professionnelle, transports pour les régions. Et, par exemple, action sociale, handicap et solidarités territoriales pour les départements. Ce n’est sans doute pas la clarification souhaitée, mais c’est déjà un pas de fait. La logique est pourtant imparable, elle repose sur la double référence à une collectivité chef de file et un mécanisme de délégation de compétence bien connue du droit administratif. Elle incombe forcément, hors agglomération, à la région, laquelle hérite d’une compétence ferroviaire renforcée, ce qui la positionne sur de la moyenne distance et pour une mobilité extra-urbaine.
« Les régions deviennent compétentes pour créer ou exploiter des infrastructures de transports de personnes non urbains ferrés ou guidés, d’intérêt régional. » Ces infrastructures s’ajoutent à celles qui relèvent du réseau ferroviaire, dénommées lignes ferroviaires d’intérêt régional. Il y aura donc bien un réseau national et un ensemble de lignes d’intérêt régional. C’est en outre à la région qu’il incombe la compétence d’élaborer un « schéma régional d’intermodalité », preuve qu’une compétence (on la considère nouvelle) doit être créée pour répondre à un besoin spécifique, celui de l’intermodalité et donc des gares routières. La notion revient dans la loi alors qu’elle avait disparu: plus précisément, elle n’était plus traitée que par une ordonnance de 1945. Mais en lieu et place d’un premier mécanisme qui avait été imaginé – un système clair de substitution dans le cadre d’un syndicat régional des transports – c’est à une collectivité de porter à la connaissance des autres son intention de prendre en charge cette compétence pour une ou plusieurs gares routières situées dans son ressort géographique. Cela place théoriquement la région en position de réclamer une compétence dans ce domaine afin de réaliser l’intermodalité qui lui incombe au titre de l’élaboration du schéma. La notion de concertation, qui prévaut en cas de conflit de compétence, participe d’une vision conceptuelle des relations entre collectivités: en cas de désaccord, croit-on que le préfet tranchera? Le projet de loi l’habilite pourtant à désigner la collectivité compétente. On aurait aimé, à ce stade, que la région soit désignée.
Une région pourra ainsi passer « une convention avec une région limitrophe pour l’organisation de services réguliers non urbains desservant exclusivement ces deux régions. En l’absence de schémas régionaux de l’intermodalité, cette convention ne peut avoir pour effet de bouleverser l’équilibre économique de contrats de service public de transport terrestre de personnes existants. » Une liaison qui concerne plus d’une région ne remonte pas forcément à l’État. Comme auparavant, elle demeure d’intérêt régional par conventionnement. En revanche, si les deux régions ne sont pas limitrophes, ou si la liaison excède plus de deux régions, le service concerne un caractère national. Il ne fera pas l’objet d’un appel d’offres, comme pour les services interrégionaux, mais sera traité par autorisation délivrée par l’État.
Alors que la première version du projet de loi de décentralisation faisait faire un grand pas à la coordination des transports et aux gares routières, lesquelles font partie intégrantes de l’intermodalité, manifestement la version actuelle hésite. Il ne s’agit plus, pour les gares routières, de prévoir une compétence de substitution pour la création et la gestion de gares routières au profit d’un syndicat régional, mais d’un mécanisme complexe de concertation entre collectivités. Sur la base du volontariat, et de manière non obligatoire, une collectivité peut ainsi se manifester auprès des autres. En cas de conflit de compétence, le préfet est chargé de désigner la collectivité s’il n’arrive pas à rapprocher les points de vue après saisine de la conférence territoriale instaurée par la loi. Ce mécanisme complexe court le risque de l’inefficacité.
La conférence territoriale aura un rôle important à jouer: la coordination ira plus ou moins loin en fonction des situations locales, et c’est là l’intérêt principal du dispositif.
À condition de ne pas tomber dans l’enlisement.
