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Transport scolaire et réforme des rythmes: combien ça coûte?

État des lieux Pour s’adapter à la réforme des rythmes scolaires, les collectivités doivent réorganiser le transport des écoliers. Première étape avant la rentrée 2014: évaluer l’impact économique de ces bouleversements.

Depuis le mois de septembre 2013, 4 000 communes ont adopté la réforme. Mais ces dernières ne regroupent que 19 % des écoliers scolarisés dans le public. En septembre 2014, lorsque la réforme sera devenue le mot d’ordre, il faudra transporter 6,7 millions d’enfants. Un défi à relever rapidement. Les derniers projets éducatifs territoriaux, comprenant les grilles d’horaires pour chaque école, doivent être validés par le ministère de l’Éducation nationale avant la fin du printemps.

« Une mise en place en ricochets »

Depuis le 24 janvier 2013, date de parution du décret relatif aux rythmes scolaires, les collectivités ont pour objectif de donner du concret à la réforme, pour les communes déjà réformées comme pour celles qui le seront dans sept mois. Le texte impose aux écoles maternelles et élémentaires d’instaurer des semaines de 4 jours et demi, soit une demi-journée supplémentaire par semaine. Il limite les heures de cours à 5 h 30 par jour ou 3 h 30 par demi-journée, ce qui induit une réorganisation complexe des transports scolaires.

Pour Christophe Trébosc, secrétaire générale de l’association nationale pour les transports éducatifs de l’enseignement public (Anateep), « il s’agit d’une mise en place en ricochets pour les AOT », ricochets dont le transport serait le dernier rebond. Pour les instigateurs de la réforme, le transport est une conséquence subsidiaire qui doit rester à la charge des collectivités. « L’État n’a pas du tout prévu de subvention pour la partie transport », explique Christophe Trébosc. Même le fonds d’amorçage de 50 euros par élève distribué aux communes sert principalement à les aider dans la mise en place des activités prévues l’après-midi. Il n’inclut pas le transport. Par conséquent, ce sont les collectivités qui assument elles-mêmes la totalité du surcoût lié aux déplacements des écoliers.

Budget à la hausse

Les communes sont chargées de transporter les écoliers après leurs activités périscolaires de l’après-midi. Pour beaucoup d’entre elles cependant, ce type de transport était déjà opérationnel avant la réforme. Dans d’autres cas, ce sont les familles qui assurent ces déplacements. Le véritable changement logistique et financier pour les mairies s’observe le mercredi après-midi sur le transport des élèves entre l’école et le centre de loisirs. Ce déplacement concerne 40 % des communes, selon une enquête de l’association des maires de France (AMF), réalisée en novembre 2013 et portant sur 1 100 communes ayant adopté la réforme en septembre 2013.

Dans l’Ariège, presque toutes les communes (à l’exception de huit) ont adopté la réforme. Marie-Hélène Faux, directrice générale de service de la communauté de communes du pays de Foix, explique: « Avant, il n’y avait pas de transport à la charge des communes. Les centres de loisirs étaient à la journée et les familles y amenaient elles-mêmes les enfants. Ce service de transport, qui n’existait pas, est entièrement autofinancé, les ressources proviennent des communes elles-mêmes ».

L’enquête de l’AMF révèle que « la mise en œuvre de la réforme a engendré des coûts supplémentaires en terme de transport pour 55 % des communes interrogées ».

Dans le cas des départements, le surcoût est systématique. Ils sont chargés d’organiser le transport scolaire régulier sur le temps dit pédagogique, ce qui représente environ 10 % de leur budget total. Avec la réforme, ils doivent financer le transport sur une demi-journée supplémentaire, le mercredi matin dans la majorité des cas, et concevoir des circuits cohérents entre les écoles, les collèges et les lycées.

Pour la rentrée 2014, l’organisation du transport est traitée au cas par cas. « Le surcoût du transport lié à la réforme peut être très différent selon les départements, explique Christophe Trébosc, l’ADF [Association des départements de France, ndlr] a estimé un surcoût total dédié au transport scolaire compris entre 60 et 173 millions d’euros par an, entre 400 000 et 2,7 millions d’euros par département », ce qui équivaut à un taux d’augmentation du budget compris entre 3,2 et 10 %.

Mauvaise visibilité

Sur l’échantillon de communes ayant déjà adopté les nouveaux rythmes, les acteurs sont unanimes: il est encore trop tôt pour évaluer le juste coût de la réforme, et les municipalités concernées ne représentent que 17 % des communes possédant une école en France. « Je ne pourrais pas chiffrer exactement le coût total du transport périscolaire pour le pays de Foix », remarque Marie-Hélène Faux.

Même constat sur le plan national: le coût du transport avec la réforme des rythmes est encore flou. « On ne peut pas connaître l’impact financier. Nous n’avons pas assez d’éléments pour l’évaluer », affirme Éric Ritter, secrétaire général de la FNTV (Fédération nationale des transports de voyageurs). De la même manière, le groupement des autorités responsables des transports (Gart) ne tient pas à se prononcer pour le moment, faute d’information concrète, et prévoit de constituer un groupe de travail sur le sujet avec l’Anateep.

Les collectivités se mobilisent

En parallèle, les collectivités s’organisent activement et plus ou moins à l’aveugle pour endiguer le surcoût et optimiser le transport avant la rentrée 2014. La communauté d’agglomération du Grand Besançon regroupe par exemple 36 communes desservies par le transport scolaire (20 écoles). L’objectif premier est de limiter les conséquences pratiques. « Nous allons essayer au maximum de ne pas changer les tarifs. Le transport est gratuit pour les primaires et les maternelles, et il faut qu’il le reste », affirme Ophélie Mélian, chef du service exploitation des transports de la communauté d’agglomération du Grand Besançon.

« Au début, l’organisation a été assez compliquée pour nous, raconte-t-elle, les maires commençaient à nous appeler, ils ne savaient pas ce qu’ils devaient faire, comment s’organiser. Nous leur avons donc demandé de constituer des projets de rythmes et de nous les soumettre avec les horaires qu’ils souhaitaient instaurer pour la rentrée 2014. » Après réception de ces souhaits, Ophélie Mélian et son équipe se sont employés à trier les différents horaires pour constituer l’ébauche d’un circuit. « Je suis en ce moment en train de solliciter l’ensemble des mairies pour voir avec elles comment organiser au mieux les horaires entre les communes. Et ce n’est pas toujours évident. Chacun veut imposer les siens », ajoute-t-elle.

Il s’agit de trouver une solution pour alterner ou mutualiser le transport du primaire et du secondaire. « Selon nos estimations, l’aller-retour du mercredi coûtera à lui seul 70 000 euros en plus dans le budget du transport scolaire », constate Ophélie Mélian. Pour éviter une perte hémorragique sur la demi-journée supplémentaire, Christophe Trébosc expose deux alternatives: « Le transport peut être organisé soit en circuit mixte, c’est-à-dire qu’on transporte en même temps le primaire et le collège, soit en circuit enchaîné, lorsqu’un même conducteur fait le même trajet plusieurs fois pour les différents scolaires ». Dans les deux cas, il faut coordonner les heures de sorties.

Quelques accrochages

La mise en place de ces circuits éviterait notamment d’avoir recours à des chauffeurs supplémentaires, employés sur des temps ridiculement courts. « Il y a une tension sur le recrutement des chauffeurs, explique Éric Ritter, on ne peut pas engager quelqu’un à temps partiel, juste pour une demi-journée le mercredi! » Sans compter le recrutement des surveillants pour accompagner les enfants qui attendent la navette, ou des animateurs dans les autocars. « Le budget que nous avons calculé ne prend pas en compte les éventuels surcoûts dus aux enchaînements de services. Nous sommes dans l’incertitude. Faudra-t-il plus de chauffeurs? Plus de véhicules? », s’interroge Ophélie Mélian, en attendant les derniers retours des mairies pour demander un premier devis aux transporteurs. Et elle ajoute: « 2014 sera un peu une année test ».

Une autre inquiétude pèse sur le transport scolaire: les élections municipales imminentes qui menacent le travail déjà effectué. Dans le cas de l’agglomération du Grand Besançon, Ophélie Mélian remarque que « Beaucoup d’élus ne se représentent pas en avril-mai, on aura donc certainement de nouvelles équipes qui devront honorer leurs promesses électorales et qui reviendront peut-être sur les décisions qui ont été prises avant ». Elle soulève aussi un problème dans la définition des statuts. « Nous sommes en charge des transports scolaires, et non périscolaires, car le département nous a transféré sa compétence. Mais si nous ramenons les enfants à 15 h 30, qui les récupérera chez eux? Quel parent rentre à 15 h 30 à la maison? Pour rester cohérents, nous devons assurer le ramassage après les activités périscolaires. On va réaliser une compétence qui n’est pas vraiment la nôtre, un peu par obligation. Le texte est très flou sur la délimitation de notre statut. »

La problématique du transport pourrait même aller à l’encontre du principe fondamental de la réforme. Certaines communes proposent aux élèves des activités gratuites, d’autres communes en proposent des payantes. Il ne peut cependant y avoir qu’un seul ramassage proprement scolaire qui s’effectuera généralement après les activités de l’après-midi, comme dans le cas du Grand Besançon. « J’ai peur que cela n’ait des répercussions à la prochaine rentrée et que des parents protestent parce qu’on leur impose de payer des activités s’ils ne peuvent pas prendre l’enfant en charge l’après-midi. Pour une école publique gratuite, ça pose problème », explique Ophélie Mélian. « Dans ce cas, nous serions contre-productifs vis-à-vis de la réforme dont le but est de rendre les activités accessibles à tous. »

Chronologie de la réforme

⇒ 24 janvier 2013: décret de réforme sur l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires.

⇒ 31 mars 2013: les communes ne peuvent plus demander de dérogation pour la rentrée 2013.

⇒ 2 sept. 2013: rentrée scolaire, 4 000 communes adoptent la réforme qui concerne 1,3 million d’écoliers (22 % des écoliers en établissement public).

⇒ 29 janvier 2014: l’Anateep organise un congrès à Paris: Nouveaux rythmes et transport scolaire.

⇒ Juin 2014: les directeurs académiques des services de l’Éducation nationale (Dasen) valideront les derniers projets éducatifs territoriaux (PEDT) comprenant les horaires.

Un département paré pour la rentrée: le Doubs

Pour le conseil général du Doubs, les services du transport et de l’éducation sont étroitement liés et la réussite de la réforme est une priorité.

Bernard Étevenot, chef du service des transports, et Gilles Chartraire, directeur de l’éducation, du patrimoine et des transports, ont instauré une double concertation entre les mairies et les transporteurs. Le Doubs regroupe 122 structures scolaires comprenant au moins une école. Pour 112 d’entre elles, des accords et une répartition des horaires ont été trouvés. La réforme impacte 220 circuits et autant de véhicules.

Le Doubs engage 15 sociétés de transport dans le cadre de marchés de 7 ans, établis pour la plupart au moment où la réforme a été décrétée. Par anticipation, les prix de la demi-journée supplémentaire étaient compris dans les contrats.

Pour les dix structures qui ont adopté la réforme en 2013, le surcoût est de 55 000 euros. Le Doubs estime la hausse pour 2014 à 1,2 million. Lorsque les 122 structures fonctionneront sur les nouveaux rythmes, cela représentera un coût total du transport scolaire de 19,5 millions d’euros par an. Pour financer le transport, Gilles Chartraire explique: « Nous avons mis de côté des crédits de fonctionnement dans le budget 2014, et nous avons dû faire des économies sur d’autres activités ». Parés pour la rentrée 2014, ils confessent: « Nous avons anticipé, nous nous sommes préparés, mais nous ne sommes pas non plus tout à fait sereins. Il faut mettre tout cela en pratique maintenant. Tout retard dans le circuit, même de dix minutes, entraînera une réaction immédiate. En même temps, nous savons que les transporteurs sont très impliqués dans le fonctionnement et très professionnels. Et nous pourrons toujours revenir sur les circuits d’ici 2015, selon les retours que nous feront les communes et les familles. »

Témoignage de Jean-Michel Fourgous, un maire contre la réforme

Jean-Michel Fourgous est le maire UMP d’Élancourt (Yvelines) qui compte 30 000 habitants et 26 écoles. Il est à l’initiative d’un collectif d’élus fermement opposés à la réforme des rythmes.

“Les communes dépendent majoritairement de l’activité nationale, elles ne maîtrisent que moins de la moitié de leur fiscalité. Avec les coupes budgétaires prévues, la réforme scolaire va nous coûter 1 million d’euros, un tiers des dépenses de 2014. C’est ce que Jacques Pélissard, le président de l’AMF, appelle « l’effet ciseau », c’est-à-dire qu’on augmente les charges d’un côté et on diminue les ressources de l’autre, de 3 millions d’euros. Vincent Peillon ne comprend pas que les maires n’ont pas les moyens d’assumer l’impact financier de cette réforme.

Il faudrait augmenter les impôts de 10 %! Si j’adopte la réforme dans ma commune, mes électeurs me mettront dehors! Et ils auront raison! Il n’y a pas d’étude sérieuse sur l’impact financier. Combien ça coûte? Qui paye? […] La seule étude menée par Vincent Peillon a révélé que 93 % des maires qui ont fait adopter la réforme disent que tout se passe bien.

Or, ce sont les Dasen [directeurs académiques des services de l’Éducation nationale, ndlr] qui leur ont fait remplir les questionnaires. Je rappelle que les Dasen sont nommés par le ministre. Il n’y a que 7 % des communes qui ont adopté la réforme en Île-de-France, cela signifie bien que 93 % des communes n’en veulent pas!

On ne peut plus faire n’importe quoi avec l’argent public, il faut prouver que les dépenses sont utiles! Il n’y a eu aucune concertation. Ce n’est pas étonnant qu’il y a une forte inquiétude chez les élus. La réforme est anticonstitutionnelle. Elle attente à la libre gestion des communes.

Il va y avoir une vraie crise autour de cette question. ”

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Auteur

  • Capucine Moulas
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