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Lutte contre la fraude: un fer de lance

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Lutte contre la fraude: un fer de lance

Crédit photo Diane-Isabelle Lautrédou, Shahinez Benabed

Les réponses des opérateurs S’il semble difficile de sanctionner les incivilités au cas par cas, c’est bien souvent à travers la fraude que les opérateurs sévissent. Néanmoins, le nombre croissant d’événements rencontrés sur les réseaux a amené les opérateurs à se réorganiser en interne, à remettre à plat leurs relations avec les forces de l’ordre et autres acteurs de la prévention, mais aussi à investir massivement dans des campagnes de sensibilisation.

À défaut de punir chaque fauteur d’incivilité, c’est plus généralement par le biais de la lutte contre la fraude que les opérateurs tentent de rappeler leurs voyageurs à l’ordre. Une fraude dont le montant peut parfois s’élever à plusieurs centaines de milliers d’euros par an.

À la fin du mois d’août, Frédéric Cuvillier, ministre des Transports, annonçait d’ailleurs un manque à gagner de 300 millions d’euros par an pour la SNCF, 100 millions d’euros pour la RATP, et constatait une relative stabilité de ces chiffres d’une année sur l’autre. Des propos qui avaient fait bondir Pierre Mongin, président de la RATP, lors de sa conférence de presse de rentrée au cours de laquelle il avait réclamé une hausse « sensible » du montant des amendes pour les récidivistes, considérant que « la fraude constitue un premier pas vers l’incivilité. » Alors, pour la traquer, à chacun sa méthode.

Des agents spécialement formés

Même s’il n’évalue pas le coût annuel de la fraude au niveau national, mais réseau par réseau, et enregistre des taux de fraude oscillant dans les grandes villes entre 2,5 % à 15 %, Keolis a choisi de placer ses agents de contrôle au cœur de sa stratégie. Objectif: désamorcer l’événement. « Lorsque nous prenons des fraudeurs en flagrant délit, nous leur proposons un abonnement de deux mois dont le prix équivaut à celui d’une amende. Cela permet de dédramatiser la situation dans la mesure où le fraudeur ne sera pas “puni” et repartira avec un service en poche », souligne Jean-Yves Topin, directeur de la sécurité de Keolis.

Pour optimiser cette chasse au resquilleur sur le terrain, les méthodes de contrôle de l’entreprise varient: « tantôt nos agents arborent une tenue, tantôt ils opèrent en civil, tantôt nos usagers sont prévenus à l’avance, tantôt nous les surprenons. » Du personnel de terrain dont les attributions ont évolué ces dernières années: « Nous avons modifié l’intitulé de leur poste en agent commercial de contrôle et avons articulé leur formation autour de cette notion. Lors des stages, ils apprennent ainsi à lâcher prise, révisent le cadre légal, sont mis en situation, etc., pendant dix jours », explique le directeur. Seul travers à éviter pour que ce dispositif produise ses effets, la perte de repère: « Nous ne devons pas nous tromper de rôle et éviter à tout prix le mélange des genres. Notre mission est claire et consiste à apporter une réponse commerciale à nos clients », précise Jean-Yves Topin.

De son côté, la régie des transports de Marseille (RTM) a choisi de jouer la carte de la tolérance zéro. « Notre volonté est de maintenir la pression au quotidien pour éviter toute remontée du nombre d’événements. Pas d’incident sans réaction! Chacun d’entre eux fait systématiquement l’objet d’une procédure. Nous enregistrons environ 1 500 incidents par an engendrant un nombre équivalent de plaintes », déclare Pierre Reboud, directeur général de la RTM. Un réflexe rendu possible grâce à une organisation interne adaptée. « Nous prenons en charge les frais de représentation en justice de nos agents ayant déposé plainte. » Si le personnel de contrôle est le pivot du dispositif de Keolis, à la RTM, ce sont les conducteurs qui sont en première ligne. Une position qui les oblige à tenir à jour leurs connaissances relatives aux « situations de tension que nous réactualisons régulièrement », indique Pierre Reboud.

Même topo à Paris, puisque la RATP prend également grand soin de la formation de ces collaborateurs de terrain. « L’an dernier, 8 200 agents ont été formés à apprendre à garder leur calme et à gérer leurs propres émotions, ainsi que leur stress », indique Isabelle Ockrent, directrice de la communication et de la marque Groupe RATP.

Un arsenal dissuasif

À Paris comme à Marseille, incivilités ou fraudes sont tracées en direct. « Notre système de vidéoprotection compte 3 800 caméras et devrait dépasser le seuil de 4 000 caméras d’ici l’an prochain. Grâce à elles, nous couvrons en temps réel tout le réseau métro et nos sites. En parallèle, nous avons un outil d’investigation, en temps différé, dans nos bus et rames de tramway. Notre prochain challenge consiste à équiper les rames de métro et à pouvoir visionner en temps réel la vidéo dans les bus », prévoit Pierre Reboud.

De son côté, la RATP s’appuie sur 8 600 caméras dans les couloirs, sur les quais des stations de métro et des gares de RER, mais aussi sur 17 000 caméras embarquées dans les bus. Un recours à la vidéosurveillance qui semble avoir le vent en poupe depuis quelques années et qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des services de police. À elle seule, la RATP avoue avoir mis à la disposition des forces de l’ordre 6 196 vidéos en 2012. À Marseille, le dispositif a débouché sur un « taux d’élucidation des incidents de 65 % », observe Pierre Reboud.

Par répercussion, ce principe d’échange d’informations a donc donné la possibilité aux opérateurs de négocier la présence de forces de l’ordre au sein de leurs réseaux. « La mise en place de la vidéoprotection à considérablement changé nos relations avec les forces de l’ordre et la justice. En effet, la police y trouve une source précieuse d’informations et nous renvoie l’ascenseur dans le traitement de nos affaires », assure Pierre Reboud. Un premier rapprochement qui a déjà inspiré une autre initiative. « Chaque jour, notre poste de contrôle (PC) reçoit une vingtaine d’appels de nos conducteurs. Nous venons de mettre au point une variante pour les appels de détresse qui parviennent à la fois à notre PC et à celui de la police. Cela nous permet d’intervenir encore plus rapidement et efficacement. »

Du côté de la justice, les relations se sont également réchauffées. « Un vice-procureur en charge de notre réseau reçoit toutes les personnes interpellées, y compris pour un simple rappel à la loi », explique Pierre Reboud. Pour ce qui est des sanctions, la récidive fait l’objet d’un traitement plus musclé. « Pour un mineur récidiviste, la dégradation d’un siège dans l’un de nos bus a entraîné récemment huit jours d’emprisonnement ferme et l’indemnisation de la RTM », illustre Pierre Reboud.

Pour les incivilités ou actes de malveillance sur la voirie, la régie phocéenne a appliqué la même recette, à quelques ingrédients près. « En mai 2012, nous avons, avec la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, déployé un dispositif de vidéoverbalisation qui donne des résultats probants et que nous allons renforcer. Il complète utilement la répression faite directement sur le terrain, tout en évitant les risques d’incidents pour nos agents assermentés », note Pierre Reboud. De là à imaginer l’intégration d’unité de sécurisation du réseau, à l’instar de la surveillance générale (Suge) de la SNCF composée de 4 000 agents, la réponse de la régie est sans appel: « nous ne voulons pas créer de service interne de sécurité, ce n’est pas notre métier. Sur ce sujet, notre position est celle de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) et de tous les réseaux analogues au nôtre. En revanche, nous discutons avec notre autorité organisatrice sur la possibilité de détachement d’agents de la police municipale ou communautaire », envisage Pierre Reboud.

Pour ceux, comme la RATP qui dispose de sa propre unité de sécurisation d’environ 1 000 collaborateurs, le Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR), aussi appelé Sûreté RATP, le dialogue avec la police est loin d’être anecdotique. « Nous utilisons les mêmes systèmes de veille et leur transmettons certaines données. Lorsqu’un incident se produit, c’est l’équipe la plus proche qui interviendra, peu importe qu’elle soit de la RATP ou de la police. Des rondes communes sont même effectuées régulièrement. Bien sûr, les rôles sont différents, si le fait commis est plus grave, c’est évidemment la police qui s’en charge », affirme Isabelle Ockrent.

Haro sur la prévention

Dernier volet du dispositif de lutte contre l’incivilité: la prévention. Sur ce terrain, les gestionnaires font généralement le pari des campagnes de sensibilisation. Que ce soit par le biais du traditionnel affichage ou à l’aide d’opérations spécifiques, les opérateurs se doivent d’être sur tous les fronts en même temps pour toucher un maximum de personnes, et ce, dès leur jeune âge. « Pour lutter contre les incivilités, nous avons mis en place un dispositif de communication (réseaux sociaux, sites internet, affiches dans les stations, autocollants, etc.). Nous avons proposé 21 animations autour de cette problématique, et élaboré un kit pédagogique destiné aux professeurs en collaboration avec le rectorat de Paris pour que cet outil corresponde le plus possible aux besoins des enseignants. En parallèle, à chaque nouvelle campagne, nous proposons des activités ludiques autour de l’incivilité. Enfin, nous organisons également les mercredis du rugby, établissant un parallèle entre les règles sportives et la civilité. En 2012, nous avons ainsi sensibilisé 50 000 personnes et 30 000 jeunes au premier semestre 2013 », détaille Isabelle Ockrent.

Depuis quelques années, le Web s’est imposé comme un canal de diffusion à part entière. Encore faut-il trouver le ton qui attire les internautes. « Le choix de réaliser des campagnes décalées découle d’une question que nous nous sommes posés: comment parler de ce sujet sans faire la morale? Nous avons donc choisi de jouer la carte de l’humour et notre ménagerie a eu un grand succès! Le site “cher voisin 2 transport”, que nous avons mis en place lors de la deuxième campagne, se voulait drôle et cela a plu, car nous avons recensé 70 000 visiteurs sur le site. Cette fenêtre de tir était donc appropriée », estime Isabelle Ockrent.

Pour mesurer les retombées de ces initiatives, les opérateurs déploient des moyens parfois dignes de publicistes chevronnés. « Pour évaluer les impacts de notre dernière campagne de prévention, nous avons effectué des post-tests auprès de 800 personnes. Conclusion: 85 % d’entre eux l’ont aimé et 70 % d’entre eux ont avoué avoir réfléchi à leurs propres incivilités, soit 7 points de plus par rapport à l’année précédente. » Coût total de l’opération pour la RATP: 1,2 million d’euros. Mais tous les réseaux ne disposent pas d’un tel budget. Cela ne les empêche pas d’occuper le terrain. « Nous nous attachons à mener des actions de prévention au sein des établissements scolaires, à nouer un dialogue régulier avec les travailleurs sociaux, ou à déployer des moyens spécifiques lors de manifestations engendrant un flux important de voyageurs. Nous déployons aussi des campagnes d’affichage contre les incivilités et espérons qu’à force de répétition, le message finisse par être entendu », déclare Pierre Reboud.

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  • Diane-Isabelle Lautrédou, Shahinez Benabed
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