Europe Les grandes infrastructures de portée continentale sont à l’honneur.
L’Europe veut mettre fin au saupoudrage dans les projets de transport locaux.
« L’argent des fonds européens a souvent été utilisé sans réelle valeur ajoutée communautaire. » Bernard Lange est fonctionnaire européen. Il est, depuis sept mois, détaché à Bordeaux en tant que directeur adjoint des affaires européennes et internationales de la région Aquitaine. Si l’ancienne politique d’aides aux projets de transports manquait d’efficacité, la nouvelle se concentre sur ce qui, vu de Bruxelles, est devenu essentiel: l’édification d’un vrai réseau paneuropéen. En conséquence, les élus locaux peuvent de moins en moins compter sur l’Europe, ici pour un bus à haut niveau de service, là pour un tramway.
Le premier volet de cette politique a été annoncé le 17 octobre dernier. Ce jour-là, dans une révision présentée comme la plus radicale depuis le lancement, dans les années 1980, de la politique européenne d’aides aux infrastructures de transports, Siim Kallas, le commissaire européen aux transports publie la carte des 9 grands corridors de déplacements, cœur d’un réseau à construire d’ici 2030. Il désigne 3 axes est-ouest, 2 nord-sud et 4 en diagonale. La France est concernée par trois d’entre eux: le Méditerranéen qui reliera la péninsule ibérique à la frontière hongro-ukrainienne; l’Atlantique qui fait la jonction entre l’ouest de la péninsule ibérique, les ports du Havre et de Rouen, Paris jusqu’à Strasbourg; le corridor Mer du Nord-Méditerranéen, pour faciliter les interconnexions entre l’Irlande, le nord de la Grande-Bretagne, le Benelux, et jusqu’au sud de la France.
Dans la période 2014-2020, l’Europe va donc s’impliquer à hauteur de 26 milliards d’euros pour inciter les États membres à investir à ses côtés dans ce grand chantier de 250 milliards d’euros. Tous les moyens de transports sont concernés: 94 ports, 38 aéroports, 15 000 km de voies ferrées, 35 points de blocage transfrontières à lever. Un coordinateur des investissements est embauché pour chacun des neuf corridors. L’Europe annonce, à travers ce programme, plus qu’un triplement de ses dépenses d’infrastructures de transport par rapport aux 8 milliards de la période 2007-2013. Mais, plus abondant, l’argent en provenance de Bruxelles se concentre sur le réseau paneuropéen, alors que jusqu’ici il servait à financer des infrastructures nationales, voire régionales.
Le deuxième grand volet d’aides aux transports passe par le Fonds européen de développement régional (FEDER), voué au rééquilibrage économique entre les régions de l’Europe. Il suit, pour les projets de transports aussi une pente descendante.
Jusqu’en 2020, les priorités de l’Europe sont celles d’une Europe d’après crise économique: elle veut, avant de créer des emplois, s’attaquer au changement climatique, à la dépendance énergétique et réduire la pauvreté et l’exclusion sociale. Ces priorités deviennent donc, à l’échelon du développement régional, celles du FEDER, au même titre que l’emploi durable, les aides aux investissements réalisés dans les entreprises (surtout les PME), les fonds de capital-risque, les fonds de développement local susceptibles d’aider les entreprises dans leurs projets et les infrastructures liées à la recherche, à l’innovation, aux télécommunications, à l’énergie et (enfin!) aux transports. Les cibles sont en priorité les entreprises.
En décembre, la commission européenne a précisé l’esprit dans lequel cette politique de développement régional serait menée. « Les accords de partenariat doivent définir, pour chaque pays, pour chaque région, la manière dont les investissements de l’Union devraient soutenir une croissance intelligente, durable et inclusive, en mettant l’accent sur les principaux atouts et les secteurs de croissance importants dans les régions et les États membres ». L’Europe veut dépenser utile. Dans les transports, elle refuse désormais les trop petits projets et privilégie les plus importants, ceux qui ne pourraient absolument pas se faire sans elle. L’Europe veut avoir ainsi un « effet de levier » important, « ce qui nous a fait abandonner tout projet de TCSP pour des villes moyennes de la région de 50 000 à 60 000 habitants », explique Bernard Lange à Bordeaux.
Il y a quelques semaines, l’Europe a encore donné de nouvelles indications sur les projets de transports. Ils seront aidés seulement dans les régions qui en ont le plus besoin, celles dont le revenu par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Elles appartiennent, pour la plupart, à des pays nouvellement entrés dans l’Union comme la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Croatie. En France, il n’y a plus que l’outre-mer. Des régions comme le Poitou-Charentes ou le Limousin, dites pourtant en transition parce que n’ayant pas atteint 90 % de la moyenne européenne de revenu par habitant, en sont tout d’un coup exclues.
L’Europe négocie l’importance de ces fonds FEDER dans chaque pays et avec chacun d’eux. Elle signe des accords de partenariat, de la même manière que la France s’entend avec ses régions sur des contrats État-Région. Le 5 mai dernier, l’Europe a conclu le premier accord avec le Danemark. « Les accords de partenariat sont des documents essentiels pour guider les États membres et les régions au cours des dix années à venir. Ils reflètent notre détermination, lorsqu’il s’agit de recourir aux fonds de l’UE, à sortir des sentiers battus consistant à financer ici ou là quelques routes locales ou des aéroports régionaux », a expliqué Johannes Hahn, commissaire européen chargé de la politique régionale. L’heure n’est donc plus guère aux projets régionaux de transport financés par l’Europe. Jusqu’ici en France, l’UE en a financé en grand nombre, même si pendant la dernière période, de 2007 à 2013, la Pologne et la Tchéquie ont été les nouveaux entrants à privilégier. Et même si les montants sont restés raisonnables, 10,1 milliards d’euros de subventions européennes au titre du FEDER. « Mais ils sont sensibles à tous les sujets », explique Pascal Louis, chez Réseau Ferré de France à Rennes, en parlant des fonctionnaires en charge des programmes européens pour la période qui se termine. En Bretagne et Pays de la Loire, le projet de prolongement de la ligne TGV jusqu’à Rennes n’a presque rien obtenu de l’Europe. Cinq millions d’euros, puis 6 millions d’euros pour des études, sur un budget global de 3,4 milliards d’euros. Mais L’UE a financé la mise à niveau du réseau ferroviaire classique, au-delà de Rennes, au nom du trop grand éloignement de la Bretagne du reste de l’Europe: 96 millions d’euros, un tiers du budget. « Une des plus grosses opérations en France. Parfois, l’Europe est allée jusqu’à 50 %, mais jamais sur des montants aussi importants qu’ici », raconte Pascal Louis à RFF.
À Nantes et dans la région des Pays de la Loire, une vingtaine de pôles d’échanges multimodaux, à raison d’1 million d’euros à chaque fois, ont consommé 20 millions d’euros. L’autre moitié des financements européens pendant la période est allée dans le tram-train au nord de Nantes pour près de 10 % du projet.
À Bordeaux, la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique, en chantier entre Tours et Bordeaux n’a presque rien reçu de l’Europe. Quelques millions, là aussi, pour les études et surtout 12 millions d’euros pour la suppression du bouchon ferroviaire au nord de Bordeaux. Cet apport ne représente que 4,9 % de ces travaux spécifiques d’un montant de 245 millions d’euros dans le budget de 8,8 milliards d’euros de la nouvelle ligne. Ils illustrent une des nouvelles priorités de l’Europe, lever les obstacles aux déplacements sur les grands axes paneuropéens dont fait partie la nouvelle ligne. « Nous espérons obtenir davantage de financements européens quand nous franchirons un autre obstacle, la frontière vers Hendaye », espère-t-on à RFF.
Mais l’Europe va resserrer le nombre de ses contributions. « Nous n’avons plus rien à espérer, du moins du côté des fonds FEDER en provenance de Bruxelles, pour nos infrastructures de transports », indique Gilles Bontemps, vice-président transports de la région des Pays de la Loire.
Comme tous les élus régionaux en charge des transports, il avait jusqu’au mois de mars pour transmettre ses nouvelles demandes à Bruxelles pour la période 2014-2020. Comme d’autres, il essaie de ruser. Il fait le tri dans les pôles multimodaux qu’il veut continuer d’installer et ne présente que les plus « structurants » d’entre eux. Il propose des haltes ferroviaires et des terminus techniques le long des lignes TER. Il ne s’agit plus de nouveaux rails. Pour les réouvertures de lignes ferroviaires ou de projets de bus à haut niveau de services, il ne parle plus à Bruxelles que d’en financer les études.
À Bordeaux, Bernard Lange ne parle plus de pôles d’échanges multimodaux mais de plateforme. Il s’agit de tout ce qui peut contribuer à lutter contre le déplacement individuel en automobile et donc encourager l’usage direct du train ou du tramway pour rejoindre les centres-villes: parkings relais, vélo-route. Il mise sur aussi sur l’amélioration de la signalétique, toujours dans le même but. Autre biais, l’Europe voulant jouer la carte de l’innovation dans le numérique, il va proposer des améliorations de billettique. Le « durable » et tout ce qui rapproche d’une « économie décarbonée » est entendu de Bruxelles. Les investissements dans les quartiers sensibles sont une autre priorité de l’Europe se battant contre l’exclusion sociale. C’est une autre voie pour y proposer des projets de transports.
À Nantes, Gilles Bontemps mise aussi sur le réseau de corridors paneuropéens. Avec huit autres régions, il avait obtenu l’an dernier que l’axe ferroviaire Nantes-Lyon y soit intégré. Dès lors, il propose plusieurs projets d’infrastructures autour du port de Nantes-Saint-Nazaire. L’axe ferroviaire du centre de la France devra aussi être connecté à la nouvelle ligne Tours-Bordeaux. « Les fonds européens sont en baisse dans les projets de transport de proximité, nous nous tournons vers l’Europe pour ses grands projets », indique-t-il. La commission européenne a six mois pour répondre à la copie des régions françaises.
