Décentralisation Le découpage en trois volets du projet de loi sur la décentralisation reporte à on ne sait quand l’examen des questions de transport public. La région reste la coordinatrice et pourra créer de nouvelles lignes de car interrégionales. Mais les agglomérations revendiquent des droits sur leurs étoiles ferroviaires. Le bras de fer avec les régions pourrait commencer dans les semaines à venir, à propos de la création d’un éventuel versement transport régional dans le cadre de la préparation du budget 2014.
Depuis le 10 avril, la proposition du gouvernement est désormais sur la table. L’acte III de la décentralisation – après les lois Deferre en 1982-1983 et la loi constitutionnelle de 2003 introduisant la notion de chef de file et les expérimentations – a été adopté au Conseil des ministres du 10 avril après examen par le Conseil d’État. Une lecture par le Sénat aura donc lieu en mai et le vote du premier volet de cette loi par l’Assemblée nationale en octobre ou novembre.
Le texte affiche l’ambition « d’identifier clairement les échelons pertinents de l’action publique. » Une réponse au millefeuille, souvent dénoncé, d’administrations locales différentes qui s’évertuent à traiter les mêmes questions sur un même territoire, parfois en plus de l’État.
Tel qu’il est présenté, le projet de loi est loin d’octroyer à chaque collectivité des compétences en propre comme certains l’avaient espéré. Cela aurait aidé à une lisibilité de l’action de chaque collectivité locale par le grand public, et par là même favorisé son contrôle par le citoyen. Mais non, le choix du gouvernement, et en tout premier lieu de Marylise Lebranchu la ministre de la Réforme de l’État est celui d’une décentralisation « à la carte », adaptable par chaque région. L’une des premières dispositions du texte consiste d’abord à remettre en selle, dès l’article 2, la clause de compétence générale qui permet à chaque collectivité de s’occuper de tout. Elle avait disparu dans la réforme des collectivités territoriales proposée en 2010 par Nicolas Sarkozy. « Il y aura clarification », assure néanmoins Marylise Lebranchu.
La répartition du travail dans chaque région se fera en respectant le principe de « libre coordination des interventions des collectivités territoriales » inscrit dans l’article 1er de la loi qui pose que les collectivités doivent s’entendre sur qui fait quoi. Le partage local des compétences est déterminé en « conférence territoriale de l’action publique » (CTPA), instance qui réunira les collectivités pour définir une « organisation partenariale des modalités d’exercice des compétences sur le territoire de la région. »
La loi, dans son article 3, désigne les « chefs de file » de certaines compétences: à la région le développement économique et l’organisation des transports; au département l’action sociale et l’autonomie des personnes, le tourisme, l’aménagement numérique et la solidarité des territoires; à la commune et aux intercommunalités, la qualité de l’air et la mobilité durable.
Mais la notion de chef de file restant floue en droit, la CTPA, présidée par le président du conseil régional tranchera. « Au lieu de procéder à une répartition mécanique des compétences par le haut, nous prenons en compte la réalité des territoires qui n’est pas la même partout. La présence d’une métropole ou, au contraire, de départements très ruraux où le chef-lieu est une petite ville, change les choses. Elle aura des conséquences sur l’organisation du développement économique, des transports scolaires ou du tourisme », a expliqué le Premier ministre Jean-Marc Ayrault dans une interview à La Gazette des Communes. C’est dans la CTPA, que les choix et les « mutualisations » entre collectivités permettront, espère le gouvernement, de faire des économies.
Cette CTPA représente pour certains une sorte de « nouvel échelon » de décentralisation. Présidée par le président du conseil régional, les collectivités devront s’y entendre et traduire cet accord en un « pacte de gouvernance territoriale ». Si elles ne le signent pas, elles seront privées des dotations financières de l’État.
Censée permettre d’accorder les intérêts divergents des collectivités, la CTPA est perçue comme « une usine à gaz » par l’association des maires ruraux. Elle fait aussi grincer les régions. « Une nouvelle strate qui risque de complexifier l’organisation administrative et d’accroître les tensions entre les collectivités », a réagi l’Association des régions de France (ARF). Dans leur compétence économique, les régions craignent la concurrence des grandes agglomérations. Elles réclament donc une compétence économique plus large. « La loi doit mieux conforter les régions en leur transférant le pilotage plein et entier des politiques économiques pour porter l’emploi, le développement économique, l’innovation, pour accompagner la croissance des entreprises, la réindustrialisation des territoires. » L’ARF craint un « émiettement des compétences » économiques sur les territoires. Si les régions sont chargées d’élaborer des stratégies industrielles et d’accompagner les entreprises, le développement économique peut aussi être revendiqué par les grandes agglomérations sur leur territoire.
Ces réticences des uns et des autres ont été accentuées par le découpage de la loi en trois volets, annoncé par Jean-Marc Ayrault une semaine avant sa présentation en conseil des ministres.
Le premier texte crée les métropoles, dans le droit fil de la précédente réforme de Nicolas Sarkozy. C’est selon Jean-Marc Ayrault, « la grande innovation […] dans les plus grandes agglomérations, celles qui entraînent leurs territoires. » Une nouvelle place est ainsi donnée au « fait urbain » en France. Le texte de loi accorde davantage de pouvoirs à 13 grandes villes qui deviennent des métropoles (plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine de 500 000 habitants). Trois d’entre elles décrochent un statut spécial. D’abord Paris. « La France a besoin d’une grande métropole mondiale à Paris pour traiter la question du logement et contribuer au rayonnement mondial de la capitale. Il faut lui donner tous les moyens. Ce qui ne signifie pas que le réseau de transports du nouveau Grand Paris se fera avec des financements nationaux. Il s’appuiera sur des financements régionaux », précise Jean-Marc Ayrault. Ensuite, il y a Lyon dont la communauté urbaine va absorber le département (et ses compétences). L’ensemble sera fonctionnel dès 2015. « La France à une métropole mondiale, Paris, et une métropole européenne, Lyon », a expliqué Jean-Marc Ayrault. Troisièmement, est créée la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Là aussi, Jean-Marc Ayrault a apporté des éclaircissements, toujours dans La Gazette des Communes: « Ce territoire a de formidables atouts pour devenir une grande métropole euroméditerranéenne. La capitale européenne de la culture révèle toutes ses potentialités. Sur ce territoire, nous dénombrons onze autorités organisatrices de transports. Je veux bien que chacun fasse un tramway ici, un réseau en site propre là… Mais si l’ensemble n’est pas connecté, comment fait-on? »
Le nouveau « fait urbain » français s’incarne encore davantage dans la possibilité, pour toutes les métropoles, de prétendre aux compétences des autres collectivités à travers la procédure d’« appel à compétence ». Dans l’article 32 de la loi, la formulation est la suivante: « Le conseil régional peut, à son initiative ou saisi d’une demande en ce sens du conseil d’une métropole, transférer à celle-ci, dans les limites de son territoire, les compétences suivantes: […]. »
La métropole, sur son territoire, peut ainsi prétendre aux compétences en matière de développement économiques de la région, ou aux compétences en matière sociale du département. A priori, ce n’est pas valable pour la compétence ferroviaire de la région qui lui reste dévolue en propre.
L’Association des communautés urbaines de France (Acuf) a plaidé pour qu’une métropole puisse s’emparer de la compétence ferroviaire, si d’aventure la région n’en faisait pas assez en la matière sur son territoire, par exemple pour ranimer les étoiles ferroviaires susceptibles de desservir les zones périurbaines. L’Acuf voulait inscrire ce principe de « subsidiarité » dans la loi, autorisant d’emblée les métropoles à « faire à la place » de la région, si elles le désiraient. Le gouvernement leur a dit non. A priori le ferroviaire ne peut pas faire l’objet d’un appel à compétence des métropoles. Pour l’Association des régions de France, il est d’ailleurs « inimaginable de diviser la compétence ferroviaire ».
Les métropoles en revanche devraient conquérir de nouveaux droits dans la gestion et la dépénalisation du stationnement pour en recueillir les produits financiers. C’est une des grandes questions qui reste à trancher par le Parlement. Dans le projet de loi, le statu quo est préservé. Le stationnement reste de la compétence des maires qui peuvent la déléguer à la future métropole (actuellement communauté urbaine ou d’agglomération). Celle-ci peut la refuser si tous, sur son territoire, ne le font pas. L’Acuf suggère une voie moyenne: que les métropoles ne récupèrent cette gestion du stationnement que dans des « zones d’intérêt métropolitain », quartiers d’habitat dense ou le long des lignes de transport.
Les métropoles se voient autoriser à créer les polices spéciales de circulation, de stationnement et d’attribution des stationnements aux taxis. Toutes ces questions vont arriver très vite en discussion puisqu’elles font partie du premier volet du projet de loi examiné dès le mois de mai par le Sénat. Il pourrait être adopté définitivement par l’Assemblée en octobre ou novembre.
Le deuxième volet commencera à être examiné dans le courant de l’année. Il traitera des régions, plus exactement, de la « mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et la promotion de l’égalité des territoires. » En fait, essentiellement de leur compétence économique en matière de formation professionnelle et d’apprentissage. Mais les compétences régionales de transport ne sont présentes que dans le troisième texte. Aucune date d’examen n’a été donnée par le gouvernement. Tout le monde s’accorde pour que celui-ci soit reporté après les prochaines élections municipales.
Michel Seyt, président de la FNTV ne se déclare pas trop inquiet de ce report. « Dans l’effervescence parlementaire actuelle, j’ai du mal à savoir quelles conséquences la nouvelle loi aura sur nos entreprises. Aujourd’hui, nous dépendons essentiellement du département. Demain, très probablement, davantage de la région. Peut-être, si les élus régionaux vont au bout de leurs compétences, qu’ils auront les moyens de mieux prendre en compte le mode autocar alors que, jusqu’ici, la plus grande part des moyens financiers du TER est allée au mode ferroviaire. D’autant que les contraintes financières pèsent encore plus lourd que ce que j’avais imaginé il y a encore deux ans. » Seul début de préoccupation: des contradictions qui pourraient apparaître, au fil des amendements parlementaires, entre les trois volets de la loi sur les questions de transport. Même si l’essentiel se trouve dans le troisième volet, il en existe aussi dans le premier, par exemple dans la désignation des chefs de file.
Le relatif optimisme de Michel Seyt s’appuie sur un certain classicisme dans l’organisation des transports qui se dégage de la loi. Dans l’article 8, chaque collectivité conserve les compétences définies par la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) de 1983. Mais la région est chargée d’élaborer « le schéma pour définir les principes d’organisation de l’intermodalité entre les différents modes de déplacements et coordonner les services de transport public et de mobilité », en concertation avec les autres autorités organisatrices de transport.
Ce schéma régional de l’intermodalité doit organiser la complémentarité des réseaux, des services de transport, l’aménagement des correspondances, la cohérence des tarifications, l’information des voyageurs. Il est voté par la région et s’impose à tous. Mais celle-ci doit réunir deux majorités qualifiées sur son projet. Celle des départements: la région doit obtenir leur avis favorable en nombre suffisant pour représenter plus de la moitié de la population régionale. Celle des villes (les autorités organisatrices de la mobilité urbaine, les AOTU): la région doit aussi décrocher leur avis favorable en nombre suffisant pour représenter la moitié de leur population globale. Ce nouveau schéma régional a des vertus opérationnelles. Il ne pourra pas être bloqué par un, voire deux, départements peu peuplés, ou par un petit nombre de villes. Il ne pourra pas non plus être imposé par la région. En dernière analyse, le préfet doit l’approuver au nom de l’État.
La définition de ces deux majorités qualifiées a fait l’objet de discussions serrées parmi les associations d’élus (des communes, des départements, des intercommunalités, des grandes communautés urbaines). Les départements ont proposé une voie par autorité organisatrice de manière à contraindre davantage les régions à tenir compte de leurs avis. Une hypothèse aussi bien rejetée par les régions que par les villes. Le gouvernement s’en tient à « faire confiance à l’intelligence territoriale ». La région aura l’avantage de « tenir la plume » mais sans guère plus de pouvoirs. À elle d’aller le plus loin possible dans la concertation avec les autres collectivités autour d’un projet fédérateur. Dans les débats qui vont s’ouvrir au Parlement, le gouvernement désire que la région obtienne l’appui d’un « nombre raisonnable d’AOTU ». C’est là, sans doute, une des marges de manœuvre que Jean-Marc Ayrault veut laisser aux sénateurs et aux députés pour amender le texte. Sur cette organisation des transports publics, la philosophie du gouvernement a bien évolué depuis l’été dernier. Il avait comme modèle le Syndicat des transports de l’Île-de-France (Stif). Et c’est à cette sorte de syndicat de transport régional, façon loi SRU, qu’il voulait que les collectivités délèguent la responsabilité des transports. « Mais quand on interroge les élus de la région parisienne, on ne peut pas dire qu’il assure le bonheur de tous », raconte un observateur. En passant d’un syndicat à un simple schéma avec des règles de majorité contraignantes pour la région, l’outil devient beaucoup plus souple, d’autant qu’il devra être revu tous les cinq ans.
Ce dispositif a recueilli l’assentiment de toutes les associations d’élus locaux, sauf celle des départements. Claudy Lebreton, son président, s’est déclaré plus généralement inquiet du projet de loi: « S’agissant des départements, tout indique que leur existence même n’est pas remise en cause… Pour autant, les départements et leurs élus ressentent comme une forme de mépris de la part du gouvernement qui semble les avoir sérieusement oubliés. »
De son côté, le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) est plutôt satisfait. Il a beaucoup milité pour la coordination des transports à l’échelon régional et pour un « chef de file », chargé d’élaborer un schéma directeur d’intermodalité régionale (SDIR). Le projet de loi lui donne satisfaction, même s’il lui reste quelques interrogations, notamment sur l’association des citoyens.
En solo cette fois, la région voit par ailleurs ses compétences renforcées en matière d’exploitation ferroviaire (article 5). Les régions pourront rouvrir des lignes fermées au transport de voyageurs. Elles pourront se voir transférer la propriété du domaine public ferroviaire national d’intérêt régional, autrement dit les emprises ferroviaires sur leur territoire (article 6). Mais leur a été refusée la liberté qu’elles demandaient de fixer librement les tarifs du TER. Autre nouveauté, elles pourront créer des lignes d’autocar interrégionales (article 7), alors que jusqu’ici seul l’État pouvait le faire, soit par simple convention entre deux régions limitrophes, soit, à partir de trois régions ou entre deux régions non limitrophes, par un système d’autorisation de l’État après consultation des régions traversées.
La Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) a aussi réussi à imposer qu’une autorité organisatrice de transport (AOT) soit désignée comme responsable des gares routières. « C’est, pour nous, le grand progrès du projet de loi », estime Laurence Cour, responsable juridique de la FNTV. Mais là aussi, la décision est à prendre région par région. Le principe général est: prend qui veut. S’il y a conflit ou absence de volontaire, la question se règle en conférence des collectivités, sous l’autorité du préfet. Mais tout est loin d’être réglé à ce propos. Le Conseil d’État avait des réserves sur les questions de gouvernance, de mode de désignation, de propriété foncière, de voirie et même de financement que pose l’attribution aléatoire de ces infrastructures à une collectivité ou à une autre.
Les questions de financement en général sont renvoyées à la loi de finances 2014 dont la préparation débute dans les semaines à venir, et en particulier celle de l’évolution du versement transport. Interstitiel? Régional? Dans tous les cas, les régions réclament une ressource pérenne, dynamique, pour développer l’offre ferroviaire « au bénéfice essentiel des grandes agglomérations pour leurs zones périurbaines, mais sans porter ombrage au déplacement d’une grande ville à l’autre, lui aussi, fondamental. » Puisqu’il s’agit de trouver de nouvelles sources de financement pour les AOT qui ne bénéficient pas de versement transport, autant aborder cette question par le biais de leurs ressources propres plutôt que par celui du transport, a considéré le gouvernement. La nouvelle « autonomie fiscale » des régions est en chemin, et des ressources nouvelles pour les départements sont à venir. Au passage, il n’est plus sûr du tout que le transport dispose d’une ressource financière fléchée. Pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.
