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Le bateau à la traîne du transport public

Marché flottant? En France, le bateau n’occupe qu’une place marginale dans le transport public des villes de bord de mer, de fleuve ou de rivière.

Pourtant, les projets fleurissent, mais il semble que le modèle à suivre reste à inventer.

La France n’est pas la Suède, ni Paris Istanbul, pas plus que la Seine, la Tamise. Alors que dans de grandes villes d’Europe du Nord, d’Asie et d’ailleurs, ferries, vedettes et autres traversiers déversent des flots de salariés chaque matin d’une rive à une autre, ce genre de scène ne se produit guère en France. Pourtant, « la France offre l’un des plus longs linéaires maritimes d’Europe. Les côtes s’étendent en métropole sur plus de 5 500 km. De même, dans le fluvial, le linéaire navigable est de 8 500 km. Le potentiel de la voie d’eau pour le développement des services de transport collectif est donc important », écrit Isabelle Trêve-Thomas dans un ouvrage collectif du Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques), paru en mars 2013 et intitulé Transport collectif par voie d’eau en milieu urbain. Un guide technique à l’intention des services techniques des collectivités locales dont l’un des buts est de livrer une première approche du potentiel des systèmes de transport par voie d’eau. Car notre pays y est officiellement favorable. « Les lois issues du Grenelle de l’environnement promulguées en 2009 et 2010 ont identifié les transports par voie d’eau parmi les alternatives pouvant offrir des réponses performantes dans une politique de réduction des émissions de polluants », rappelle Isabelle Trêve-Thomas. Mais la loi ne fait pas tout. Comme un symbole contrariant, en décembre 2011, Voguéo s’arrête. La navette des quais de Seine reliait depuis 2008 la gare d’Austerlitz à Maisons-Alfort. Elle n’a pas trouvé son public, jusque-là essentiellement des touristes.

Les lignes de cabotage ont échoué à Paris et à Nantes

Le 28 février, Ports de Paris a clos un nouveau appel d’offres en vue d’un service sur la Seine. Le marché est attribué en mai. La ville de Paris n’a pas renoncé non plus à relancer Voguéo. En 2012, l’idée de trois lignes de cabotage ouest, centre et est, débordant même sur la Marne est abandonnée. Trop chère, 20 millions d’euros annuels, estime à l’époque le Syndicat des transports d’Île de France (Stif), avec le risque de proposer des temps de parcours beaucoup plus longs que le métro.

L’heure est donc désormais à d’autres formules. Pour s’imposer, l’une des obligations du transport public par voie d’eau est, dans un monde qui va vite, de convaincre malgré sa lenteur, accentuée encore sur un cours d’eau très emprunté comme la Seine. Parmi les raisons de l’échec de Voguéo, les adeptes du transport public citent les vitesses trop réduites à cause de la coexistence avec les autres utilisateurs du fleuve, des transporteurs de vrac aux pêcheurs, en passant par les bateaux-mouches et les croisiéristes. Ville de Paris envisage à présent des traversées rapides et ponctuelles là où les ponts manquent, un schéma qui se rapproche de ce que les Londoniens connaissent sur la Tamise.

Même type d’échec à Nantes où une navette fluviale entre la gare et l’université n’a jamais réussi à séduire les étudiants, même en début ou en fin de semaine. Ils préféraient sauter avec leurs valises dans deux tramways bondés, ils arrivaient à destination plus vite. Impossible à la navette fluviale d’accélérer l’allure, pour la sécurité notamment de deux clubs d’aviron, présents sur son parcours. Seuls les touristes l’ont utilisée en week-end. « Mais n’emporter que des touristes au prix du transport public, cela a tout de même ses limites », grogne Jean-François Retière, vice-président aux transports de Nantes Métropole. D’autres navettes nantaises ont survécu, mais pas ce parcours, long de plusieurs kilomètres.

Navette fluviale, une conception de la ville

Bordeaux, un registre en dessous, connaît aussi quelques déboires qui illustrent une autre ambition à laquelle le transport public fluvial doit de plus en plus répondre. Les deux magnifiques navettes électriques sont d’un bleu éclatant. Depuis le 2 mai 2013, elles devaient relier Lormont-Bas aux Quinconces toutes les heures, Stalingrad aux Quinconces en sauts de puce toutes les 15 minutes, puis les Quinconces aux Hangars toutes les 45 minutes. Mais elles restent à quai, des problèmes techniques, liés à la propulsion électrique. Deux navires classiques assurent le service et les deux BatCub (de la communauté urbaine de Bordeaux) reprendront du service.

Suite au Grenelle de l’environnement, le transport fluvial se veut de plus en plus écologique. « Bizarre, parce que le principe d’une navette, c’est qu’à un moment où l’autre, elle navigue à contre-courant. Il faut de la puissance, souvent de gros moteurs diesels », fait remarquer Jean-François Retière. L’inconscient collectif moderne n’en associe pas moins le transport sur voie d’eau à un certain retour à la nature. « L’image d’une ville associée à l’eau est très positive. Ce n’est pas négligeable », reconnaît-il. Pour Isabelle Trêve Thomas du Certu (devenu Centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement – Cerema), la pleine exploitation du potentiel des voies d’eau par le transport public va de pair avec une autre vision de la ville. « L’implantation des industries et des ports à proximité des voies d’eau a coupé la ville de ses berges et de ses rives. Cette tendance s’inverse depuis quelques années: de nombreuses villes se tournent à nouveau vers leurs voies d’eau. De nombreux projets consistent à renforcer le tissu urbain à proximité des berges ou à créer de nouveaux quartiers résidentiels ou d’affaires dans d’anciens espaces portuaires. » Les berges sont aussi moins livrées à l’automobile.

De nombreux projets dans les cartons

Les projets de navettes fluviales ou maritimes se multiplient. Dans le cadre du dernier appel à projets du gouvernement, Transports collectifs et mobilité durable, Boulogne, Bordeaux, Toulon et l’étang de Berre ont déposé un dossier de réalisations parfois ambitieuses. Thionville, Lille, Calais et Vienne veulent aussi s’en doter. Toulon, Marseille et Sète ont des projets de navettes maritimes.

La plupart des liaisons existantes remportent un succès croissant. Marseille, convertie de fraîche date, s’enthousiasme. « L’idée d’utiliser la mer pour le transport public est ressortie des dernières élections municipales, raconte Pierre Reboud, directeur général de la régie des transports de Marseille. L’expérience, menée pendant deux ans avec deux lignes, au nord du Vieux-Port vers l’Estaque et au sud vers la Pointe Rouge, a été reconduite l’an dernier. Avec un taux de remplissage moyen de 50 % et 570 000 voyageurs sur une moitié d’année, d’avril à octobre, on peut dire que c’était une bonne idée. » Pas question, pour le moment, qu’elles fonctionnent toute l’année, ni d’améliorer les pontons à Pointe Rouge.

La RTM loue au prix fort des bateaux qui seraient mieux rentabilisés dans le tourisme. Elle va en faire construire deux, un peu plus grands: 120 places environ au lieu de 100, pour moins refuser de passagers aux heures de pointe et atteindre ainsi les 650 000 voyageurs par an. Voyageurs qui pourraient tout aussi bien utiliser les bus, puisqu’ils ne gagnent guère de temps, mais ils préfèrent la mer. Ce plaisir de l’eau, Pierre Reboud l’identifie comme la première raison du succès des deux lignes, en plus de l’avantage de déposer les passagers directement en plein centre-ville.

Clé du succès, la connexion aux transports collectifs

À Nantes, même succès, la traversée, toutes les 20 minutes, de la gare maritime au petit village de Trentemoult sur l’autre berge de la Loire est empruntée 460 000 voyageurs par an. C’est « davantage que beaucoup de lignes de bus », observe Jean-François Retière. Le trafic est en croissance continue. L’autre traversée, un petit bateau électrique en face de l’université, frôle les 80 000 voyageurs. « Nous nous en tenons désormais à deux idées simples, explique Jean-François Retière: sur l’eau, que des liaisons de type passeur qui permettent un trajet plus rapide que par d’autres moyens, et d’excellentes connexions avec le réseau de transport collectif. C’est le cas pour nous à la gare Maritime, puisque le tramway vers le centre-ville y passe toutes les trois minutes aux heures de pointe. » L’intégration au réseau de transports en commun est aussi relevée comme une clé du succès par Isabelle Trêve-Thomas, « atout supplémentaire du transport par voie d’eau, en franchissant un obstacle naturel, il permet à des secteurs isolés de se trouver reliés à la ville. Les élus comprennent fort bien cela. Mais il est nécessaire qu’ensuite, sauter dans les transports en commun soit facile ».

De cette bonne connexion, un groupe en a fait sans doute plus que d’autres son alpha et son oméga. C’est Keolis, à Toulon et à Lorient. « Mêmes couleurs, même billettique, mêmes tarifs, même affichage lumineux à l’intérieur. Un bus en correspondance, pas plus de 10 minutes avant chaque départ ou après chaque arrivée », appuie Philippe Grall, directeur de Keolis Maritime à Brest et à Lorient. Ainsi, les quatre lignes maritimes de Lorient, entre le quai des Indes ou le port de pêche, et de l’autre côté de la rade, Port-Louis, Gâvres ou Locmiquélic, totalisent 700 000 voyageurs par an. Là, pas d’erreur: quand la traversée dure de 7 à 15 minutes, les bus qui font le tour de la rade ne peuvent pas rivaliser sur le temps de parcours. « Pour réussir, il faut faire gagner du temps au passager et, bien sûr, que la liaison soit fiable. » Les conditions de navigation peuvent naturellement varier et poser des soucis pour les navettes littorales. À Marseille, c’est une des raisons de leur arrêt en hiver, Mais à Lorient, la rade étant bien protégée de l’océan, aucune des tempêtes de cet hiver n’a empêché la moindre traversée.

Le navire, quatre fois plus cher qu’un bus

Pour se développer, le transport par voie d’eau reste confronté à son coût. « N’oublions pas qu’un bateau coûte environ 1 million d’euros, trois à quatre fois le prix d’un bus, et qu’il coûte plus cher à faire fonctionner. Notre meilleure navette fluviale, avec 460 000 voyageurs par an, représente à peine 0,36 % de notre fréquentation », observe Jean-François Retière, à Nantes. Parmi les handicaps du transport par voie d’eau, Isabelle Trêve-Thomas souligne celui du coût des navires. « Un service par voie d’eau ne demande pas d’investissements lourds en infrastructures, rail pour le tramway, voirie pour le bus. Mais le navire coûte d’autant plus cher qu’il doit être adapté aux conditions de navigation pour limiter l’impact de sa circulation sur le milieu aquatique (émission de polluants, création de remous). Aussi, contrairement aux autres modes de transport, la standardisation du matériel qui permettrait de réduire son coût ne semble pas en vue et surtout pas pertinente. ». Elle évalue ce coût de 450 000 euros pour un bateau de 75 places et à 1,2 million d’euros pour 150 places avec moteur diesel, entre 76 000 euros pour 12 places et 900 000 euros pour 75 places dans l’électrique. L’électrique est naturellement privilégié.

L’électrique comme horizon

Depuis longtemps, La Rochelle en a fait l’expérience avec son Passeur qui traverse le Vieux-Port en 4 minutes et son bus de mer qui, en 20 minutes, emporte les Rochelais jusqu’aux plages des Minimes. Tous les deux sont alimentés par des cellules photovoltaïques.

Lorient, Bordeaux et Nantes mènent actuellement d’autres essais. À Nantes, devant l’université, la ville veut transformer le petit passeur d’une dizaine de places en démonstrateur de moteur à hydrogène pour stocker l’énergie électrique. À Bordeaux, les deux BatCub de type hybride diesel-électrique stockent l’énergie dans des batteries au lithium. À Lorient, depuis septembre, un bateau électrique en remplace un autre au gazole sur la plus grosse ligne maritime. Il utilise un moteur à capacités (à condensateurs, pas de stockage d’électricité) qui se recharge en 4 minutes après chaque aller-retour d’une trentaine de minutes. « Une véritable révolution pour les pilotes, puisqu’on utilise souvent le moteur à pleine puissance, grosse différence par rapport au diesel », explique Philippe Grall qui souligne les progrès dans le confort apporté aux passagers. L’adoption de la propulsion électrique permet aux villes d’espérer limiter la consommation en énergie de leurs transports en commun, et plus qu’avec le diesel. Avec l’énergie électrique, la qualité de transport et le début d’une performance économique ouvre des perspectives d’avenir au transport public par voie d’eau.

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Auteur

  • Hubert Heulot
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