Thierry Wischnewski, directeur de la régie des transports en commun de Poitiers, est un homme de défis. Après 20 ans passés chez Veolia, il construit un ambitieux réseau de bus à haut niveau de service pour la régie de Poitiers. Portrait.
Au milieu des années 90, Thierry Wischnewski est entré dans le monde des transports publics sans trop savoir où il s’aventurait. Habitant alors à Paris, le jeune homme, fraîchement diplômé en Sciences-Économie, obtient un DESS de gestion et cherche à revenir dans sa région natale. Il répond à la première offre d’emploi d’un cabinet de recrutement. Bonne pioche. « Le profil de poste dans le management m’intéressait. Il s’agissait d’une entreprise de 600 salariés, mais je n’en connaissais pas le secteur d’activité », raconte-t-il. Dès le premier entretien, quand il a appris que le poste à pourvoir était dans le secteur des transports, à la CGEA qui gérait le réseau urbain de Rouen, celui qui se serait bien vu embrasser une carrière dans le BTP se souvient avoir été « un peu déçu ». Plus de 20 ans après, pris par le virus, il ne regrette rien. « Au deuxième entretien, j’ai rencontré des gens fabuleux qui m’ont donné envie de découvrir leur monde. » À Rouen, quatre ans avant l’arrivée du tramway, il s’occupe de la production et « de toute la partie opérationnelle de l’exploitation auprès des conducteurs et de l’encadrement ». Il y reste cinq ans.
Après cette première étape de sa carrière, qu’il décrit lui-même comme « haletante », il est nommé à Nemours pour prendre en charge un réseau interurbain où d’autres enjeux se présentaient à lui. Le jeune cadre s’est plongé dans l’univers des cartes orange et le transport scolaire, tout en gérant près de 200 salariés. « J’ai aussi travaillé à la mise en place des premières lignes express, entre Château-Landon et Melun ». C’est à peu près à cette époque que son employeur, toujours le groupe CGEA (devenu plus tard Connex avant d’être racheté par Veolia), s’est mis à ouvrir des agences un peu partout sur le territoire. « On m’a donné en plus le réseau de Fontainebleau à gérer entre 1995 à 1999 », se souvient-il.
Après avoir racheté l’entreprise Strav, sa direction lui confie la direction générale de cette filiale dans l’Essonne. Il met alors son savoir-faire au service d’un plus grand réseau qui jalonne la périphérie de Créteil jusqu’à Villeneuve Saint-Georges. « C’est une période intense de ma vie professionnelle où il a fallu négocier l’accord sur les 35 heures qui, semble-t-il, n’est pas mauvais puisqu’il est encore d’actualité. J’ai ensuite récupéré pour quelques années Brétigny et Sucy-en-Brie. Mon niveau de responsabilités s’est agrandi petit à petit », se félicite cet homme de 50 ans qui a forgé son destin en luttant à chaque instant contre le ronron quotidien. « Ma chance, c’est d’avoir pu évoluer régulièrement. Tous les trois ou quatre ans, un nouveau poste s’offrait à moi au sein d’une entreprise constituée, en quelque sorte, comme une fédération de PME. Le transport public m’a ouvert à de nombreux défis. » Mais l’urbain lui manquait.
Quand l’opportunité de prendre en main la direction d’exploitation de Bordeaux se présente en 2005, Thierry Wischnewski, qui avait obtenu un master en management général urbain à l’Essec en 2003, saute sur l’occasion. « Un monde sépare l’urbain et l’interurbain pour lesquels les moyens financiers mis à disposition ne sont pas du même ordre. L’urbain, c’est fascinant! C’est un laboratoire pour l’innovation technique et sociale. L’interurbain en profite dans un second temps. » À Bordeaux, le plus grand réseau urbain géré à l’époque par Veolia, il a pour dessein « d’apporter un peu de modernité dans le management de l’équipe et de rationaliser l’exploitation pour gagner en productivité ». Malheureusement pour lui, Keolis remporte le réseau urbain de Bordeaux face à Veolia et ses 50 ans de gestion sans fausses notes. Thierry Wischnewski vit mal cet échec, alors qu’il avait le sentiment d’avoir « le meilleur dossier ». « Nous avions les moyens de ne pas perdre. Mais j’ai appris que ce sont toujours les élus qui décident. Que le dossier soit bon ou non, au-delà des critères techniques et économiques, il y a des éléments contextuels et politiques qui entrent en compte », constate-t-il, pudiquement.
C’est pour mieux rebondir qu’il se décide à tenter le pari de la régie. Toujours dans l’Ouest, la ville de Poitiers cherchait, au début des années 2010, un directeur pour l’exploitation de Vitalis, réseau urbain en pleine réorganisation. « Je me suis dit: autant aller travailler avec les élus directement pour enrichir mon parcours ». Il se rend compte que l’une des principales facettes de cette profession consiste à « avoir le souci permanent de comprendre les besoins des usagers, mais aussi les attentes des élus. Or, pour les connaître, il faut consacrer du temps et beaucoup de pédagogie ».
Dans cette régie qui fait partie du réseau Agir, il a découvert un autre monde. L’équipe municipale dirigée par Alain Claeys, maire sortant (PS) qui brigue un nouveau mandat, lui a donné « envie de se confronter à cette nouvelle réalité », avec comme objectif la mise en place d’un réseau de bus à haut niveau de service. « Je ne suis pas déçu. Pour obtenir cet équipement structurant, nous avons – non sans mal – commencé à enlever les bus du centre-ville, place de la mairie. Il fallait oser! Nous avons dévié les bus sur la rue de l’Université. Ce qui était jugé farfelu, voire irréalisable, a été rendu possible grâce à ce schéma directeur de bus à haut niveau de service. » Cette nouvelle organisation s’avérait nécessaire pour revaloriser les transports publics, et plus largement l’espace urbain, redynamiser le petit commerce et « apporter de la sérénité en centre-ville ». Résultat? « En deux ans et demi de travaux, nous n’avons pas perdu de voyageurs! » Depuis qu’il est en poste, la fréquentation des bus a même légèrement augmenté, passant de 14,5 millions d’usagers en 2009 à 15 millions en 2013. « On va aller chercher de nouveaux clients en réétudiant le cas des lignes secondaires, après avoir mis l’accent sur les trois lignes structurantes du réseau qui touchent 70 % des passagers. » Cette bonne fréquentation se traduit dans les recettes de cette régie de 350 salariés (240 chauffeurs) qui génère 6 millions d’euros en billetterie, soit un quart du budget annuel de 24 millions d’euros.
Améliorer la réussite économique de la régie de Poitiers n’est pas son seul but. Il aimerait transmettre son dévouement pour l’intérêt commun à tous ses collaborateurs, « dans une période plus marquée par le repli sur soi qui rend difficile l’évolution des mentalités », déplore-t-il. Cet ancien joueur de rugby aimerait véhiculer les valeurs « du combat collectif et de la remise en cause individuelle » que lui ont enseignées les 16 ans de pratique de ce sport. « En entreprise, dans n’importe quel travail, c’est la même chose », explique ce meneur d’hommes qui n’exclut pas de relever de nouveaux challenges une fois que le réseau de BHNS de Poitiers sera définitivement mis en route.
