État des lieux La crise n’a pas empêché une croissance de l’emploi au sein des très petites, petites et moyennes entreprises du transport de voyageurs en 2013. Cependant, les problématiques de recrutement restent particulièrement prégnantes pour les entreprises des réseaux interurbains, comparé à leurs voisines urbaines.
Bonne nouvelle. Malgré la conjoncture économique difficile, le transport de voyageurs recrute. Dans le secteur, les très petites entreprises (TPE), moins de 10 salariés, et les petites et moyennes entreprises (PME), 10 à 250 salariés, sont elles aussi de la partie. Au niveau des réseaux urbains, elles représentent 7 % de la part des entreprises présentes sur ces territoires (soit 3 000 salariés sur 50 000, hors réseau de la RATP), et s’en sortent plutôt bien. « Il est difficile de mesurer les effets de la crise, mais d’une manière globale, nous pouvons dire qu’elle n’a pas eu d’impact négatif sur le recrutement », indique Jérôme Nanty, président de la commission Affaires sociales en transport urbain et administrateur de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP). « Dans les réseaux de province, les effectifs augmentent de 2 % par an en moyenne. Cela est valable pour les TPE et les PME. Ces dernières se concentrent particulièrement dans les réseaux des agglomérations de moins de 100 000 habitants. Ces réseaux emploient aujourd’hui 3 100 salariés. On constate environ 300 recrutements par an, dont 100 créations nettes d’emploi. » Tout va bien donc, d’autant plus qu’en urbain, les embauches, 70 % de postes de conducteurs, concernent très rarement des emplois précaires puisque 98 % des salariés sont en CDI et 95 % à temps plein.
Ces capacités d’embauche plutôt étonnantes dans le contexte économique actuel s’expliquent, selon l’administrateur de l’UTP, par plusieurs raisons: « Ces PME/TPE recrutent, car dans les petites et moyennes agglomérations, le marché du transport public est en pleine évolution, alors que dans les grosses agglomérations, le marché est plus mature: il y a moins de créations de lignes de bus, de tram, etc. » De même, et d’une manière générale, « le transport public urbain est un secteur créateur d’emploi, y compris dans la situation économique actuelle qui n’est pas forcément favorable. […] En effet, la demande de déplacements reste soutenue, et l’on pourrait même dire que, dans un contexte de maîtrise du pouvoir d’achat, on peut s’attendre à voir de plus en plus de citadins s’orienter vers les transports en commun, puisqu’ils sont moins coûteux que la voiture individuelle », ajoute-t-il.
Du côté des transports de voyageurs interurbains, même constat en termes de capacités d’embauche. Comme l’explique la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV), l’organisation professionnelle du secteur, « le transport routier de voyageurs recrute toujours, avec 17 907 personnes embauchées fin 2012. Avec une hausse de 2,8 % du nombre de salariés entre 2011 et 2012, le secteur a créé des emplois en 2012, selon le rapport 2013 de l’Observatoire prospectif des transports et de la logistique (OPTL). » Ce phénomène concerne aussi les PME/TPE, mais contrairement à leurs semblables basées dans les territoires urbains, leur situation est bien moins idyllique puisqu’elles sont particulièrement confrontées au problème de la pénurie d’embauches. Ainsi, dans le secteur du TRV, et ce quelle que soit la taille de l’entreprise, « on évalue les besoins de recrutement […] à près de 11 000 par an », indique la FNTV.
Parmi les raisons mises en avant par les acteurs du secteur pour expliquer cette difficulté à trouver des candidats, figurent les conditions d’accès à la profession de conducteur, métier qui représente environ 85 % des emplois dans les PME/TPE du transport interurbain. En effet, au-delà du fait qu’il est souvent nécessaire de former les futurs employés, il y a les contraintes liées au permis D. Il n’est accessible qu’à partir de 21 ans, ce qui incite beaucoup de jeunes tentés par la conduite à choisir des filières marchandises, accessibles beaucoup plus tôt. Une situation dénoncée de longue date par la FNTV qui a fait plusieurs demandes auprès de l’État pour voir l’âge minimal ramené à 18 ans sous certaines conditions, dans le but de remédier à la pénurie de conducteurs. Pour l’heure cependant, la cause n’a pas été entendue.
Le transport interurbain englobe aussi le scolaire. Et celui-ci est particulièrement fragilisé et précaire. Comme l’explique le ministère du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social sur son site internet, « les conducteurs en période scolaire (CPS) sont les conducteurs embauchés pour travailler les jours d’ouverture des établissements scolaires. Ils bénéficient d’un contrat de travail intermittent afin de tenir compte de l’alternance des périodes travaillées et des périodes non travaillées. En dehors des périodes d’activités scolaires, les fonctions de conducteur scolaire sont suspendues ». Conséquence, les postulants ne se bousculent pas au portillon. « Lorsque ce temps partiel est choisi par les salariés, cela ne pose pas de problème. En revanche, si tel n’est pas le cas, cela devient compliqué. Surtout lorsque les aides complémentaires à la rémunération diminuent. Malheureusement, le choix des temps partiels n’est pas voulu par la profession. C’est bien la prégnance du transport scolaire qui impose cela », explique Alain-Jean Berthelet, membre du bureau de la FNTV et président de Réunir, premier réseau français de PME indépendantes dans le transport de voyageurs.
Un autre aspect mis en avant par le président de Réunir tient à la législation. Il concerne l’accord du 7 juillet 2009 relatif à la garantie de l’emploi et à la poursuite des relations de travail en cas de changement de prestataire dans le transport interurbain de voyageurs. Le texte, attaché à la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires de transport (CCNTR), prévoit la continuité de l’emploi des salariés affectés à un marché dans le cas où un nouveau prestataire remporte le contrat. « Par conséquent, avec les efforts que l’on déploie, si on perd un marché, nous devons nous séparer d’un personnel formé, compétent. Avec cette règle, il est encore plus difficile de fidéliser les salariés à leur entreprise », déplore-t-il.
Pourtant, hormis le cas particulier du transport scolaire, les différentes problématiques citées précédemment pourraient aussi toucher le recrutement en urbain. Mais les TPE/PME des villes sont beaucoup moins concernées. Pourquoi? Selon Jérôme Nanty: « Le recrutement est plus facile en urbain qu’en interurbain. Car en ville, les salariés ont des régimes horaires plus classiques et il est plus aisé de recruter en zone urbaine. Au niveau interurbain, plusieurs facteurs viennent compliquer les choses, comme l’éloignement du domicile des salariés ou les contraintes horaires qui peuvent être importantes. Cela concerne notamment le transport scolaire qui génère beaucoup de temps partiels avec des amplitudes horaires inhabituelles. » À ces différentes spécificités, s’ajoute le fait que « la rémunération y est bien souvent plus élevée et les accords de convention collective sont aussi plus intéressants », indique Alain-Jean Berthelet. En revanche, la conduite a aussi ses difficultés particulières. Ce n’est pas la même chose de conduire un bus en ville qu’un car interurbain. Le conducteur doit plus veiller à la sécurité à l’intérieur de son véhicule, etc. » Face à ces nombreux avantages, et pour ne rien arranger, « il arrive que des salariés de l’interurbain choisissent de partir sur des réseaux situés en ville », ajoute le président de Réunir. « À ce niveau, l’urbain est un vrai aspirateur à conducteurs. »
Pour pallier ces multiples difficultés interurbaines, plusieurs acteurs du secteur ont décidé, depuis quelques années, de prendre le taureau par les cornes pour inverser la tendance. C’est le cas notamment de la FNTV qui a mis en place plusieurs initiatives locales et nationales avec des organismes de l’emploi, comme Pôle Emploi, l’organisme paritaire collecteur agréé dans le domaine du transport, l’OPCA-Transport, ou le centre de formation professionnelle AFT-Iftim. L’idée est, entre autres, de développer la formation des demandeurs d’emploi et le travail des personnes en situation de handicap, mais aussi de communiquer sur le potentiel de recrutement du secteur. Parmi les actions menées figure un partenariat signé le 3 juillet 2012 avec Défense Mobilité, l’agence d’aide à la reconversion professionnelle des militaires du ministère de la Défense. Avec cet accord, la fédération espère favoriser l’embauche des anciennes recrues de l’État dans le TRV pour combler partiellement le manque de conducteurs.
Malgré ces initiatives, l’espoir que la situation s’améliore rapidement n’est pas encore porté par le président de Réunir: « Je deviendrai optimiste à partir du moment où les décideurs voudront bien nous écouter. Il faut qu’on arrête de faire de nous faire des usines à gaz. Il faut ramener le bon sens au pouvoir. »
