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L’Autorité de la concurrence appelle à plus de souplesse

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Crédit photo Shahinez Benabed

Transport interrégional par autocar Dans le cadre d’une enquête sectorielle sur l’avenir du transport longue distance en autocar, l’organisme administratif a publié un document le 13 novembre 2013. Il y expose ses premières recommandations pour développer ce mode de déplacement encore trop peu répandu en France.

Malgré ses nombreux avantages, le transport routier interrégional de voyageurs peine à se développer dans l’Hexagone, notam­ment en raison de contraintes réglementaires. Tel est le constat établi par l’Autorité de la concurrence dans un document intitulé Quel avenir pour le transport longue distance par autocar en France? Publié le 13 novembre 2013, il a été soumis à consultation publique jusqu’au 24 décembre dernier. Ce texte met en lumière les principaux obstacles au développement d’un tel service et les premières recommandations pour y remédier. Il s’inscrit dans le cadre d’une large enquête sectorielle sur le fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier en autocar. Cette enquête est actuellement menée par l’organisme administratif, les conclusions finales devraient être connues au premier trimestre 2014.

Un service qui peine à s’imposer malgré ses atouts

Le premier constat que dresse l’Autorité de la concurrence est le suivant: en France, le transport longue distance(1) en autocar ne joue pas encore le rôle qu’il devrait parmi les modes de transports utilisés par les usagers. En effet, selon une étude(2) réalisée en 2008, « sur 358 millions de voyages longue distance réalisés annuellement (y compris donc les voyages à l’international), 75,2 % étaient réalisés en voiture, 17 % en train, 5,8 % en avion et 2 % en autocar, la part modale de l’autocar étant en net recul (elle était de 4,4 % en 1994). Une étude plus récente indique quant à elle une part modale du transport régulier longue distance par autocar en nombre de voyageurs/kilomètres de 1 % en 2011 », déplore l’Autorité de la concurrence.

En revanche, dans d’autres pays européens, comme le Royaume-Uni ou la Suède, l’offre de service de transport par autocar représente 4 à 5 % du nombre de voyages longue distance.

Une autre faiblesse réside dans le fait que peu d’acteurs du transport se sont lancés dans l’aventure de la longue distance. Parmi eux, on trouve « deux opérateurs actuellement présents en France sur le marché du transport interrégional par autocar. L’un, Eurolines, est l’opérateur historique du marché du transport international par autocar; le second, iDBUS, est un nouvel entrant sur ce marché qui appartient à la SNCF, opérateur historique du marché du transport ferroviaire », indique le document. À cela s’ajoutent « deux acteurs qui offrent des services internationaux de transport par autocar desservant la France, susceptibles d’être complétés de services accessoires de cabotage: Stagecoach Group et Les Courriers Rhodaniens. »

Et pourtant, le développement de l’offre de transport par autocar apporterait des avantages non négligeables. Au niveau des usagers, il permettrait de proposer des prix plus attractifs et plus stables que le train ou la voiture. « Par exemple, l’Autorité a pu relever, sur les 10 liaisons les plus fréquentées par les usagers du transport en autocar, qu’en moyenne les billets de train TGV sont deux fois plus chers que les billets d’autocar », indique le document. De même, « actuellement, on estime que 20 à 30 % des usagers des lignes interrégionales desservies par autocar n’auraient pas voyagé en l’absence d’une telle offre. »

Au niveau des collectivités, le développement d’un tel service pourrait permettre de créer des emplois. De plus, il aurait un impact bénéfique sur l’environnement: « Un autocar émet en outre moins de GES (gaz à effet de serre) au voyageur/km qu’un train TGV ou un train », explique l’Autorité.

Une réglementation trop restrictive

Mais alors, au vu de ces avantages, comment expliquer le faible développement de ce mode de transport? Pour l’Autorité de la concurrence, pas de doute, la principale cause à cela réside principalement dans une réglementation française trop restrictive à l’égard de ce type de service qui n’a pas permis au marché du transport interrégional d’atteindre sa vitesse de croisière.

Pour rappel, la législation actuelle en France prévoit que les services de transport interrégional en autocar ne peuvent être mis en place que dans deux cas de figure. Le premier, lorsqu’il s’agit d’un transport dit conventionné, c’est-à-dire lorsqu’un accord existe entre une autorité organisatrice et un transporteur. Deuxième possibilité, celle du cabotage qui consiste à autoriser, sur des trajets internationaux en autocar, plusieurs dessertes dans un même pays. Cette possibilité a été introduite en France en 2011, en application de plusieurs règlements européens dont celui du 21 octobre 2009. Il prévoit notamment que les services de transport international par autocar peuvent fournir des services de cabotage, à savoir « la prise en charge et la dépose de voyageurs dans un même État membre au cours d’un service régulier international, […] pour autant que ladite prise en charge et dépose ne constitue pas l’objet principal de ce service. En complément de ce règlement, la loi du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires donne quant à elle la « possibilité aux autocars d’effectuer des transports de personnes entre deux points du territoire national, dans le cadre de services internationaux réguliers », indique l’Autorité de la concurrence.

Mais attention, pour pouvoir proposer du cabotage, il est tout d’abord nécessaire d’obtenir une autorisation préalable visant à s’assurer que le futur service ne viendra pas porter atteinte à l’équilibre économique d’une ligne conventionnée (car ou train). Ensuite, il est nécessaire de s’engager à ce que les passagers nationaux représentent moins de 50 % des voyageurs de la ligne et moins de 50 % de son chiffre d’affaires. Une situation qui n’est pas pour satisfaire l’Autorité de la concurrence: « La contrainte d’inscription dans une ligne internationale tend à limiter l’offre de transport longue distance par autocar sur certaines parties du territoire, pour certaines communes et populations. Les limitations de chiffre d’affaires et de nombre de voyageurs compliquent également l’activité. »

Un système favorable à la SNCF

Cet état de fait est d’autant plus difficile à admettre pour l’organisme que, vis-à-vis d’autres pays européens qui ont eux aussi autorisé la concurrence, la France fait figure de mauvaise élève. Comment expliquer ces règles si strictes en vigueur dans l’Hexagone? Selon Nathalie Jalabert-Doury, la situation s’explique aisément: « Jusque-là, le pays a cherché à protéger la SNCF, à éviter que celle-ci ne subisse une concurrence, car c’est un service public. D’ailleurs, aujourd’hui, on voit que la concurrence sur le rail est difficile à organiser. L’Europe ne s’est pas vraiment penchée sur l’autocar, contrairement à d’autres secteurs comme l’aérien ou elle a mis en place une harmonisation plus importante. Pour que Bruxelles agisse, il faut qu’il y ait une demande des États membres. Mais en France, on a tendance à protéger les monopoles nationaux. » Une protection qui, bien que compréhensible, n’est pas forcément toujours justifiée, aux yeux de l’Autorité de la concurrence: « L’autocar vise une clientèle peu sensible au temps de parcours mais fortement sensible au prix, ce qui explique que la concurrence entre l’autocar et le train sur les liaisons interrégionales semble pour le moins limitée. Ces deux modes de transport apparaissent plus complémentaires que concurrents », indique-t-elle.

La solution de l’autorité de régulation indépendante

Face à cette situation, le document propose plusieurs solutions. La première serait de modifier le système d’autorisation administrative de lignes de transport longue distance par autocar. « Le défaut de transparence du système actuel est un frein important au développement efficace du marché du transport par autocar. Si le contrôle d’une possible atteinte à des offres conventionnées préexistantes n’est pas illégitime, […] ses modalités doivent néanmoins êtres revues », est-il noté. L’idée est d’abord de faire en sorte que les critères techniques d’acception ou de refus soient plus transparents, et ensuite que les refus permettent véritablement de montrer un risque d’atteinte à l’équilibre économique d’une offre de transport conventionnée.

Autre recommandation, celle de mettre en place « une autorité administrative indépendante en charge d’une régulation sectorielle multimodale (transports ferroviaires et routiers) », indique le texte. « À cet égard, ce contrôle mériterait d’être confié à un régulateur sectoriel spécialisé présentant des garanties d’indépendance et des compétences techniques. Ce régulateur serait doté de pouvoirs lui permettant d’accéder à toute l’information nécessaire à l’exercice de son contrôle. La mise en place d’une autorité administrative indépendante en charge d’une régulation sectorielle multimodale intégrée, comprenant au moins les transports routiers et ferroviaires, doit donc être envisagée », précise l’organisation.

Ces propositions préliminaires devraient être complétées et/ou ajustées prochainement. Elles doivent ensuite franchir l’étape ultime qui consiste à convaincre les législateurs lors du vote de la loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale, loi qui modifiera les conditions d’accès au marché du transport interrégional par autocar. Une échéance qui ne devrait pas intervenir avant les élections européennes de mai 2014.

C’est-à-dire de plus de 80 kilomètres, comprenant au moins une nuit hors du domicile ou à destination de l’étranger.

La mobilité des Français, panorama issu de l’enquête nationale transports et déplacements 2008, la revue du CGDD, Commissariat général du développement durable, décembre 2010, cité dans le document Quel avenir pour le transport par autocar en France, de l’Autorité de la concurrence.

Différences de tarif selon le mode de transport pour un voyage Paris-Lille

(Source: Autorité de la concurrence)

Méthodologie: moyenne des prix au 15 octobre 2013 pour un aller simple sur un trajet; simulations effectuées pour une réservation 60 jours à l’avance, 30 jours à l’avance, 7 jours à l’avance et la veille du départ. Les tarifs des billets d’avion n’apparaissent pas sur les graphiques mais s’élèvent en moyenne à 200 euros pour Paris-Lille, avec une évolution à la hausse à mesure que la date de réservation se rappro­che de la date de départ.

Une prise de position stratégique

L’enquête sectorielle menée en ce moment par l’Autorité de la concurrence portant sur l’avenir du transport interrégional par autocar, ainsi que la publication, le 13 novembre 2013, d’un document préliminaire ne doivent rien au hasard. Ils résultent tous deux de la saisie d’office de l’Autorité de la concurrence, le 26 février 2013. Cette date suit de peu l’annonce par le gouvernement du vote prochain du projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale qui devrait modifier sensiblement certaines réglementations du transport interrégional par autocar.

Avec ce texte préliminaire et l’enquête sectorielle en cours, l’objectif pour l’organisme administratif est clair: apporter aux législateurs les éclairages nécessaires à l’adoption d’un texte favorisant ce type de service. En somme, d’influer sur la décision législative finale. Ce choix stratégique est assez récent: « Depuis un peu plus de deux ans, l’Autorité de la concurrence a mis en place des enquêtes sectorielles hors contentieux pour donner des avis », explique Nathalie Jalabert-Doury, avocate spécialisée dans le droit de la concurrence, associée au cabinet Mayer Brown. Elle l’a par exemple fait avec Google, en décembre 2010, vis-à-vis de la position dominante du moteur de recherche concernant les publicités en ligne. L’objectif est « de délivrer un message avant que le gouvernement ne s’y penche, afin d’éviter la ratification de lois qui pourraient être préjudiciables pour un secteur et entraîner l’apparition de contentieux. »

iDBUS, l’offre regardée de près

La saisie d’office de l’organisme administratif s’est faite peu de temps après le lancement d’iDBUS, le service de transport longue distance en autocar mis en place par la SNCF. Selon Nathalie Jalabert-Doury, le développement de cette offre pourrait être « une des raisons qui a poussé l’Autorité dans cette voie, car iDBUS dispose d’un avantage considérable vis-à-vis des autres opérateurs qui est celui d’être la filiale de la compagnie qui a le monopole sur le chemin de fer français. Et rappelons-le, les gares sont un point d’ancrage important pour le transport par autocar. Si on libéralise le secteur en laissant les pleins pouvoirs à la SNCF, certains acteurs seront plus frileux à l’idée de se lancer et cela aura des conséquences, entre autres, pour les usagers (au niveau du prix et de la disponibilité de l’offre). » Et cela, l’Autorité de la concurrence souhaite l’éviter.

Autre point sur lequel l’Autorité de la concurrence aimerait éviter d’avoir à se pencher, celui des contentieux qui pourraient en résulter. Dans le cas où une barrière franche entre les deux activités (car et train) n’est pas véritablement établie, cela pourrait entraîner des plaintes de ses concurrents du même ordre que celle qui oppose en ce moment Transdev à la SNCF. Pour rappel, l’opérateur privé de transport public avait saisi l’Autorité de la concurrence le 7 novembre 2012 pour demander à ce que la SNCF n’ait plus le droit de candidater en groupement avec Keolis lors d’appels d’offres, comme ce fut le cas pour la délégation de service public Strasbourg remporté par le groupement Keolis-SNCF.

Contexte législatif et réglementaire du transport longue distance par autocar en France

(Source: Autorité de la concurrence)

Depuis les années 1990, le transport international de voyageurs par autocar est ouvert en Europe, sous sa forme actuelle, en application d’un ensemble de règlements européens.

Le règlement européen no 1073/2009 du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocars et autobus a consolidé et amendé ce cadre.

Il a ajouté la possibilité pour les transporteurs européens de fournir des services de cabotage, c’est-à-dire pouvant consister en « la prise en charge et la dépose de voyageurs dans un même État membre au cours d’un service régulier international, […] pour autant que ladite prise en charge et dépose ne constitue pas l’objet principal de ce service. »

En cohérence avec ce règlement, l’article 38 de la loi no 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires, et portant diverses dispositions relatives aux transports, donne la possibilité aux autocars d’effectuer des transports de personnes entre deux points du territoire national dans le cadre de services internationaux réguliers.

Le décret no 2010-1388 du 12 novembre 2010 a fixé la procédure applicable et précisé notamment les conditions d’autorisation.

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  • Shahinez Benabed
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