Interview En octobre 2013, le sénateur PS de la Haute-Saône Yves Krattinger avait rendu les conclusions de la mission d’information sénatoriale sur la réforme des collectivités territoriales dont il était le rapporteur. Ses préconisations d’alors: préserver les départements et réduire le nombre de régions pour renforcer leur poids. Comment analyse-t-il les dernières avancées de la réforme?
Selon vous, quels sont les principaux enjeux?
Je l’ai écrit dans le rapport avec Jean-Pierre Raffarin: il faut mettre en avant la question de la responsabilité, dire qui fait quoi. Mais ça ne suffit pas. Celui qui est désigné pour une compétence doit en être totalement garant, c’est-à-dire qu’il n’est plus sous tutelle de l’État ou de je ne sais qui. Dans le panorama institutionnel français actuel, cette question de la responsabilité reste le problème numéro un. L’État fait tout un tas de choses qu’il ne devrait pas faire. Les régions ne savent pas trop où se mettre. Les départements, eux, sont très contraints sur le plan de leurs engagements: les allocations de solidarité, les routes et les collèges représentent déjà 85 % de leurs budgets. Les communes et les intercommunalités? Leur modèle est en transition.
Le deuxième sujet, c’est l’efficacité. Nous avons un vrai problème en France avec les milliers de commissions “Théodule”. La démocratie française aujourd’hui, c’est du bavardage! Cela devient, pour moi qui suis élu depuis 1971, insupportable! La “réunionite” permanente n’a aucune efficacité, c’est de la folie… Et puis, nous avons une troisième maladie, la réactivité est trop faible dans un monde qui va de plus en plus vite. Ce que nos voisins européens décident en six mois, il nous faut trois ans. Cela concerne tout le monde: l’État, les régions, les départements, les communes et intercommunalités.
C’est inquiétant, nous sommes un peu “des paralysés”. Certains arrivent, par la volonté, à aller plus vite, mais ils sont à la merci de tout un tas d’influences extérieures.
Si nous ne répondons pas à ces trois enjeux, nous n’y arriverons pas. Comment faire? J’ai entendu tout le monde dire que l’État reste sur ses compétences régaliennes. Très bien. Mais dans toutes les compétences décentralisées depuis 1982, l’État a gardé la main. À Vesoul, 33 000 habitants dans l’intercommunalité, il y a par exemple une direction Jeunesse et sport de l’État où ils sont bien plus nombreux qu’au département. Si on pense que l’on a besoin de cela, il faut le démontrer. L’État, au sens administratif, pas politique, a concédé la décentralisation, considérant que localement les services ne sont pas capables. L’État doit faire l’effort de faire confiance aux territoires, c’est la clé pour avoir une meilleure réactivité. Et on fera de vraies économies!
Êtes-vous favorable au rapprochement de plusieurs régions?
Les régions ne sont pas véritablement RÉGIONS. Dans ma conception, l’État veille à la cohérence de l’action publique et à la stratégie de long terme. Quant aux régions, elles ne sont pas des pompiers de service. Elles doivent former les hommes aux métiers de demain, très axés sur les nouvelles technologies, aider les entreprises à se préparer à la compétition mondiale et préparer le territoire à se situer dans l’espace européen, et si possible mondial. Cela veut dire s’occuper – tirer vers le haut – des grandes fonctions d’accessibilité territoriales (aéroportuaire, TGV, etc.) et intellectuelles (les formations supérieures, universitaires, les pôles médicaux de haut niveau). Est-ce que les petites régions (la Franche-Comté, celle où j’habite, la Bourgogne, le Limousin, l’Auvergne) ont la pointure pour faire cela? Non. Et donc, que font-elles à la place? Pour ne pas s’éloigner des citoyens, elles vont aller financer la réfection d’un clocher, la bande visio ou je ne sais quoi, mais il s’agit de solidarités territoriales, le travail du département. Il faut que les régions ne puissent plus venir sur ce champ-là. Ce n’est pas à elles d’aller financer des communautés de communes.
Cela conduit naturellement à avoir moins de régions qu’aujourd’hui, parce que les grandes fonctions stratégiques ne peuvent pas se penser dans des microterritoires. Il y a un problème d’effet de taille. Pour régler le problème de la confusion des genres, il faut un guichet unique d’instruction pour toute demande de subventions. Les grandes questions de formation, de l’économie en relation avec les entreprises et d’infrastructures très importantes se règlent à la région, la solidarité territoriale aux départements. La loi doit enlever la possibilité d’avoir deux guichets. Cela supprimera une partie des cofinancements. Certains problèmes nécessitent des rapprochements entre départements, notamment sur le très haut débit. On ressent sur le terrain la nécessité de beaucoup plus travailler ensemble sur nos compétences: solidarités sociales et territoriales. L’idée que les départements se fédéreraient sur leurs missions propres n’est pas idiote, elle est même certainement une garantie de plus de force et de capacité, mais pas pour faire le travail de la région qui doit rester très stratégique. Il faut qu’ils restent sur des compétences très proches du terrain.
François Hollande évoquait l’idée de doter les régions d’un pouvoir réglementaire local d’adaptation: qu’est-ce que cela implique?
L’État ne peut pas réglementer dans tous les domaines. Qu’il fixe les objectifs d’une loi, oui. Par exemple, dans les transports, la loi de 2005 sur l’accessibilité. J’approuve ses objectifs. Simplement, le législateur en a mis trop. Il a écrit les objectifs, mais aussi comment on va l’appliquer. Il y a des décrets à toutes les lignes, les mêmes pour Paris que pour la Creuse! Pour moi, il y a des obligations de transporter les personnes en situation de handicap – c’est normal, c’est une obligation qui ne me choque pas, puisqu’elle est au titre des solidarités – mais en Haute-Saône, croyez-vous vraiment que tous les points d’accès aux bus scolaires soient accessibles? Ce n’est pas ce que demandent les familles. Pour elles, mener l’enfant à l’arrêt de bus, c’est déjà un problème. Il vaut mieux l’emmener directement au collège dans un taxi. Qu’il soit dans le même collège que les autres, c’est le plus important. Il n’est pas raisonnable d’avoir un seul décret d’application pour une loi au niveau national. Il faut qu’il puisse y avoir, en fonction des spécificités, des déclinaisons régionales.
Avec Jean-Pierre Raffarin, nous avons proposé de créer des lois cadres territoriales, c’est-à-dire une loi nationale votée par le Parlement avec ces déclinaisons locales. Elle devrait dire dans quel domaine le territoire peut compléter la loi par une procédure d’échange avec les préfets pour vérifier que les décrets ne sortent pas de la loi. Il faut aussi interdire au Parlement d’en écrire si long. La décentralisation, on en écrit tellement. À la fin, on ne sait plus ce qu’on dit. Pour cette réforme, j’avais dit qu’il fallait un texte de 20 pages maximum. Cette souplesse, la plupart des pays en Europe en bénéficient. Pas nous! Nous sommes le pays le plus rigide, le plus centralisé.
Et dans les transports, que faut-il transformer?
J’avais déjà fait un rapport sur les transport en 2011. Il a gardé toute sa légitimité. Les transports de demain passeront par les technologies de l’information et de la communication. L’avenir est là. J’avais donc émis l’idée de créer des syndicats mixtes (obligatoires) regroupant régions, départements et agglomérations, avec pour compétence obligatoire l’information multimodale: on ne peut plus informer séparément, il faut que ce soit une structure d’aide régionale pour articuler les horaires. Aujourd’hui, tant que l’on est séparé, chacun a sa propre cohérence, mais il manque la cohérence globale.
Deuxième thème: la billettique multimodale. On doit être capable très rapidement d’offrir un billet pour l’intégralité du déplacement. Et j’ajoutais à l’époque: « et plus si affinités ». Pourquoi avais-je écrit cela? Quand je me suis occupé de la commission au Groupement des autorités responsables de transport (Gart), périurbain et intermodalité, j’ai fait venir tous ceux qui avaient fait l’expérience du travail en commun. Nous en sommes tous arrivés à cette conclusion que tout le monde en avait envie, mais que personne n’allait vraiment au bout. Seul un texte en faveur d’un instrument commun permettrait d’y arriver! Une fois que l’on fédère les acteurs sur des thèmes d’avenir, ils se fédéreront sur le reste. La question de la présidence, c’est une fausse bataille. Il faut sortir du leadership politique, c’est cela qui bloque! Sur le bien-fondé de l’outil commun, tout le monde est pourtant d’accord.
