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Les gares routières à l’aube d’un nouvel essor

Évolution La France ne brille pas par la qualité de ses gares routières. L’acte III de la décentralisation offre une occasion de rattraper ce retard. La chance de développer l’autocar s’y joue en partie.

Début mars, gare routière de Grenoble. Une partie de la France est encore en vacances, sur les routes des stations de ski de l’Isère. La gare SNCF a déversé ses voyageurs, en correspondance pour Chambéry, Gap ou Villard-de-Lans. Mal en a pris à celui qui n’a pas réservé ses billets sur Internet. Pour atteindre l’un des guichets, il lui faudra vingt bonnes minutes. Pas de distributeur automatique en vue pour accélérer les choses. À ce moment-là, la gare, visiblement, sature. Une jeune femme fait une remarque: l’endroit ne dispose que d’une seule toilette! « Les gares routières pourraient être mieux adaptées! Celle de Grenoble a le mérite d’exister. Elle est bien située, à une centaine de mètres seulement de la gare ferroviaire, et bien coordonnée avec elle: quand les trains arrivent en retard, les cars attendent. Mais nous sommes loin des infrastructures pratiques, fluides et confortables que l’on trouve dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou le Brésil! » Laurence Cour est sensible à la qualité de ces équipements. Et pour cause. Elle est experte juridique à la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV).

Un long combat

Voilà plus de deux ans que la FNTV fait des gares routières un de ses chevaux de bataille et qu’elle passe le message à ce sujet: elles sont le parent pauvre du transport public français, souvent le chaînon manquant. À l’avenir, elles vont nécessiter des investissements.

L’an dernier, La FNTV a lancé un chiffre, comme pour donner l’alerte: moins de 50 % (43 % exactement) seulement des villes préfectures disposent d’une gare routière digne de ce nom, c’est-à-dire à même de faciliter l’utilisation des autocars en relation avec les autres modes de transport. Au passage, la FNTV a énoncé les conditions à remplir: être située hors voirie, bénéficier d’une identification claire sur les plans et la signalétique urbaine, disposer d’une salle d’attente protégeant les voyageurs de la pluie et du froid, dispenser une information claire sur les horaires, l’accès aux quais, aux autres moyens de transport et aux services disponibles en gare. Une définition, somme toute minimale, si l’on considère que les professionnels de l’autocar trouvent leurs références en la matière plutôt à l’étranger, telles les gares aéroports de Birmingham, Londres, Madrid ou Prague, quelques bons exemples existant toutefois déjà en France, à Marseille, Nevers, Brest et Quimper (voir le no 2, spécial “Pôles d’échanges” de sa publication Mobil’Idées).

Une notion administrativement floue

Mais jusqu’ici, en France, si la notion de gare routière est comprise du public, son inscription dans la réalité n’est pas aussi nette. Cela commence dans le droit. L’expression gare routière naît dans l’ordonnance du 24 octobre 1945 (no 45-2497) sur les gares routières de voyageurs. On parle alors « d’installation dont l’objet est de faciliter au public l’usage des services de transports publics automobiles routiers de voyageurs desservant une localité, en liaison éventuelle avec les autres modes de transports. » En 1982, seconde référence, dans la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI): le terme gare routière n’existe pas. Les articles 5 et 14 de la loi, n’évoquent alors que des « infrastructures ». « En termes si généraux qu’ils n’invitent pas à y porter attention », précise Laurence Cour. Ce qui s’est effectivement produit depuis trente ans.

Une définition claire

Seul le règlement européen no 181/2011 du 16 février 2011 donne une définition assez explicite d’une gare d’autocars (coach station): « une station dotée de personnel, dans laquelle, selon l’itinéraire indiqué, il est prévu qu’un service régulier effectue un arrêt pour la montée ou la descente de passagers, et équipée d’installations telles que des comptoirs d’enregistrement, des salles d’attente ou des comptoirs de vente de billets. »

De son tour de France de la réalité des gares routières dans les préfectures, la FNTV retient des manques criants. Les villes d’Agen, Albi, Alençon, Angoulême, Auxerre, Bastia, Blois, Bourg-en-Bresse, Cahors, Carcassonne, Châlons-en-Champagne, Charleville-Mézières, Châteauroux, Chaumont, Foix, Mende, Montauban, Niort, Périgueux, Saint-Lô et Tarbes n’ont pas de gare routière. Pas plus en centre-ville qu’en périphérie. Dans 40 % des gares seulement, là où elles existent, une présence humaine est assurée dans la journée, du premier au dernier mouvement de car, départ ou arrivée. Dans des villes de taille importante comme Avignon, Besançon, Caen, Le Mans, Nantes, Nice ou Tours, il n’existe pas de zone de stationnement en dehors des quais. Plus grave, les gares d’Arras, Aurillac, Besançon, Bordeaux, Laval, Moulins et Nantes n’offrent aucun espace couvert pour faire attendre les voyageurs à l’abri. Un oubli qui s’explique parfois par la proximité de la gare SNCF, mais qui reste regrettable.

Lors de son enquête, la FNTV s’est voulue attentive à la qualité générale du service offert. S’il y avait des bancs pour s’asseoir, des toilettes à proximité, voire une salle de repos, si des services commerciaux étaient proposés (presse, boissons fraîches ou chaudes, de quoi se restaurer – viennoiserie, sandwichs). Le tableau aboutit au constat d’un sous-équipement global transmis au gouvernement. Il s’est transformé, au moment de la préparation de l’acte III de la décentralisation, en une revendication: « Il faut sortir de l’état de misère de ce maillon de la chaîne de l’intermodalité! »

Un déblocage par la décentralisation

Progrès décisif, un chapitre du projet de loi est consacré aux gares routières de voyageurs. «Celui-ci devrait survivre à l’examen par le conseil d’État puis, après la présentation en conseil des ministres, aux travaux du Parlement », estime Laurence Cour. Pour Éric Ritter, secrétaire général de la FNTV, l’important est qu’une autorité organisatrice de transport soit enfin désignée pour prendre en charge les gares routières, car il y aura des dépenses à assumer.

En cours d’élaboration de la loi, le processus de désignation a changé. En novembre, le gouvernement voulait que les collectivités territoriales confient l’organisation des transports publics en général à un syndicat de transport régional. La création et la gestion des gares routières relevaient alors automatiquement de la FNTV. Depuis, le gouvernement a fait un autre choix. Les collectivités choisiront dans chaque région celle d’entre elles qui se chargera des gares routières. Et plus exactement, toute collectivité peut en revendiquer la compétence pendant un an après la promulgation de la loi. Elle obtiendra la charge au bout de six mois, si aucune autre collectivité ne la lui conteste. En cas de candidatures multiples, le préfet demande à toutes les collectivités d’aboutir à la désignation d’une seule responsable. « Il se peut cependant que l’article de loi soit encore réécrit », estime toutefois Laurence Cour, mise au courant de réflexions du conseil d’État. Celui-ci soulèverait des problèmes concernant la gouvernance des gares, leur propriété foncière et leur financement. Néanmoins, l’interlocuteur unique voulu par la profession devrait, selon toute vraisemblance, émerger, « L’espoir d’investissements et de l’édification, enfin, de vraies infrastructures pour développer le transport par car », estime la FNTV.

Gare de Prague, un pôle d’échanges de premier ordre

La gare de Prague est un exemple parfait d’intermodalité. Ouverte en 1948, cette gare ancienne entièrement réaménagée a été privatisée en 1990. Et c’est en 2009 qu’a été mis en place un système de circulation des voyageurs sans aucune barrière, accompagné d’un système de surveillance par agents qui garantissent accessibilité et sécurité. Ce sont près d’une centaine de compagnies de bus, européennes et internationales, et 20 agences de voyage qui permettent d’assurer 430 trajets pour 20 000 voyageurs chaque jour. Sur l’année, 7 millions de passagers en moyenne passent par le pôle d’échange, soit l’équivalent de l’aéroport de Prague. Cette gare se situe à 5 minutes du centre-ville, en connexion directe avec l’aéroport, la gare ferroviaire principale, les gares régionales, les lignes de métro, de bus, de tram, les taxis, les vélos et des parkings. L’infrastructure fait pâlir d’envie les autocaristes français avec ses trois plateformes dont l’une compte 26 quais. Les autres sont dédiées au stationnement des cars de courtes (3 heures maximum) ou de longues durées.

D’autres exemples en Europe inspirent les représentants du transport de voyageurs en France. À Madrid, il existe trois gares routières. La Estación Sur dessert la quasi-totalité de la Péninsule ibérique et plusieurs villes en Europe et au Maroc. L’Espagne, qui compte une cinquantaine de gares routières, n’enregistre pas moins de 38 lignes nationales et 28 internationales. Au Royaume-Uni, la gare de Birmingham et la Victoria Coach Station, sise au coeur de Londres et gérée par la société Transport for London, accueillent respectivement 3 et 12 millions de voyageurs par an. En 2011, 205 000 mouvements de cars ont été recensés dans cette gare du centre-ville de la capitale britannique. Ces politiques volontaristes ne peuvent se faire qu’en instituant « un réel chef de file qui met tous les acteurs autour de la table » pour que « nos gares deviennent de vrais espaces d’échange entre les différents modes de transport ». À l’image de Prague, Madrid ou Londres. C’est ce que rappelait Rachel Picard, la nouvelle directrice de la filiale de la SNCF Gares et connexions, lors du dernier congrès de la FNTV.

Xavier Renard

« Améliorer le niveau de service »

Faut-il mettre l’accent sur les gares routières en France, en s’inspirant des modèles européens? Christophe Pasquier, directeur général d’Effia Synergies, filiale de Keolis et de la SNCF, qui gère des gares routières telles qu’Aix-en-Provence, Tours ou le pôle d’échange multimodal de Dijon, estime qu’en France, il y a en effet besoin « d’investir davantage dans les gares routières », lesquelles sont souvent gérées avec plus ou moins de bonheur par des opérateurs locaux. « Le service n’est pas toujours à la hauteur de ce que nous devrions faire. » C’est la raison pour laquelle, la société qui a réalisé un chiffre d’affaires de 44 millions d’euros l’an dernier, en hausse de 15 % (grâce aux centrales d’appel de TAD, à la billettique et à la gestion des gares routières), ne se lance pas tous azimuts. Ses conditions? « Quand il y a des appels d’offres pour de petites gares, sans grande ambition, on laisse passer notre tour. Nous allons là où il y a une approche qualitative, où le niveau de services est important. »

Il constate que de nombreuses infrastructures sont laissées en « déshérence » et présentent des salles d’attente « défraîchies, et mal adaptées ». Selon lui, à l’inverse des Britanniques ou des Espagnols, la culture française est axée avant tout sur le ferroviaire. Les gares routières ont donc été adaptées aux transports quotidiens et non aux longs voyages interrégionaux, nationaux, voire internationaux, qui nécessitent une autre « ambition en termes de services ». Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’il faille « suivre ce modèle même si les lignes nationales commencent à se développer dans l’Hexagone. »

L’éternel problème de la gouvernance

Il n’en demeure pas mois qu’à l’instar de la FNTV ou de l’ensemble des acteurs du transport, Christophe Pasquier note que le problème de la « gouvernance » se pose sérieusement en France. Dans certaines gares routières, « l’empilement des agences commerciales » provoque « une déperdition de l’argent public » qu’il conviendrait de corriger en allant « vers de vrais pôles d’échanges qui mettraient en commun des infrastructures pour les différents opérateurs, de l’urbain, de l’interurbain, du ferroviaire », à l’image de ce qui a été fait à Dijon. Dans la ville du maire socialiste François Rebsamen, Effia Synergies est soumis à un seul donneur d’ordres: Gares et connexions. « C’est un modèle possible, mais il y en a d’autres », assure le directeur général d’Effia Synergies qui aimerait que les collectivités locales fassent davantage de « groupements de commandes ». La création de syndicats mixtes pourrait être une piste. Cela permettrait en ce sens « d’avoir une vision commune ». Il verrait aussi d’un bon œil l’émergence de « maisons de la mobilité », à l’image du projet qui se profile à Metz qui a pour dessein de créer une agence commerciale d’envergure réunissant les acteurs du transport urbain, interurbain et le TER. Pour lui, la priorité est d’améliorer les conditions d’accueil et d’attente des voyageurs pour attirer des clientèles « captives ». Il est convaincu qu’une gare routière « bien gérée » peut être un élément fédérateur mettant en valeur l’ensemble des réseaux de transport.

En dépit de ce constat, il observe un frémissement de la demande des collectivités territoriales, avec néanmoins « un décalage entre les attentes et ce qu’elles sont prêtes à investir. »

Xavier Renard

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Auteur

  • Hubert Heulot
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